Lot n° 19
Sélection Bibliorare

[LOUVRE – SECONDE GUERRE MONDIALE]. — Journal de Montal. 27 avril 1943 – 30 mai 1944. — Environ 285 pp. in-4 avec petits addenda. — Encre bleue, turquoise, verte ou noire sur papier à petits carreaux. Reliure demie-toile à coins.

Estimation : 6 000 - 8 000 €
Adjudication : Invendu
Description
Usures à la reliure et quelques petites déchirures ou décolorations à certains feuillets (p. 210).
Cahiers désaxés.

♦ Passionnant journal relatant le quotidien du château de Montal, dans le Lot, durant les années où il accueillit une partie des collections du Louvre, lors de la Seconde Guerre Mondiale.

Carnet de bord, écrit à plusieurs mains, retraçant la vie au château de Montal, en lien avec les châteaux de Vayrac et Bétaille, tous trois dépositaires des collections du Louvre, entre 1943 et 1944. Ces dépôts étaient loués par les Monuments nationaux (Montal était loué à M. et Mme de Billy, les usufruitiers, à cette époque).

C’est à l’occasion du plan de sauvetage du Louvre que la Joconde fut déplacée plusieurs fois en France (Chambord, Montauban, etc.) pour finalement être conservée, au printemps 1943, dans le Haut-Quercy (Lot), au château de Montal. Elle restera pendant presque de deux ans, comme le confirme ces écrits.

Témoignage historique relatif aux collections d’Art du Louvre pendant la guerre.

Ce manuscrit, en partie écrit sous la dictée de René Huyghe, consigne les détails de la vie à Montal : innombrables appels entrant et sortant, échangés avec les employés, directeurs, artisans, fournisseurs, etc., installations d’infrastructures (paratonnerre, extincteurs, matériel à incendie, citernes, motopompes, gouttières), transports d’essence, livraisons de charbon, location d’appartements de fonction, recrutement de gardiens, visites des l’inspecteurs et des l’architectes des monuments historiques ou nationaux, etc.

─ 1943 ─

─ 12 mai :
« Coup de téléphone de Paris. M. Billet demande si M. Huyghe a souvenir d’un « désastre maritime » d’Isabey qui aurait été présenté au Louvre. M. Huyghe ne s’en souvient pas. M. Huyghe demande de suivre de près la collection Schloss. [formidable collection de plus de 330 tableaux hollandais et flamands, spoliée par les allemands après avoir été inventoriée par Huyghe et Bazin et envoyée au Jeu de Paume. Elle partit pour Munich en 1943 sous la surveillance des S.S.] M. Billert demande un rapport sur cette collection […] ». (p.15).

─ 23 mai :
« […] Le chef de cabinet du préfet apporte 34 fusils à percuteur central, calibre 16 à deux coups, avec 15 cartouches par fusil, au total 510 cartouches à répartir entre les dépôts. […] M. Huyghe entretient l’intendant régional de la nécessité de ne pas modifier notre personnel qui est minutieusement préparé à des tâches diverses nécessitant un entrainement spécialisé. »

─ 16 juillet :
« […] M. Huyghe envoie un rapport favorable à la demande faite par le ministre de remettre au musée de la Marine la totalité des ports de France de Vernet […]. M. Huyghe étudiera la question et donnera son adhésion sans réserve de garder un œuvre typique au Louvre ».

─ 19 juillet :
Un violent orage entraine une inondation des réserves de tableaux, dans le château.

─ 24 juillet :
« Liste définitive des caisses des trois dépôts mais comme les listes de Vayrac et Bétaille ne paraissent pas exempt d’erreurs, car dans chaque dépôt les trois listes successivement données n’étaient pas semblables, M. Huyghe demande à chaque dépôt une liste définitive qu’il emportera à Paris […]. Les dernières listes dont nous ne trouvions pas les caisses étaient les listes de miniatures persanes entreposées à Latreyne. Dans la vérification des diverses listes de tableaux, tapées à la machine, on a pu constater que la « noce juive » de Delacroix pouvait se trouver dans 2 caisses […] ».

─ 6, 7 et 9 août :
l’enlèvement de la collection Schloss aura lieu samedi 7 août à Limoges, puis sera annulé, le préfet ayant reçu l’ordre du gouvernement de ne pas la déplacer « Il s’étonne que le convoi ne doive être accompagné que par des agents de la gestapo et se met à notre disposition pour prendre toutes les mesures pour la protection de la collection ». Un dépôt supplémentaire sera créé dans la région de Montal pour accueillir l’ensemble Schloss.

─ 17 août : « M. Martin écrit au receveur de l’enregistrement de Montauban pour la question des frais de conservation de la collection Rothschild ». - 9 septembre : long exposé des différents cas et positions à adopter, si la situation s’aggravait avec l’Allemagne, en particulier si l’armée décidait de s’emparer des trésors de Montal et des autres dépôts. L’option consistant à se défendre par la force est admise. Sont évoqués : le séquestre Rothschild, les plafonds de Tiepolo, un portrait de deux personnages de l’école de Clouet, et la réorganisation des collections des maîtres italiens, espagnoles, flamands et français, etc. de la grande galerie, la galerie Médicis, la salle Van Dyck, la salle Rubens, etc.

─ 23 septembre :
les tableaux de Chambord doivent-ils être mis en caisse ?

─ 28 octobre :
« Coup de téléphone de M. Bazin proposant l’acquisition pour 2 millions 500 000 F d’un paysage d’Algérie par Renoir anciennement collection Stang à Oslo ». Approuvé.

─ 10 novembre :
le Renoir est finalement acheté pour 1,800,000 francs.

─ 15 novembre :
perquisition allemande dans un dépôt avec ouverture des caisses « assez brutalement ».

─ 12 novembre :
« Visite du prince Poniatowski […] il fera don au Louvre si celui-ci l’accepte d’un grand tableau de Van den Tempel ».

─ 1er décembre :
achat d’un arbre de Noël pour les 36 enfants des employés et déblocage exceptionnel « de chocolat et de sucre ».

─ 25 décembre :
« Visite à Montal d’un journaliste de L’Echo de France qui pose des questions précises sur la Joconde et sur le départ d’œuvres d’art en Allemagne. » Aucun détail ne lui est confié. Coup de téléphone à Vichy « pour que la censure arrête tout article inopportun ».

─ 1944 ─

─ 19 janvier :
ouverture de la caisse 111, « pas de trace d’écaille ni d’encrassement de vernis, mais les vers continuent leur travail sur le panneau du « Condottiere ».

─ 20 janvier :
la Bibliothèque Nationale a évacué la totalité de ses caisses du château de Castelnau, à l’exception de celles de Versailles. Les monnaies sont parties pour Paris. Les manuscrits pour Ussé. » Puis projet de regroupement des dépôts des musées de Province.

─ 24 février :
Affaire de l’acquisition Gauguin négociée par Huyghe.

─ 1er mars :
« Le brigadier propose de placer la Joconde et le Van Eyck dans la salle 13, plus près du poste de garde. Cette proposition est acceptée. Liste des tableaux abîmés par les mites, ou les vibrations des transports (grande fente dans le portrait d’Anne d’Autriche de Rubens, par exemple).

─ 3 avril :
« les allemands ont envoyé la 2e sculpture de M. Auber, le tableau de Coypel, et que les photos sont attendues […]. »

─ 18 avril :
il est question d’échanges de tableaux avec l’Allemagne, de marques apposées sur les œuvres de collections juives et de spoliation :
« exportées, après passage au Jeu de Paume. Après vérification, on s’aperçoit que sur les inventaires allemands de ces tableaux, le n° correspondant est absent. Il représenterait un tableau de la collection Rothschild […] ».

─ 5 mai :
ouverture de la caisse contenant la Vierge d’Autun.

─ 11 mai :
coups de feu et rafles par les troupes allemandes à St Céré. État d’alerte, des allemands sont aperçus près de Montal, etc.

De nombreuses personnalités du Louvre et employés sont cités : René Huyghe, Germain Bazin, Jacques Jaujard, M. Mazars, Jean Baudard (gardien affecté au secrétariat), Melle Hulftegger, M. Leymarie, Melle Bouthet, M. Trouillé, etc. Ainsi que de nombreuses collection d’Art : succession Dorville (Delacroix et Weenix), collection Rothschild, collection Schloss, etc.
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