Description
► RÉFLEXIONS SUR L’HISTOIRE, LES HOMMES, LA NOBLESSE, LES NATIONS, LES SYSTÈMES POLITIQUES, LA COLONISATION, LA RÉVOLUTION, ETC.
Ces réflexions et maximes étaient probablement destinées à être insérées dans les Mémoires ; mais ce manuscrit semble être resté inédit.
Cette Note commence par un aperçu sur « le magnifique règne de Louis quatorze. Le cahos cessa en sa personne ; il appella l’ordre et tout sembla se placer à sa voix. […] Tout s’agrandit tout s’éleva sous son règne »…
Mais ce bel édifice se dégrada ensuite :
« On exposait à la discussion publique des questions qui ébranlaient les fondemens de la société sous le spécieux prétexte de la reconnaître. On remit tout en question et on révoqua toutes choses en doute. Le gouvernement ordonnait, mais sans fermeté et sans plan. […] On a voulu faire faire à la science de l’homme les mêmes progrès que l’on avait vu faire aux sciences exactes et naturelles. On enfanta sistème sur sistème en morale comme en politique. On voulut déchirer tous les voiles sans penser que l’âge des illusions est pour les peuples comme pour les individus l’âge du bonheur »…
♦ La GUERRE D’INDÉPENDANCE AMÉRICAINE eut une grande influence : « On mit dans la balance les droits des peuples et ceux des souverains. […] La jeune noblesse française qui s’était enrolée sous les drapeaux de Washington s’attacha aux principes qu’elle venait de deffendre. […] elle avait senti que les services rendus à l’état et le mérite personnel étaient les seuls véritables titres de distinction et de gloire. Cette idée transportée en France y germa promptement. On dédaigna toute autre illustration, et le prestige de la noblesse héréditaire déjà très affaibli ne tarda pas à s’évanouir »…
Après des réflexions sur le piètre résultat des spéculations des hommes, il en vient à la vie sociale qui « a sa marche comme celle des particuliers. Toutes les nations d’Europe forment ensemble un sistème Général à l’influence duquel nulle d’elles ne peut se soustraire. […] La nature de mon travail exige que j’embrasse un certain espace.
→ Je dois souvent jetter mes regards en arriere, et plus souvent les porter en avant »…
Talleyrand esquisse alors un tableau de divers états de la société française à la fin de l’Ancien Régime…
« C’est alors qu’on rêvait ce gouvernement du genre humain propre à tous les tems, à tous les lieux, à tous les dégrés de lumière »…
« L’expérience de ma vie me fait présumer que les personnes qui se vantent avec le plus d’affectation d’une qualité ont le défaut contraire » ; il en est de même pour les nations. Les membres du Clergé « étoient Généralement supérieurs aux autres citoyens par leur décence, leur probité et leurs lumières »…
Suivent des réflexions sur la justice, qui doit être inséparable de l’autorité royale, la puissance des monarques consistant principalement dans la prérogative civile :
« de son application depend la securité des biens et des personnes, c’est-à-dire de tout ce que nous avons de précieux. Car la liberté civile est bien, pour les gens qui pensent, d’une autre importance que la liberté politique »… D’où l’idée du monarque à la tête du corps social…
« Toutes les améliorations de France ont pris leur source dans les terres de la couronne. […] La révolution même n’a pu désenchanter ces châteaux où avait jusqu’alors résidé la souveraineté »…
Observations sur le « grand sens » de LOUIS XIV, l’ambition vulgaire des GUISES, l’œuvre de RICHELIEU (« Si le Cardinal a eu le tort d’éclipser son maître, il a eu au moins la gloire d’élever la France au premier rang des puissances de l’Europe »), la turbulence néfaste de la noblesse dans « les ridicules tracasseries de la Fronde »…
Un long développement sur CHRISTOPHE COLOMB (ses connaissances, ses origines, ses voyages et ses découvertes) prélude à une réflexion sur LA COLONISATION : « Nous avons dévasté l’Amerique, dépeuplé l’Afrique, vexé l’Asie, agité l’Europe pour nous procurer les denrées coloniales et les marchandises de l’Inde. L’Angleterre a bravé dans l’Inde la honte qui suit toutes les spoliations. […]
En parcourant le globe n’avons-nous pas étendu nos lumières, […] n’avons-nous pas perdu une foule de préjugés ? L’Amerique n’a-t-elle pas été un refuge ou les dissidens religieux ont obtenu la liberté de conscience. N’a-t-elle pas été un réceptacle où se sont perdus tous ces hommes inquiets qui ne se plaisent que dans le trouble et ne respirent que sédition.
→ D’un autre côté depuis cette époque y a-t-il moins de malheureux. Ces regards lointains n’ont-ils pas anéanti l’amour de la patrie ? La tolérance religieuse n’a-t-elle pas détruit toute religion cette base indispensable de toute sociabilité, ne nous est-il pas resté assez de désorganisateurs pour faire éclore les plus funestes révolutions. Tout regret au reste seroit superflu. Les peuples ne rétrogradent pas plus que les individus »…
Développement sur les ambitions coloniales et commerciales des Espagnols, Portugais et Hollandais…
Après une sentence sur la noblesse qui « a fait tant de mal par son demi savoir », et un pensée sur les mathématiques, « science idéale et de supposition », Talleyrand reprend sa réflexion sur la découverte de la boussole, et ses conséquences sur la colonisation et les empires :
« Les peuples ne sont plus que des trafiquans, leurs chefs ne dégradent pas moins leurs dignités, ils ne sont plus que les courtiers de leurs sujets. Ils ne se croyent plus chargés de leur inspirer des sentimens nobles, élevés, de leur en donner l’exemple : ils ne songent qu’à les enrichir pour asseoir de plus forts impots »… La conclusion est sombre : « L’Europe a porté sur les autres parties du monde son inquiétude, son avidité et je dois le dire sa férocité »…
Remarques sur l’agriculture, le commerce et l’industrie, « compagnes inséparables qui doivent s’entraider mutuellement »…
Nouveau portrait de LOUIS XIV, faisant ressortir un trait caractéristique :
« Ce monarque mettoit de la dignité, j’ai presque dit de la décence même, dans ses désordres »… Réflexions sur la régence, qui serait « bien placée entre les mains des femmes », qui, ne pouvant succéder à la couronne, ne songeront pas à l’usurper…
« Le peuple ne demande jamais de lui-même que tranquillité pour vaquer à ses travaux, et un peu de joie pour jouir de leur produit : sa mutinerie lui est toujours inspirée de plus haut »…
Suit une longue critique de la noblesse française, dont la distinction ne fut jamais plus grande que « dirigée » sous Louis XIV, et dont la dégradation s’explique par l’avidité :
« Lorsqu’on s’est laissé gagner par l’amour de l’argent on perd l’art de faire mouvoir avec avantage, en présence des ennemis, ces vastes et compliquées machines qu’on appelle des armées »… Il dénonce « ces grands jeux qu’on appelle les fonds publics », source d’escroqueries soutenue par les papiers publics qui présentent l’appât de « faire sa fortune dans un tour de main », au détriment de l’industrie qui occupe et enrichit.
« Les grands succès sont un désastre pour les mœurs de la nation. Tout déplacement subit et étendu de la propriété produit infailliblement des riches insolents et des pauvres orgueilleux, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus facheux ou de plus ridicule dans la société. […]
On n’envie d’abord que les jouissances qu’il paraît procurer ; on les repousserait même avec indignation dans ses premiers moments si on ne pouvait les obtenir que par des voies malhonnêtes, mais en s’occupant sans cesse de la fin on se familiarise avec les moyens qui y conduisent insensiblement et peut être à son insu, on perd donc peu à peu le sentiment de la dignité humaine, et l’on vient à regarder comme de la duperie les vertus qui doivent [être] l’appanage de la noblesse, comme elles sont le véritable privilège, le soutien solide des premiers ordres de l’état »…
Réflexions sur « l’art de conjecturer » :
« de son sage emploi dépend souvent notre bonheur », mais il « n’est fondé que sur des probabilités, des vraisemblances et même des possibilités »…
« Le caractère d’un peuple est sans contredit le principal ressort qui le fait mouvoir. Un gouvernement éclairé ne devrait jamais le perdre de vue. Il importe de le bien connaître pour réprimer ses défauts, pour tirer parti de ses qualités »… En lisant César et Tacite, « l’on saura ce que nous avons retenu des vertus de nos ancêtres. Je laisse à chacun le soin de décider si aux vices de leur barbarie nous n’avons pas joint ceux d’une extrême civilisation »…
Un note sur « l’usage du tems, le seul instituteur solide », amène cette brève confidence intime : « Mon cœur désabusé sans avoir joui se résignait et demandait plus d’amour pour le consoler. J’avais besoin d’espérances, et tout ce qui m’environnait me semblait froidement immuable ».
Talleyrand termine par des souvenirs et un portrait de Dominique-Joseph GARAT, « exclusivement métaphisicien », « logicien moins fort moins pressant, moins impérieux que l’Abbé SIÉYÈS. Il a l’esprit moins franc et moins profond, plus de philosophie personnelle, plus de sensibilité. […] Il aime la vertu, il ne connaît pas les hommes »…
Souvenir de MIRABEAU, « plus audacieux que courageux, présomptueux et vain plutôt que fier, ses manières étoient gigantesques plutôt qu’enthousiastes »… Quelques pensées sur le lien entre l’injustice et l’indépendance, et remarque ironique sur la croyance en l’immortalité de l’âme… « Les empires ont aussi leur caducité »…