Lot n° 791

BORN MAX (1882-1970) PHYSICIEN ALLEMAND. 17 L.A.S., 1 L.S. et 5 cartes postales a.s., la plupart de Göttingen 1910-1937, au physicien Rudolf LADENBURG ; 77 pages in-4 ou in-8 et 5 cartes postales avec adresses, une enveloppe ; en allemand.

Estimation : 7 000 - 8 000 €
Adjudication : 9 100 €
Description
► Belle et riche correspondance amicale et scientifique avec un ami et collègue, notamment pendant la guerre de 1914-1918.

Le physicien allemand Rudolf LADENBURG (1882-1952) étudia à Heidelberg, Breslau puis Munich, où il soutint son doctorat sous la direction de Wilhelm Röntgen. Il travailla à l’Institut de Physique de l’université de Breslau (Wroclaw), mais, d’origine juive, il émigra aux États-Unis en 1932, et enseigna à l’université de Princeton, où il mourut. Ladenburg aida les scientifiques allemands fuyant les persécutions nazies à s’installer aux États-Unis.

Dès août 1914, Ladenburg sert comme officier dans les Dragons prussiens, alors que Born a été réformé pour cause d’asthme.

→ Les 14 lettres datant de la période de guerre 1914-1915 sont principalement consacrées à des observations sur les événements de la guerre – d’un point de vue allemand évidemment – et souvent aussi à des sujets scientifiques.
Nous ne pouvons donner qu’un rapide aperçu de ces lettres souvent longues.

Pontresina 4 septembre 1910, carte postale de vacances.

– Zandvoort 3 août 1911. Il ne pourra être présent au mariage de son cher Rudi : « Tu sais déjà pourquoi. Mes propres espoirs sont désormais anéantis et il m’est nécessaire de penser à autre chose. […] Jusqu’à maintenant nous avons vécu toutes nos expériences ensemble, et je sais que tu serais maintenant également à mes côtés, mais cela ne ferait que troubler ta propre joie, sans que tu puisses m’aider. […] Tu aurais dû choisir un ami moins malchanceux »… Il compte se rendre à Bayreuth mais n’a pas de projet pour la suite. Il ira probablement à Breslau en septembre. Il ne pense pas retourner à Göttingen en hiver, car sa carrière académique lui semble être sur le point de se terminer : « Mais cela m’importe peu. Je ne suis pas en mesure de travailler ». Il acceptera peut-être la proposition d’Albert Michelson de le rejoindre à Chicago…

– Göttingen 27 août 1914. Il s’inquiétait de Rudi, l’imaginant lors de tours de patrouille solitaires avec la vermine Franctireur (« auf einsamen Patrouillenritten mit Franctireur -Gesindel »). Il sentait bien alors la place qu’il tenait dans son cœur, comme s’il était son cher frère (« Dann fühlte ich so recht, wie sehr Du mir ans Herz gewachsen bist, als wärst Du mein leiblicher Brüder »)… Les dernières nouvelles reçues sont la chute de Namur et la victoire autrichienne à Krasnik au sud de Lublin. Du reste les rapports autrichiens sont bien moins fiables et précis que les rapports allemands ; on entend plus parler de dix cosaques capturés que de toute la bataille de Metz… Max PLANCK lui a écrit pour lui dire que le poste de Max von LAUE à Berlin devrait bientôt lui être proposé ; mais en ces temps le destin personnel importe si peu…

– 9 septembre, après la première lettre reçue depuis le champ de bataille. Ce doit être un sentiment de fierté bien différent de celui de faire des découvertes scientifiques, lorsque l’on a servi courageusement dans l’armée (« es muss doch noch ein ganz anderes, stolzes Gefühl sein, als wissenschaftliche Entdeckungen zu machen, wenn man durch einen kühnen Ritt der Armee einen Dienst leistet »). Les nouvelles des combats se limitent aux rapports officiels. Le dernier disait que Maubeuge avait capitulé, 40.000 prisonniers, 400 canons, 4 généraux, etc. La France, la Russie et l’Angleterre ont signé un protocole de paix le 4 septembre... Tous les érudits ont rejeté la note commune leur décernant les honneurs des organismes anglais (« Körperschaften ») et protesté contre la barbarie de l’Angleterre. Born trouve qu’à l’avenir on devrait rejeter toute communauté culturelle avec l’Angleterre (« Ich finde, daß man auch in Zukunft jede Kulturgemeinschaft mit England ablehnen soll »)…

– 25 septembre. Il est question des pertes à Verdun et de la nouvelle réjouissante du torpillage de trois embarcations anglaises avec 2000 hommes d’équipage par un sous-marin U9. Cette arme semble redistribuer les cartes de toute la guerre navale. Désormais, briser le pouvoir naval de l’Angleterre ne paraît pas chose si inespérée…

– 10 octobre. Mort du roi CAROL de Roumanie, qui était un ami des Allemands ; qui sait ce que va faire la Roumanie maintenant. Une intervention ennemie serait plus fatale pour l’Autriche… Born se demande si le poison russe n’aurait pas joué un rôle dans la mort rapide du roi ; on est désormais prêt à tout croire »… En attendant, il occupe son temps aussi bien que possible, par le travail et la correspondance. Il poursuit la revue Die Physikalische Zeitschrift à la demande de l’éditeur... Il n’a aucune nouvelle de Busch et se fait beaucoup de souci à son sujet. Il s’interroge sur le sort d’autres connaissances communes, mais les nouvelles des amis autrichiens et hongrois sont rares à cause de la censure…

– 11 novembre. Il a été très occupé par le début du semestre et ses conférences, qui n’ont attiré que peu d’auditeurs, mais pour la plupart des dames : cette activité peut nous sembler superficielle mais il faut bien faire son devoir, dans la mesure du possible, et parfois cela permet d’oublier la guerre pour une demi-heure… Il s’imagine bien que Rudi n’a pas le calme nécessaire là-bas sur le champ pour suivre la littérature physicienne et lire les travaux de Max PLANCK. Lui-même y parvient à peine, alors qu’il a tout le temps pour ça… Peter DEBYE est son voisin, et il espère le voir plus souvent : c’est bien le seul homme avec lequel il puisse de temps en temps parler d’autre chose que de la guerre. Ils travaillent sur des problèmes qui peuvent se poser aux gens sur le champ de bataille : par exemple un miroir qui permette d’observer depuis la tranchée sans qu’un homme ait à s’exposer, l’on pourrait ainsi éviter des pertes parmi les officiers d’infanterie ; on pourrait aussi trouver des positions d’artillerie qui ne seraient pas visibles. Suivent des explications sur cet éventuel dispositif et un petit schéma ainsi que de longues considérations sur l’avancée et l’issue de la guerre…

– 29 décembre. Il se fait beaucoup de souci pour Rudi depuis qu’il sait qu’il sert dans l’infanterie des tranchées…Il aimerait savoir comment il a fêté Noël, s’il y a eu pour un laps de temps la paix sur terre… Il évoque la mort tragique du physicien Otto SACKUR, survenue lors d’une explosion dans un laboratoire : malheureusement ce genre de choses arrive aussi en dehors du champ de bataille. Born l’aimait beaucoup et appréciait hautement ses compétences…

– Göttingen 1er février 1915. À Berlin sont tous les jeunes physiciens en service actif pour la guerre. Ainsi Franck z.B. travaille sur l’artillerie lourde ; Fritz HABER met au point de nouvelles armes chimiques [les terribles gaz qui feront tant de victimes]… DEBYE travaille sur un modèle d’hydrogène très simple (« Debye hat etwas hübsches gemacht: ein ungeheuer einfaches Wasserstoffmodell, das folgende Eigenschaften hat [...] Dispersion im nichtleuchtenden Zustand, innere Reibung, speziftsche Wärme etc. Es besteht aus 2 positiven Ladungen, in denen die Masse des Moleküls konzentriert ist (Rutherfords Kerne), in deren Aquator-Ebene 2 Elektronen kreisen ») [croquis]…

– 10 février. Il écrit certes peu, mais travaille beaucoup. Jusqu’à présent il n’en avait nulle envie, cela lui semblait si peu important. Mais lorsqu’il était à Berlin, PLANCK lui a dit que les non-conscrits devaient travailler deux fois plus pour maintenir la science à jour, et cela l’a beaucoup marqué… Il travaille sur le réseau cristallin (« Krystallgitter »)… Suivent des réflexions sur le financement de la guerre (« zum Kriegführen Geld und wieder Geld ») : le peuple est déterminé à combattre jusqu’à la fin même si toutes les ressources doivent être épuisées… Un emprunt est en réalité seulement une formalité : il maintient le cycle de l’argent. Les riches dépensent l’argent, ainsi ils accumulent des richesses privées qui seront à nouveau investies dans des emprunts de guerre. […] pour la Russie et l’Angleterre il en va évidemment tout autrement…

– 27 février, au sujet de son travail sur le « Krystallgitter », qui prend une grande ampleur, qui dépasse les travaux de RÖNTGEN : « einen gewaltigen Umfang […] Die Röntgen’sche Arbeit […] habe ich nur ganz flüchtig gelesen, weil ich für nichts, abgesehen vom Kriege, als für meine Gitterarbeit Sinn habe ; […] Dein Vorschlag betreffend der kubischen Piezo- bezw. Pyro-Elektrizität erscheint mir durchaus vernünftig »…

– Berlin 14 avril 1915. Il a beaucoup travaillé ces dernières semaines. Il lui enverra prochainement les épreuves de son livre…

– 23 avril. Nouvelles de la guerre, bataille des Dardanelles. Il a parlé quelques jours plus tôt à Otto TOEPLITZ, qui vit à Kiel et connaît beaucoup de hauts officiers marins. C’est de lui qu’il tient l’information que de nombreux experts-tireurs de la Marine allemande se trouvent maintenant en Turquie… Les journaux ont annoncé que les étudiants de Milan ont protesté contre le professeur Max ABRAHAM ; les tumultes étaient si violents que le lycée a dû être fermé. On a dit que l’Italien Abraham serait anti-allemand ; mais Born ne croit pas du tout à son positionnement anti-allemand…

– 1er mai. HABER a une part prépondérante dans le succès d’Ypres (Ypern) ; depuis des mois il travaillait à une méthode pour fumiger les gars des tranchées (« die Kerls aus den Schützengräben auszuräuschern »), et c’est une réussite. Born en sait plus sur la méthode mais ne peut évidemment rien en dire. Haber est entouré de bons physiciens : Franck, Herk, etc. Born se réjouit que la science allemande ait été ici déterminante : après la guerre tout sera restreint ; mais il y aura toujours de l’argent pour les sciences naturelles… Quant à la publication de LAUB sur les rayons X, il pense que l’observation est erronée, et les gens qui s’y connaissent sont du même avis...

– Hamburg 27.X.1925. Il part pour New York sur le Westphalia, et donne son adresse jusqu’à fin janvier à « Cambridge-Boston, Massachusetts Institute of Thechnology, Physics Department », pour participer à des entretiens de physique avec Otto STERN qui ajoute quelques mots.

– Göttingen 29.X.1928, au sujet de la préparation de son ouvrage Elementare Quantenmechanik (avec Pasqual Jordan, qui paraîtra en 1930), dont il doit rédiger le chapitre sur la Probabilité, qui sera suivi par celui sur la double réfringence électrique et magnétique rédigé par ses assistants HEITLER et ROSENFELD ( « Jetzt habe ich noch kurze Zeit mit dem Wahrscheinlichkeitskapitel zu tun, dann kommt das Kapitel über elektrische und magnetische Doppelbrechung, das inzwischen von meinen Assistenten Heitler und Rosenfeld entworfen worden ist. Es kommt alles sehr schön heraus »)…

– Göttingen 19 février 1932 (Ladenburg ets déjà parti à Princeton). Robert POHL a refusé Heidelberg et reste à Gottingen…. En Allemagne, où HABER se montre très pessimiste, on parle peu des difficultés financières en Amérique, mais il pense que le pays se relèvera vite… Son livre n’est pas fini, mais le sera probablement dans quelques semaines. Pendant les vacances de Pâques, il donnera chaque semaine à Berlin une conférence pour l’Auslandinstitut der Technischen Hochschule : avant chaque cours il note le contenu par écrit, dont on donne ensuite copie aux auditeurs ; cela donne un travail effrayant…

– München 28 septembre 1937. Ils ont passé de belles vacances à Mittelberg puis Bozen. Il a vu une belle représentation des Meistersinger la veille…

─ On joint :
• une L.A.S. de Max Born à Else, la veuve de Ladenburg (Edinburgh 8 mars 1953), lui disant qu’il pense souvent à son ami regretté et aux moments partagés, aux travaux communs ; il l’informe que James Franck et lui-même ont obtenu le titre de citoyen d’honneur de la ville de Göttingen…
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