Lot n° 514

PROUST Marcel (1871-1922). L.A.S. « Marcel Proust », [11 mai 1915, à Émile STRAUS] ; 5 pages in-8 (trace d’onglet).

Estimation : 3 000 - 4 000 €
Adjudication : Invendu
Description
Amusante lettre pleine de fantaisie, rédigée après une soirée arrosée de cidre chez les Straus.

[Émile STRAUS (1844-1929), riche avocat, avait épousé la veuve de Georges Bizet, Geneviève Halévy (1849-1926), qui sera une fidèle amie et correspondante de Proust, et dont le salon fut des plus influents de Paris. Proust raille ici un défaut de prononciation de son ami, qui appuyait sur le u de Guise.]

« Tout à l’heure quand vous m’avez cité l’exemple de Guise, j’étais si fort intimidé par votre attitude qui semblait à tout le moins me menacer de la guillotine (et non gu-illotine) que je n’ai guère trouvé (et non gu-ère) à vous citer que Guiche. Mais à peine eus-je saisi comme une guide et non guide, la rampe de votre escalier, que les exemples me sont revenus en foule et que si j’avais été sûr de pouvoir guérir (et non gu-érir) la crise d’asthme que cela m’eût donnée, je n’aurais pas hésité à remonter quatre à quatre (et non qu-atre). Je me suis rappelé l’admiration un peu excessive que vous avez vouée à cet excellent conteur : Guy de Maupassant (et non Gu-y), que vous avez dit fort drôlement autrefois que le nez de Grosclaude avait l’air piqué (et non qu-é) par une guêpe (et non gu-êpe). Je n’aurais pas rappelé devant Madame Straus que vous trouvez Madame (j’omets le nom pour le cas où cette lettre serait vue) aguichante et non agu-ichante. Du reste nous pourrons reparler de tout cela puisque vous m’avez invité à venir faire chez vous un gueuleton improvisé (et non gu-euleton) ou au moins à boire de votre cidre que je préfère même à celui de Guillaume le Conquérant et non Gu-illaume. Et je vous promets, puisque vous m’y trouvez profane, de ne plus vous parler de la guerre (et non gu-erre).
Présentez je vous prie mes plus respectueux hommages d’admiration à Madame Straus, dites-lui que je voudrais bien aller voir avec elle (mais je suis trop malade) l’exposition de tapisseries et de vieilles guipures (et non gu-ipures) flamandes du Petit Palais. En attendant je tâcherai de lui envoyer à défaut de gui et non de gu-i, de quoi ce n’est pas la saison, quelques guirlandes de pommier (et non gu-irlandes) »…

Il ajoute en haut de la lettre : « J’espère que vous ne serez pas fâché de cette lettre, mes sentiments sont toujours restés les mêmes depuis les temps lointains où j’attendais chez vos clientes Me de Guerne (et non de Gu-erne) et y rencontrais Guiraud (et non Guiraud) jusqu’à Aix où nous nous promenions dans les Allées Marguerite et non gu-erites. A propos de Gue (non pas de guenon) votre ami M. de Seré de Rivière n’a-t-il pas perdu son rêve Gueneau de Mussy et non Gueneau ».

Correspondance (éd. Ph. Kolb), t. XIV, p. 124 (texte inexact).
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