Lot n° 310

LANEFRANQUE (Jean-Baptiste Pascal). Lettre autographe signée à la belle-mère du Maréchal Lannes, la Comtesse Guéhenneuc, Marie-Louise Henriette Charlotte Crépy. Schönbrunn, 24 juin 1809. 3 pp. 1/2 in-4.

Estimation : 1500 / 2000
Adjudication : 4000 €
Description
► Récit de la mort du Maréchal par un des médecins de la Maison de l'Empereur qui le soignèrent.

Médecin en chef de l'hospice de Bicêtre, il était très apprécié du Docteur Jean-Nicolas Corvisart, médecin personnel de Napoléon Ier et par ailleurs ami intime du Maréchal Lannes. Il fut donc attaché à la Maison de l'Empereur lors de sa constitution, et participa donc à de nombreuses campagnes.
Quand le Maréchal Lannes fut blessé le 22 mai lors de la bataille d'Essling, Lanefranque fit partie des médecins qui suivirent son agonie.

« ... Trois ou quatre jours avant que Mr le Maréchal ne partît du quartier impérial de Schoenbrunn pour Ebersdorf, c'est-à-dire, avant la fatale bataille, je le voyois, tous les matins, chez lui. Le dernier de ces jours, il me retint auprès de lui, depuis huit heures jusqu'à une heure. Il me parla constamment de sa famille, de Maison [le château de Lannes, actuellement Maisons-Laffitte], du bonheur de Corvisart à la Garenne [le château des Tournelles, de son ami intime le Docteur Jean-Nicolas Corvisart, à La Garenne, près de Colombes], de l'originalité des discussions de Corvisart avec Mr Guéhenneuc, des difficultés de l'art militaire, bien plus grandes que celles de la médecine, malgré tout ce que Corvisart pouvoit dire en faveur de la médecine.
La question de la guerre fut celle sur laquelle il insista beaucoup, et qu'il ramena à plusieurs reprises...

"J'exècre la guerre", me disoit-il, "je l'ai dit à l'Empereur. Le premier bruit de guerre me fait frissonner ; mais aussitôt que j'ai fait les premiers pas, je ne songe qu'au métier... Nous perdons ici du temps depuis six jours. Je voudrois déjà avoir rejoint les Autrichiens...
Vous entendez la musique de ce régiment ? (Elle passoit dans ce moment sous les croisées de l'appartement) Eh, bien ! C'est pour étourdir les hommes et les mener à la mort sans qu'ils s'en doutent... Il faut que tous les officiers paroissent sur les champs de bataille, aux yeux du soldat, comme s'ils étoient à la noce...
N'est-ce pas que j'ai de jolis enfans ? Ce petit Napoléon est plein d'intelligence.
Lorsqu'il entendit que j'allois partir à l'armée d'Allemagne, il me dit : "il faut donc, papa, que tu ailles toujours à la guerre, jusqu'à ce que tu sois tué."
Mr le Maréchal répéta les propos de son fils, dans le courant de notre entretien, toujours avec une préoccupation d'esprit, toute particulière, qui resta fortement imprimée dans ma mémoire... »

Lanefranque relate les progrès de la fièvre, les visites de l'Empereur, de Berthier, des aides de camp de l'Empereur, des Généraux Dumas, Rapp et autres, des officiers supérieurs...

▬ Joint, du même,
• une correspondance manuscrite de l'époque de 9 lettres au docteur Jean-Nicolas Corvisart, provenant des papiers de la famille Lannes.
Vienne, 24 mai 1809, Ebersdorf, 25-31 mai 1809, et Schoenbrunn, 11 juin 1809.

Les 8 premières sont des bulletins de santé relatant au jour le jour l'agonie du Maréchal Lannes, par exemple, de Vienne le 24 mai 1809 :

« Vous êtes l'ami par excellence ; il n'y a que vous au monde qui puisse se charge[r] d'informer et de consoler de cet affreux malheur la famille de Mr le Maréchal ... »

La dernière lettre est un récapitulatif évoquant en outre les discussions avec les autres médecins, Yvan, Larrey, etc., et ajoutant des anecdotes :

« ... Mr le Maréchal éprouva une faiblesse de cinq ou six minutes avec perte absolue de connoissance.
MM. Larrey et Yvan arrivèrent, nous nous empressâmes de ranimer ses sens. Je promenois un flacon d'ammoniaque sous ses narines, lorsqu'il se ranima brusquement. Il m'apperçut tenant le flacon ; et aussitôt il s'écria avec fureur : "Comment, drôle ! Mettre sous le nez d'un Maréchal d'Empire des cochonneries. Mes aides de camp ! Quarante grenadiers ! Qu'on traîne cet homme dehors, par les cheveux... »

« ... Il demanda à être seul avec l'Empereur. MM. les chirurgiens se retirèrent ; et l'Empereur passa encore demi-heure avec Mr le Maréchal  ; après quoi, il sortit.
MM. Larrey et Yvan retournèrent auprès du malade. L'Empereur étant dans l'antichambre, avec ses aides de camp, ceux de Mr le Maréchal , où je me trouvais aussi..., dit :

"Il a voulu me parler, et n'a pu rien dire de suivi"...

Le 31 mai à 6 heures du matin, Mr le Maréchal n'existoit plus. Un quart d'heure après, l'Empereur se présenta à cheval à la porte de l'habitation de Mr le Maréchal .
Le Général Frère accourut annoncer à l'Empereur la mort de Mr le Maréchal .
L'Empereur resta à cheval. Il parut consterné. Quatre ou cinq minutes après, il demanda à quelle heure étoit mort Mr le Maréchal  ; s'il avoit été agité.
Le Général Frère répondit qu'il avoit été très agité, la veille, et auparavant. L'Empereur, "Mais comment donc ! Yvan ! Pourquoi ne m'avoir pas averti avant son délire ?" "Sire ! le délire n'a paru qu'hier, quelques instant avant votre arrivée auprès de Mr le Maréchal .
" Personne n'osa démentir cette assertion. L'Empereur demanda ensuite le Docteur Frank [Johann Peter Frank]. Il se présenta.
"Eh bien ! De quoi est mort le Maréchal ."
"Sire ! D'une fièvre pernicieuse contre laquelle on a tout employé."

Le docteur ajouta quelques mots de respect pour la personne de S.M. et de regret de n'avoir pu mieux faire dans l'invitation honorable qu'il avoit reçue ; et il se retira. L'Empereur parut frappé d'une profonde douleur. Il ordonna que le corps de Mr le Maréchal fût embaumé. Il resta quelques instant dans le silence, qu'il rompit ensuite en disant :
"Au surplus, tout finit comme ça". Il partit aussitôt... »
Partager