Lot n° 536

TOLSTOÏ Léon (1828-1910). MANUSCRIT signé « Leon Tolstoy » avec CORRECTIONS et ADDITIONS autographes et L.A.S. d’envoi, Zola et Dumas fils. Le non agir, 1893 ; 42 pages in-8, enveloppe d’envoi jointe (1ère et dernière pages un peu salies)...

Estimation : 20 000 - 25 000 €
Adjudication : 24 700 €
Description
; en français.

► Important texte sur l’avenir de l’humanité et l’idéal chrétien, abondamment corrigé par Tolstoï.

En juin 1893, le rédacteur de la Revue des revues avait envoyé à Tolstoï des coupures de journaux avec le discours À la jeunesse prononcé par Émile ZOLA au banquet l’Association générale des étudiants en mai, et une lettre d’Alexandre DUMAS fils au rédacteur du Gaulois, parue dans ce journal le 1er juin sous le titre Le Mysticisme à l’École.

Le 10 juin 1893, Tolstoï note dans son Journal qu’il a commencé son article « sur la lettre de Zola et de Dumas », et le 21 juin qu’il a « envoyé par Kouzminski l’article sur les lettres de Zola et Dumas à la Revue de famille », dirigée par Jules Simon.

Dans une lettre du 23/25 juin, il en résume la teneur à son fils Lev : « je souligne la sottise du discours de Zola et la clairvoyance de Dumas, et j’exprime simplement mes idées aussi bien sur la science que sur ce que seulement l’assimilation de la vue chrétienne par les hommes sauvera l’humanité ».
L’article avait été envoyé à un traducteur à Saint-Pétersbourg, puis renvoyé à Tolstoï, qui l’expédia plus tard à la Revue de famille (le 18 juillet, il note qu’il n’est « toujours pas expédié ») ;
le 16 août, dans un bref bilan récapitulatif des semaines précédentes, il précise : « Terminé et envoyé l’article Le Non-agir en français et en russe ».

Le Non-agir paraît en russe sous le titre Nedelanie, dans Severnyj Vestnik en septembre 1893 (n° 9). C’est, non pas la Revue de famille qui publie en français Le Non-agir, mais la Revue des revues dans son numéro du 1er octobre 1893, dans une mauvaise traduction, faite sur la traduction anglaise ; Tolstoï juge sévèrement dans son Journal (5 octobre) cette « traduction détestable […] cela m’a chagriné ».

Dans une lettre du 30 septembre/12 octobre, il charge son traducteur Halpérine-Kaminsky de faire insérer dans le Journal des débats et le Figaro ce rectificatif : « La traduction de mon article Le Non-agir publié dans la Revue des Revues du 1er octobre a été faite à mon insu et est tellement défectueuse que je n’en accepte pas la responsabilité ».
Tolstoï dut rentrer en possession du manuscrit français, et le revoir attentivement, avant de le renvoyer en mars 1895 à Halpérine-Kaminsky. La nouvelle version de Zola et Dumas. “Le non-agir” parut dans la revue Cosmopolis de mars 1896 (p. 761-774), avec cette note de la rédaction : « A la suite du discours prononcé par M. E. Zola à l’Association générale des étudiants (mai 1893) et d’une lettre de M. Alexandre Dumas, parue le 1er juin de cette même année, sur l’esprit de la Jeunesse des Écoles, M. L. Tolstoï écrivit en russe une réponse intitulée : le Non-Agir. Cet écrit fut analysé et complètement défiguré par la presse française, au point que M. L. Tolstoï dut faire démentir par son éminent traducteur français, M. Halpérine-Kaminsky, le sens que l’on donnait à ses paroles. Depuis, M. Léon Tolstoï lui-même a récrit complètement sa réponse en français. C’est cette réponse, notablement différente du premier texte russe et inédite, que nous sommes heureux de pouvoir donner à nos lecteurs ».

Le texte en fut repris peu après dans un volume de textes de Tolstoï préparé par Halpérine-Kaminsky : Zola, Dumas, Maupassant (Léon Challaye, 1896, p. 47-91). Dans son Avant-propos, Halpérine-Kaminsky rappelle les circonstances d’écriture du Non-agir, et insère dans le volume les textes de Zola et de Dumas fils qui ont fait réagir Tolstoï, et il précise : « l’article sur Zola et Dumas (le Non-agir) m’a été envoyé par Tolstoï expressément pour l’édition française, écrit en français avec de notables changements sur le texte russe paru précédemment. Je le donne tel quel ».

Le manuscrit est écrit par le traducteur au recto de 41 feuillets de papier ligné, numérotés 1 à 18 et 1 à 23, à l’encre bleue puis noire, avec une pagination ajoutée au crayon bleu au moment de l’impression de 8 à 48.

Au verso du dernier feuillet, L.A.S. de Tolstoï : « Mon cher Monsieur Villot si par hasard l’article arrivait trop tard pour le N° de Septembre, ayez la bonté de m’en envoyer une copie pour que je puisse y faire quelques corrections pour le N° suivant. Tout à vous L. Tolstoy » En marge, une note au crayon, datée 16/23/VIII/93, indique qu’il a été répondu à Tolstoï, et précise de « ne pas faire de coupures. C’est le désir absolu du Cte ».

L’enveloppe d’envoi à Halpérine-Kaminsky à Paris porte les cachets de départ de Moscou du 5 mars 1895, et d’arrivée à Paris le 22 mars.

♦ Le manuscrit a servi pour l’impression, et porte des marques des typographes. Il présente de nombreuses corrections et additions autographes (plus de 40) de la main de Tolstoï à l’encre bleu nuit, allant d’un mot à une ou deux lignes, soit plus de 130 mots. Si quelques rares corrections à l’encre noire semblent faites par Halpérine-Kaminsky, une autre main a porté de nombreuses corrections à l’encre violette, probablement le rédacteur de Cosmopolis, pour améliorer des tournures de phrases, rectifier la syntaxe, trouver un mot plus juste, récrivant certains phrases, etc., pour mettre au point le texte de Cosmopolis (les divisions du texte en chiffres romains ont été ajoutées) ; on notera cependant que le nom de Loodzi est resté sur le manuscrit, et qu’il sera rectifié en Lao-Tseu dans la revue.
Parmi les corrections de Tolstoï, notons cette phrase ajoutée (p. 3) : « Si les hommes suivaient la loi du tao ils seraient heureux » ; p. 4, après « tous les militaires », il ajoute : « tous les geoliers, tous les bourreaux »… Etc. Vers la fin, deux passages ont été biffés par Tolstoï et ne figurent pas dans la publication.
À la fin du manuscrit, Tolstoï a signé « Léon Tosltoy » et inscrit la date « 9 Août 1893 ».

Au début de son texte, Tolstoï souligne que les textes de Zola et Dumas présentent « l’expression des deux forces fondamentales qui composent la résultante suivant laquelle se meut l’humanité ; l’une, la force de la routine, qui tâche de retenir l’humanité dans la voie qu’elle suit ; l’autre, celle de la raison et de l’amour, qui la pousse vers la lumière ». Et il se réfère à LAO-TSEU et sa doctrine du tao, qui « ne peut être atteint que par le non-agir ». Tolstoï critique sévèrement Zola et sa foi dans le travail et dans la science. Puis il en vient à la lettre de Dumas, qu’il juge prophétique :
« 1° comme toute prophétie, elle est tout à fait contraire à la disposition générale des hommes au milieu desquels elle se fait entendre ;
2° cependant tous ceux qui l’entendent ressentent sa vérité,
et
3° surtout, elle pousse les hommes à réaliser ce qu’elle prophétise ».

Et Tolstoï prêche l’idéal chrétien que devrait adopter l’humanité…
Et il conclut : « la conception de la vie païenne et égoïste remplacée par la conception chrétienne, l’amour du prochain deviendrait plus naturel que ne le sont à présent la lutte et l’égoïsme. Et une fois l’amour du prochain devenu naturel à l’homme, les nouvelles conditions de la vie chrétienne se formeraient spontanément, tout comme, dans un liquide saturé de sel, les cristaux se forment dès qu’on cesse de le remuer. Et pour que cela se produise et que les hommes s’organisent conformément à leur conscience, il ne leur faut aucun effort positif ; ils n’ont au contraire qu’à s’arrêter dans les efforts qu’ils font. Si les hommes employaient seulement la centième partie de l’énergie qu’ils dépensent dans leurs occupations matérielles, contraires à toute leur conscience, à éclairer autant que possible les données de cette conscience, à les exprimer aussi clairement que possible, à les populariser et surtout à les pratiquer beaucoup plus tôt et plus facilement que nous ne le pensons s’accomplirait au milieu de nous ce changement que prédit M. Dumas, et qu’ont prédit tous les prophètes, et les hommes acquerraient le bien que leur promettait Jésus par sa bonne nouvelle : “Recherchez le royaume des cieux et tout le reste vous sera accordé par surcroît”. »
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