Lot n° 836
Sélection Bibliorare

PLUTARQUE. • La Tresillustre Vie de Romulus faicte premierement et composee par Plutarche cheronense en langaige grec et depuys traduite en langue rommaine qui est latine par lapp' florentin et finablement translatee en nostre maternel usaige. ─...

Estimation : 400 000 - 600 000 €
Adjudication : 671 780 €
Description
Suivi de :
• La Tresillustre Vie du jeune Caton dit Uticense noble capitaine rommain redigee de Plutarque grec en latin et translatee de latin en francois. Sans lieu ni date [Paris, avant 1508].
Manuscrit sur velin, 2 parties en un volume in-folio [351 x 216 mm] de (90) ff., le dernier blanc avec réglures ; (128) ff. :
Maroquin olive, dos à nerfs orné à la grotesque, pièces de titre de maroquin rouge, triple filet doré encadrant les plats, coupes filetées or, bordure intérieure décorée, tranches dorées (reliure du XVIIIe siècle).


► SOMPTUEUX MANUSCRIT SUR PARCHEMIN, EN FRANÇAIS, ILLUSTRÉ DE 54 PEINTURES À PLEINE PAGE :
IL A ÉTÉ EXÉCUTÉ DANS LES PREMIÈRES ANNÉES DU XVI° SIÈCLE À PARIS.

Les 54 grandes peintures ont été réalisées par des artistes de l'entourage d'Antoine Vérard et de Jean Pichore :
le Maître de Philippe de Gueldre,
le Maître des Entrées parisiennes
et
un troisième enlumineur anonyme, peut-être François Bourchier, artiste adressé par René II de Lorraine à l'atelier parisien de Jean Pichore.

La calligraphie, en lettres rondes, est ornée de nombreuses lettrines dorées sur fond rouge ou bleu, avec des réglures à l'encre rouge.

L'hypothèse de Pächt attribuant la calligraphie du manuscrit au traducteur Simon Bourgouin, reprise dans le catalogue de l'exposition de la collection Pierre Bergé (Ex-libris Pierre Bergé, 2012, n° 4), a été contestée :

"Pächt associated the SB and SnB monograms in the Vienna manuscripts with Simon Bourgouyn and speculated that Bourgouyn acted as scribe for these manuscripts. In fact, it can be shown that Bourgouyn was translator rather than scribe" (Carley et Orth).

Contenues dans des encadrements architecturaux, les peintures illustrent des scènes de combat, d'assassinats ou de torture (f. 29).

Certaines offrent des aperçus de la vie quotidienne du Moyen-Âge finissant: machines utilisées pour la construction (ff. 1 et 29), jardins (f. 48, Cato f. 56), cortège funèbre (f. 75), jeu de palet (Caton f. 1)...

L'architecture médiévale est omniprésente.

◙ Cas exceptionnel :
le manuscrit porte la trace d'indications destinées aux illustrateurs en marge inférieure de certaines enluminures :
Feuillets 12, 16, 48, 59, 71, les plus lisibles étant celles des deux premiers, notamment "ung temple ung pasteur atable avec [?] ung dame..." (f. 12, précédant l'enluminure f. 13).

Certaines des peintures ont été attribuées à Jean Pichore - attribution réfutée par François Avril que nous remercions pour son aide précieuse.

► Le manuscrit est également d'un grand intérêt littéraire :
il offre une des toutes premières traductions des Vies de Plutarque en français, quarante ans avant celle d'Amyot.

Les Vies de Plutarque furent un des livres de chevet de la Renaissance en France : la traduction de Jacques Amyot publiée en 1559 fit figure d'événement, saluée vingt ans plus tard par Montaigne dans une formule fameuse :
"Nous autres ignorans étions perdus si ce livre ne nous eût relevés du bourbier. [...] C'est notre bréviaire."

Ces cinquante biographies - dont quarante-six groupées par paires - comparent des hommes grecs et romains illustres.
Mais, comme le souligne Maxence Hermant:
"Avant la parution de leur traduction en français par Jacques Amyot, les seules éditions disponibles étaient en grec ou en latin"
(Trésors royaux. La bibliothèque de François Ier, 2015, nº 125a).

La traduction française des Vies de Romulus et de Caton du présent manuscrit a été attribuée à Simon Bourgouin (vers 1480-1532) par James P. Carley et Myra D. Orth. Les œuvres de cet auteur, qui semble avoir été au service des rois Louis XII et François Ier, sont connues principalement par des manuscrits enluminés exécutés pour des personnages de haut rang, dont il a surveillé l'exécution. Seuls trois livres imprimés ont pu lui être attribués :
L'Homme juste et l'homme mondain, L'Espinette du jeune prince (Antoine Vérard 1508 et 1509) ainsi que sa traduction de Lucien de Samosate, éditée chez Galliot du Pré en 1530.

Simon Bourgouin fut le premier à avoir traduit en français les Vies de Plutarque et les Trionfi de Petrarque :
"He is truly remarkable for the classical texts he introduced into French and for the physical beauty of the manuscripts in which they are found" (Carley et Orth).

Si son nom n'est indiqué nulle part, le manuscrit contient, sur le dernier feuillet, deux devises qui lui sont propres :
A tousjours mais et A Domino factum est istud, tirée du Psaume 117.
De même, la division du texte en chapitres, qui est une des caractéristiques de ses travaux, vient renforcer l'attribution.

► LE MANUSCRIT A ÉTÉ EXÉCUTÉ POUR ANTOINE de LORRAINE, DIT LE BON (1489-1544), DONT LES ARMES SE TROUVENT PEINTES SUR LE TITRE.

Inconnu à Carley et Orth, il fait partie d'un groupe de cinq manuscrits commandités par la Duchesse Philippe de Gueldre pour l'éducation de son fils, le futur Duc de Lorraine, élevé à la cour de Louis XII de 1501 à 1508.
On suppose que leur exécution précède l'intronisation d'Antoine de Lorraine en décembre 1508 et la traduction des Trionfi de Pétrarque (1510).
Celui-ci fait pendant à un manuscrit aujourd'hui conservé à la National bibliothek de Vienne (ÖNB 2565), exécuté par le même copiste en lettres rondes, ayant appartenu au prince Eugène de Savoie : comme celui-ci, il se distingue par son grand format et ses peintures à pleine page.

─ PROVENANCE :
• Antoine de Lorraine, dit le Bon, avec les armes de la maison de Lorraine peintes sur le titre. Élevé à la cour de Louis XII, il se lia d'amitié avec le futur François Ier. Succédant à son père à l'âge de 19 ans, il participa aux guerres d'Italie et à la bataille de Marignan. Il épousa en 1515 Renée de Bourbon Montpensier ; Françoise Louise de Bassompierre, marquise de Stainville, dame d'honneur de la duchesse de Lorraine, avec ex-dono manuscrit sur le titre :
"Ce livre a esté donné par madame de Stainville a md de Beaupré Choiseul sa niece. 1732";
• Mme de Beaupré Choiseul;
• le Duc de La Vallière (1708-1780), pour qui l'exemplaire a été relié à nouveau; vente 1783, n° 5578;
• Jacques Joseph Van den Bloch, collectionneur bruxellois, avec inscription manuscrite en bas du dernier feuillet:
"Ce livre de la vie de Romulus et de Cato appartient a Jacques Joseph Van den Bloch, comme l'aïant acquit à la vente des livres de feu Monseigr le Duc de la Vallière l'an 1784 à Paris. Voÿez tom III premiere partie pag: 361. N° 5578 ";
• Sir Gregory Page-Turner (1748-1805), vente Christie's du 19 novembre 1824;
• Sir Thomas Phillips (1792-1872), vente Sotheby's du 1er juillet 1946, n° 30;
• H. Harvey Frost (1873-1969), avec ex-libris ;
• Frederick Fermor-Hesketh (1916-1955), vente Sotheby's du 7 décembre 2010, n° 3.

► Superbe manuscrit, relié au XVIIIe siècle en maroquin olive, pour le Duc de la Vallière.
Quelques discrètes restaurations à la reliure.

- James P. Carley et Myra D. Orth, "Plus que assez".
- Simon Bourgouyn And His French Translations from Plutarch, Petrarch, and Lucian, in Viator 34, 2003, pp. 328-363.
- Elina Suomela-Härmä, Simon Bourgouin, traducteur à l'avant-garde, in Studi Francesi 176, 2015.- François Avril, Nicole Reynaud et Dominique Cordellier, Les Enluminures du Louvre, Moyen Âge et Renaissance, 2011, p. 375.
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