Description
d’origine (24,5 x 18,5 cm) demi-basane rouge avec petite bordure de plamettes à froid, dos lisse avec filets dorés, coin de parchemin vert, tranches mouchetées, plats de papier marbré rouge et noir.
► Précieux journal intime où Sand évoque la fin de son amour pour Michel de Bourges, son amitié avec Liszt et Marie d’Agoult, ses rêves et ses émotions, ses réflexions philosophiques.
Ce journal a été écrit dans un cahier relié portant l’étiquette du papetier parisien Chaulin, formé de feuillets de papier vélin fin filigrané JWhatman, à l’encre brune (quelques pages à l’encre rouge), au recto des feuillets, sans marge, avec des ratures et corrections. Des feuillets ont été découpés ou arrachés du cahier, et certaines pages ont été caviardées ou en partie coupées par Sand lors d’une relecture, peut-être lors de la rédaction d’Histoire de ma vie. Maurice Sand a collé sur la couverture une étiquette de papier vert et noté : « 1837-1839-1840 Journal pensées fragments ».
Ce cahier a été publié (non sans inexactitudes) par Aurore Lauth-Sand en 1926 dans le Journal intime (posthume) (Calmann-Lévy) de sa grand-mère, volume rassemblant le Journal intime de 1834 (détruit, connu d’après une copie), ces Entretiens (p. 39-111), et des fragments de l’album Sketches and hints. Georges Lubin a republié ces Entretiens dans les Œuvres autobiographiques (Bibliothèque de la Péiade, t. II, p. 977-1018), sans avoir connaissance de ce manuscrit, qui avait été vendu par Aurore Sand au libraire Marc Loliée.
La page de titre est ainsi rédigée : « Entretiens journaliers avec le très docte et très habile Docteur Piffoel. Professeur de Botanique et de psychologie [et de philosophie biffé] », avec la date 1837.
Le titre humoristique fait référence au surnom que s’était donné George Sand, à cause de son gros nez, lors des excursions en Suisse avec Franz Liszt et Marie d’Agoult.
Suit une Préface (1 p.) :
« Oui, mon cher et gracieux Docteur, faire un journal c’est renoncer à l’avenir, c’est vivre dans le présent, c’est avouer à l’implacable, qu’on n’attend plus rien de lui, qu’on s’accommode de chaque jour et qu’il n’y a plus de relation entre ce jour là et les autres. […] On ne fait un journal que quand les passions sont éteintes, ou qu’elles sont arrivées à l’état de pétrification qui permet de les explorer comme des montagnes d’où l’avalanche ne se détachera plus. Ce travail constate un état de solidité effrayante et que je ne souhaite à personne, sinon à ceux qui étaient en pleine éruption et qui n’auraient pu rien garder de leurs feux s’ils ne s’étaient arrêtés tout d’un coup au milieu de leur vomissement ».
Suivent 15 pages de journal, du 1er au 6 juin [1837], avec de belles pages évoquant le séjour à Nohant de Franz LISZT et Marie d’AGOULT (Arabella) : « La chambre d’Arabella est au rez de chaussée sous la mienne. Là est le beau piano de Franz. Au dessous de la fenêtre d’où le rideau de verdure des tilleuls m’apparaît, est la fenêtre d’où partent ces sons que l’univers voudrait entendre, et qui ne font ici de jaloux que les rossignols. Artiste puissant, sublime dans les grandes choses, toujours supérieur dans les petites. Triste pourtant, et rongé d’une plaie secrette. Homme heureux, aimé d’une femme belle, généreuse, intelligente et chaste. […] Quand Franz joue du piano, je suis soulagé. Toutes mes peines se poétisent, tous mes instincts s’exhaltent. Il fait surtout vibrer la corde généreuse. Il attaque aussi la note colère, presqu’à l’unisson de mon énergie. Mais il n’attaque pas la note haineuse. Moi, la haine me dévore, la haine de quoi ? Mon Dieu, ne trouverai-je jamais personne qui vaille la peine d’être haï ? Faites-moi cette grâce, je ne vous demanderai plus de me faire trouver celui qui mériterait d’être aimé »... La dernière page a été en partie déchirée, suivie de la trace de feuillets arrachés.
Le journal reprend (27 pages) du 11 au 26 juin. Sand s’y interroge sans aménité sur l’échec de sa liaison avec MICHEL de Bourges : « Mon cher Piffoel, apprends donc la science de la vie et quand tu te mêleras de faire des romans, tâche de connaître un peu mieux le cœur humain. Ne prends jamais pour ton idéal de femme, une âme forte, désintéressée, courageuse, candide. Le public la sifflera et la saluera du nom odieux de Lélia l’impuissante. Impuissante ! oui, mordieu, impuissante à la servilité, impuissante à l’adulation, impuissante à la bassesse, impuissante à la peur de toi. Bête stupide, qui n’aurais pas le courage de tuer, sans des lois qui punissent le meurtre par le meurtre et qui n’as de force et de vengeance que dans la calomnie et la diffamation ! Mais quand tu trouves une femelle qui sait se passer de toi, ta vaine puissance tourne à la fureur et ta fureur est punie par un sourire, par un adieu, par un éternel oubli ». Le 12 juin, célèbre page sur Liszt et Marie d’Agoult, sublime nocturne dont nous ne citerons que ces quelques lignes :
« Ce soir là pendant que Franz jouait les mélodies les plus fantastiques de Schubert, la princesse se promenait dans l’ombre autour de la terrasse, elle était vêtue d’une robe pâle, un grand voile blanc enveloppait sa tête et presque toute sa taille élancée. […] Le rossignol luttait encore, mais d’une voix timide et pâmée. Il s’était approché dans les ténèbres du feuillage et plaçait son point d’orgue extatique comme un excellent musicien qu’il est, dans le ton et dans la mesure »... D’autres pages abordent la question de l’éducation, la politique et le progrès… Elle interpelle violemment Michel de Bourges : « tu es un grand maître. Oh que je t’ai connu sublime de tendresse ! paternel, persuasif, inspirant de fanatiques dévouemens ! Pourquoi, vieillard, ton cœur s’est-il endurci ? Pourquoi de tes enfans as-tu voulu faire des esclaves ? […] Quel homme avait pourtant mieux compris la puissance de la bonté ? Mais toute puissance enivre l’homme et il ne sait s’arrêter nulle part »... Le 23, elle note : « Depuis huit jours j’ai eu plusieurs tentations de suicide, et les devoirs de la famille m’ont paru insupportables. Enfans, enfans ! vous êtes des tyrans, vous nous forcez à vivre »... Après la trace de quelques pages arrachées, quelques notations inquiètes sur la maladie de sa mère (29 juin-6 juillet, 1 page).
Sur les 3 pages suivantes, Sand a collé les 3 feuillets d’un fragment retrouvé de 1836, témoignage « d’une des plus douloureuses phases de ma vie. J’étais à deux doigts de la folie, mais je n’avais plus la pensée du suicide », intitulé Traitement : « Arrivé à un certain degré de la maladie, ne plus raisonner ses causes, les accepter, comme fatales, et lutter contre ses effets »...
Un feuillet recto-verso, daté « Automne 1837 », dresse un bilan : « Récapitule un peu ce qui s’est passé depuis trois mois que tu ne te regardes plus vivre. T’en souviens-tu seulement ? N’as-tu pas déjà oublié les faits ? Ta mère morte, ton fils sauvé, ta fille enlevée et reconquise »…
Reprenant son journal en « Juin 1839 » (4 pages), elle s’interroge sur cette interruption en un amusant dialogue, suivi d’une discussion avec sa fille Solange, puis l’apparition du spectre de Buloz.
Le journal reprend en décembre 1840, à « Paris – rue Pigale 16 » (12 feuillets, avec des coupures), avec le récit d’un dîner de Polonais, marqué par une improvisation de MICKIEWICZ, puis une dissertation sur l’extase, qui s’achève en célébrant le génie du grand poète polonais.
Le 7 janvier 1841, beau portrait de Henri HEINE :
« Heine a des mots diablement plaisans. Il disait ce soir en parlant d’Alfred de MUSSET : C’est un jeune homme de beaucoup de passé. Heine dit des choses très mordantes, et ses saillies emportent le morceau. On le croit foncièrement méchant, mais rien n’est plus faux ; son cœur est aussi bon que sa langue est mauvaise. Il est tendre, affectueux, dévoué, romanesque en amour »… Suivent des propos assez méchants sur quelques femmes (les noms ont été découpés, mais elles sont reconnaissables) : Mme Charles Didier, Delphine de Girardin, Marie d’Agoult, Hortense Allart. Après une coupure, et une note du 17, elle évoque, le 18 janvier, Pauline VIARDOT qui va partir pour Londres : « C’est la seule femme depuis dix ans que j’aie aimée aussi tendrement. C’est la seule femme depuis Alicia la religieuse que j’aie aimée avec un enthousiasme sans mélange, et je crois bien que dans toute ma vie, elle sera la seule que je puisse et doive chérir et admirer avec raison, avec certitude »…
Sur les 3 feuillets suivants, Sand a collé 6 pages in-8 provenant probablement d’un carnet : « Parmi les mille grandes et excellentes raisons qu’on peut alléguer contre la doctrine d’individualisme absolu, si fort à la mode en ces tristes jours, il y a une toute petite raison fondée sur un fait d’observation que je veux consigner ici. Avez-vous jamais vu une personne qui vous parut entièrement nouvelle et inconnue ? Quant à moi, cela ne m’est jamais arrivé. Tout au contraire, au premier abord d’un individu que je n’ai jamais vu, je crois le reconnaître, je cherche où j’ai pu le rencontrer, et je me demande ce qu’il y a de changé en lui à ce point de m’empêcher de trouver son nom »... La fin de ce passage est très marquée par l’influence de Lavater.
À la fin du cahier retourné, deux pensées inédites.
En tête du cahier, Maurice Sand a monté divers manuscrits autographes de sa mère.
« Noms des pensionnaires et des religieuses de mon couvent » (1 page oblong in-4) : Sand a noté les noms de ses amies et de ses maîtresses au couvent des Augustines anglaises.
« Poeme par Aurore Dupin 1818 dite calpin boutefeu mad. cap » (petit cahier de 9 pages in-8, avec des notes sur la dernière page), brouillon en 3 chants de cet amusant poème fait au couvent des Augustines anglaises.
« Résolutions d’Aurore Du Pin » (2 pages et demie in-4, fentes), résolutions religieuses (vers 1818-1819).
Poème en 3 strophes de 9 vers pour sa fille Solange : « Pour toi, Solange, / Mes amours / Je chanterai toujours »… (1 page in-12 sur papier rose, 1836 ou 1837).