Lot n° 185

DUKAS (Paul). Lettre autographe signée [à Vincent d’Indy]. Paris, mars 1895. 4 pp. in-12.

Estimation : 600 / 800
Adjudication : Invendu
Description
► Belle et longue lettre musicale évoquant Beethoven, Mahler, Franck, ses propres compositions, celles de d'Indy, les membres de la Société nationale de musique...
Fondée en 1871 par des compositeurs comme Duparc, Fauré, Franck, Massenet, ou Saint-Saëns, elle était destinée à organiser des concerts visant à promouvoir la musique instrumentale française et à faire connaître de jeunes compositeurs. Elle était présidée depuis 1890 par Vincent d’Indy, qui avait obtenu d’introduire des œuvres étrangères au répertoire

« Votre lettre m’a fait un grand plaisir et j’ai lu avec le plus grand intérêt votre compte rendu et des concerts espagnols [Vincent d’Indy effectuait alors une tournée en Espagne]. Je ne regrette qu’une chose c’est que ces concerts n’aient pas lieu ici pour pouvoir y assister.
Je suis certain que dirigées par vous les œuvres de Beethoven doivent avoir une autre physionomie que celle à nous connue par les auditions du promenoir Lamoureux ou du perchoir Colonne [les chefs d’orchestre Charles Lamoureux et Édouard Colonne, à la tête de sociétés de concerts]. Je ne suis pas étonné le moins du monde que vous ayez été content de l’effet produit par la gradation lente de l’Andante à l’Allegro de Leonor. Cette façon de préparer l’explosion du ff m’avait moi-même frappé extrêmement quand je l’entendis exécuter à Londres par Malher (de Hambourg) [Gustav Mahler, alors chef d’orchestre à l’Opéra de Hambourg] lors d’une représentation de Fidelio. Quant au reste, je suis convaincu que vous avez dû le faire travailler avec amour ; dans ces dispositions-là le résultat est certain.
Ainsi vous êtes content de votre orchestre et de votre public qui vous le rend. Tout est pour le mieux et je comprends que vous vous félicitiez des résultats de cette campagne.
D’abord à votre point de vue personnel c’est une vraie grande joie que de conduire les partitions qu’on aime le plus et de les faire comprendre dans le sens où vous-même les comprenez. Ensuite et d’une manière plus générale, il est très avantageux de montrer qu’en France nous pouvons avoir aussi de vrais chefs d’orchestre si la routine ne s’y opposait...

Je sais parfaitement à quoi m’en tenir, comme vous, sur l’art de Bréville, mais enfin quand on s’entend opposer par Dutacq et Boëllmann [les compositeurs Amédée Dutacq et Léon Boëllmann] que sa musique rase le public, un "et la vôtre donc !" vous monte involontairement aux lèvres et se traduit par des périphrases plus ou moins affligeantes pour l’amour-propre de vos interlocuteurs...
Quant à Doret [le chef d’orchestre suisse Gustave Doret]... il voulait jouer absolument votre symphonie ou celle de Franck mais je crois que ce n’était ni par amour pour vous ni par amour pour Franck ; c’était à mon avis simplement pour se tailler une petite cote avantageuse...

[Paul Dukas évoque ensuite le compositeur et chef d’orchestre Dominique-Charles Planchet, le chef d’orchestre Eugène d’Harcourt qui était à la tête d’une société de concerts, et le compositeur Émile Challet.]

Eh ! bien ça y est. Beethoven et Schumann sont vengés ! Il y a des détails du plus haut comique que Bordes [le compositeur Charles Bordes, un des fondateurs de la Schola cantorum avec d’Indy] m’a donnés et que vous ferez bien de vous faire raconter à votre retour.

Je travaille au second tableau de Brunnhilda et je puis songer à ma symphonie J’ai vu Gallet hier et il m’a encore pressé de terminer le plus rapidement possible. Il va falloir aussi composer les parties manquantes et cela ne me sourit guère.
Figurez-vous que Gallet a envie d’un ballet dont Saint-Saëns ne veut à aucun prix. Alors le brave Gallet s’est adressé à moi pour le composer. Ce léger supplément de travail, voyez-vous cela !
Je lui ai répondu que j’étais l’homme du monde le moins fait pour faire tourner des tutus en musique. D’ailleurs de toute façon ce ballet serait absurde car l’œuvre n’en comporte pas et je suis tout à fait de l’avis de Saint-Saëns. [Le compositeur Ernest Guiraud avait composé une grande part de la musique du drame lyrique Brunehilda, sur un livret de Louis Gallet, mais il était mort en 1892 avant d’achever son travail. C’est Saint-Saëns et Dukas qui se partagèrent la tâche de compléter l’ouvrage, qui fut créé à l’Opéra en décembre 1895 sous le titre Frédégonde.]
Et Fervaal, que devient-il [opéra de Vincent d’Indy qui serait créé en 1897] ? Avez-vous emporté vos manuscrits et trouvez-vous le temps d’écrire une page par ci par là ? Mon frère est ravi de vous avoir rendu service.
Nous avons su... l’accueil triomphal et tout espagnol qu’on vous a fait. Si vous avez quelques moments, tenez-moi au courant de vos faits et gestes. Cela m’intéresse énormément... »
Partager