Lot n° 508

NIETZSCHE Friedrich (1844-1900). L.A.S. « Nietzsche », Nizza (Nice) pension de Genève 26 octobre 1886, [à Reinhard von SEYDLITZ] ; 4 pages in-8 ; en allemand.

Estimation : 15 000 - 20 000 €
Adjudication : 27 300 €
Description
♦ Belle lettre de Nice, évoquant ses livres Also sprach Zarathustra et Jenseits von Gut und Böse.
[Le peintre et écrivain Reinhard von SEYDLITZ (1850-1931), ami de Liszt et Wagner, avait rencontré Nietzsche au festival de Bayreuth en 1876 ; devenu son ami, il avait passé plusieurs semaines avec lui à Sorrente en 1877. Seydlitz est alors à Munich. Nietzsche séjourne à Nice pour la quatrième fois. Il fait ici allusion à la colonie de « Nueva Germania » fondée par son beau-frère Bernhard Förster, mari de sa sœur Elisabeth, au Paraguay, où il avait un moment songé à se rendre, mais qui connaissait de grandes difficultés financières.]

« Lieber Freund,
Schönsten Dank ! – Aber ich will nicht nach Paraguay, wohin man nicht einladet. Viel eher noch nach München : vorausgesetzt, daß ich wieder heiterer und “menschenfreundlicher” werde, als ich jetzt gerade bin.
Was für ein schwermüthiger Herbst ! Bleigewichte überall, Niemand, der mich etwas aufhellt, – und nichts um mich als meine alten Probleme, die alten rabenschwarzen Probleme ! – Hast Du Dich in meinem Jenseits umgethan ? (Es ist eine Art von Commentar zu meinem Zarathustra. Aber wie gut müßte man mich verstehn, um zu verstehn, in wie fern es zu ihm ein Commentar ist !) Ein Buch für die Menschen umfänglichster Bildung, z. B. Jacob Burckhardt und Henri Taine, die ich einstweilen für meine einzigen Leser halte : und zuletzt nicht einmal ein Buch für sie –, sie haben weder die gleiche Noth noch den gleiche Willen mit mir gemein. – Dies ist Einsamkeit : – ich habe Niemanden, der mit mir mein Nein und mein Ja gemein hätte !
Die Reise nach Corsica gab ich auf, weil mir der Mensch, der mich dahin begleiten sollte, gänzlich bei näherer Besichtigung zuwider wurde. Meine Drei-Viertels-Blindheit zwang mich, alles eigne Experimenten zu lassen und schnellstens nach Nizza zu flüchten, das meine Augen “auswendig gelernt” haben. Ja, gewiß ! Es hat mehr Licht, als München ! Bis jetzt weiß ich außer Nizza und dem Engadin keine Gegend, wo ich noch es aushalte, täglich ein paar Stunden mit den Augen thätig zu sein. Aber auch damit geht es vielleicht mit diesem Winter zu Ende. – Habe nur Geduld : ich komme schon noch nach München.
Vielleicht giebt es daselbst ein sehr lustiges weibliches Geschöpf, mit dem ich lachen kann ? Ich muß das Lachen nachholen.
Von Paraguay aus die herzlichsten Grüße an Dich ud Deine liebe Frau, der ich wünsche bestens empfohlen zu sein.
Treulich
Dein Nietzsche
Den Wagnerianern (namentlich Levi) in München allesammt meine besten compliments, sincères et tendres ! »

Il n’ira pas au Paraguay, où il n’est pas invité. Il va plutôt partir pour Munich, en espérant en revenir plus gai et sociable qu’il ne l’est déjà. Quel automne maussade !, plombé de ses mêmes vieux problèmes noirs comme le jais… Seydlitz s’est-il reconnu dans son Jenseits [Par-delà le bien et le mal] ? C’est une sorte de commentaire de son Zarathoustra. Mais va-t-on bien le comprendre, et comprendre dans quelle mesure il s’agit d’un commentaire ? Un livre pour les gens de la plus grande éducation, par exemple Jacob BURCKHARDT et Hippolyte [Nietzsche écrit « Henri »] TAINE, que Nietzsche considère pour le moment comme ses seuls lecteurs ; et finalement ce n’est pas seulement un livre pour eux –, ils n’ont ni la même envie ni la même volonté que lui. – C’est ça la solitude, il n’a personne qui soit d’accord avec ses oui et avec ses non !

Il abandonne son projet de voyage en Corse, car la personne qui devait l’accompagner [le journaliste et poète Paul LANZKY] est accaparé par d’autres obligations. Étant aux trois-quarts aveugle, Nietzsche est obligé d’abandonner toutes ses expériences et de fuir au plus vite à Nice, que ses yeux ont apprise par cœur. Il y a plus de lumière qu’à Munich ! En dehors de Nice et l’Engadine, il ne connaît pas de région où il puisse encore supporter d’activer ses yeux quelques heures par jour… Mais patience : il part pour Munich bientôt. Peut-être y a-t-il à cet endroit une créature féminine très drôle avec laquelle il pourra rire ? Il a du rire à rattraper ! Il ajoute un mot pour le Wagnérien (nommé Levi) à Munich, avec ses meilleurs (en français :) « compliments, sincères et tendres ! » [Hermann LEVI, qui avait dirigé en 1882 la première représentation de Parsifal].
Briefwechsel (KGB II.3, 270-271 Nr 768).
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