Lot n° 66

André GIDE - Lettre autographe signée adressée à René Salomé. Cuverville en Caux, 23 février 1920. 4 pp. in-8.

Estimation : 500 - 700 €
Description
♦ Très belle lettre relative à La Symphonie pastorale

« Un ami, qui me sait désabonné de tous les « Lynx », me communique un N° de la Revue des Jeunes où je lis avec un intérêt très vif votre article sur la Symphonie Pastorale. Je passe outre vos louanges que je ne sais si je mérite, et vous remercie de l’attention avec laquelle vous m’avez lu. Mais il ne me semble pas que vous éclairiez comme il faut les raisons qui me font écrire, de sorte que je doute si, dans vos critiques, c’est bien contre moi que vous avez raison.

Vous semblez croire que l’ennui et l’inquiétude habitent mon âme et que chacun de mes livres marque un effort pour y échapper; effort vain… Oserai-je vous affirmer qu’il n’est pas de sentiment qui me soit plus étranger, que l’ennui.

Je m’avance, du plus calme et du plus souriant que je peux, sur une route en crête, ayant grand soin de ne verser de gauche ni de droite; les abîmes qui bordent la route, s’il m’arrive de me pencher sur eux et de les éclairer prémonitoirement pour autrui, comprenez que, si j’y roulais moi-même, je ne serais plus à même de les décrire de la manière que je fais.

La frontière où mène l’immoralisme (et l’inemploi de la vie après que l’on a triomphé des raisons de vivre) ; l’excès et le désarroi où le protestantisme (le jansénisme de même) peut précipiter certaines âmes; le complaisant danger que présente la libre interprétation de l’écriture…ce sont là les critiques que vous faîtes à mon Immoraliste ou à ma Porte Étroite ou à ma Symphonie. Mais ne sont-ce pas là précisément les sujets mêmes de ces livres, et pensez-vous vraiment que je les eusse écrits, si ce n’était pour y montrer ce que vous semblez y découvrir malgré moi ? Mon tort est sans doute de laisser le lecteur s’y méprendre, et votre rôle à vous est bien de l’avertir; mais persuadez-vous, je vous en prie, que cette lucidité de style, que je vous sais gré de reconnaître à mes écrits, je ne l’obtiendrais point si je m’étais ‘laissé séduire’.

Il m’arrive bien rarement de répondre aux critiques; veuillez voir dans cette lettre, je vous prie, le cas particulier que je fais de la votre et croire à mes sentiments bien cordiaux. »

L’article de René Salomé (1870-1946) paraîtra dans le numéro de mars de la Revue des jeunes (1915-1929).
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