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ALDE MANUCE est, avec Johann Gutenberg et William Caxton, l'un des trois seuls imprimeurs-éditeurs du XVe siècle à avoir acquis une notoriété mondiale. Autant les deux derniers évoquent la première génération de l'imprimerie et la...

Estimation : - 2
Description

Catalogue avec les résultats de la vente

ALDE MANUCE est, avec Johann Gutenberg et William Caxton, l'un des trois seuls imprimeurs-éditeurs du XVe siècle à avoir acquis une notoriété mondiale. Autant les deux derniers évoquent la première génération de l'imprimerie et la révolution, à la fois technique et culturelle, qu'elle imposa à l'Occident, autant Alde Manuce a, de tous temps, été synonyme de la Renaissance, de l'humanisme en expansion, de l'universalisme, bref de la glorieuse Venise, capitale européenne de la liberté de pensée au tournant du XVe siècle.

Alde naquit à Bassiano dans les Marais Pontins en 1450 et mourut à Venise le 6 février 1515.

Après avoir achevé ses études latines à Rome où enseignaient ses premiers maîtres Gaspar de Vérone et Dominizio Calderino, il suivit à Ferrare les leçons du célèbre professeur de grec Baptiste Guarini. Il le remerciera chaleureusement dans sa préface du Théocrite de 1495 : " Tu es le Socrate de notre époque " (l'exemplaire de cette vente fut magnifiquement relié à l'époque et Vecellio en peignit les tranches avant 1590 pour Odorico Pilloni). Alde vécut et enseigna à Ferrare jusqu'en 1482, année où les terribles guerres qui ravageaient l'Italie le conduisirent à se réfugier à la Mirandolle, chez son ami le célèbre et très noble Jean Pic. Il devint le précepteur de son neveu Alberto Pio, Prince de Carpi, se lia avec le savant grec Emmanuel Adramyttenos. Il y fortifia ses connaissances de la langue et des manuscrits grecs, partageant entre amis nombre de discussions savantes et philosophiques. C'est vers 1490 qu'Alde, alors âgé de quarante ans, conçut son avenir d'éditeur comme voué au service d'une publication incontestable et systématique du patrimoine littéraire, scientifique et philosophique des Grecs et des Latins. Il s'assura le soutien d'Andrea Torresani, l'un des éditeurs vénitiens les plus célèbres depuis les années 1480 et dont il épousera la fille en 1500. Torresani lui procura la maîtrise technique susceptible de répondre au génie du graveur de caractères Sébastiano Griffo. L'impression en grec représentait en effet le cauchemar des imprimeurs : la perpétuelle variation des accents, pouvant transformer du tout au tout le sens d'un mot, rendait nécessaire la possession d'une importante quantité de caractères. Sébastiano Griffo les grava avec excellence. Cette maîtrise représentait cependant un coût et un pari financier considérables. Alde sut associer à son projet son ancien élève Alberto Pio, Prince de Carpi. L'argent était géré par la plus grande banque vénitienne de l'époque, la banque Agostino.

Surtout, Alde sut réunir autour de lui un prestigieux comité éditorial qui contribua régulièrement aux différentes éditions. Il était constitué d'intellectuels de grande culture. Pietro Bembo, élevé au cardinalat par Paul III, fut l'artisan des éditions de Pétrarque et de Dante et à ce titre l'un des pères fondateurs de la langue italienne moderne. Alde imprima pour lui en février 1495 le De Aetna qui demeure un joyau inégalé de la typographie. Giorgio Valla, outre de nombreux services éditoriaux, fut en 1500 l'auteur d'une véritable encyclopédie des sciences. Le franciscain Urbano Valeriani publia en janvier 1497 chez Alde une grammaire grecque indispensable aux étudiants : il fallait en effet, non seulement publier les textes des classiques, mais aussi donner aux enseignants les instruments pédagogiques nécessaires à la diffusion du nouveau savoir. L'anglais Thomas Linacre participa à l'un des rares textes purement scientifiques d'Alde imprimé en 1499 et contribua, peut-être de loin, à la publication de l'édition princeps d'Aristote. Il fut en tout cas le fondateur de l'enseignement du grec en Angleterre et son université conserve encore de nos jours l'un des plus beaux exemplaires de l'œuvre du Stagyrite. Erasme fut l'auteur d'une ode à la louange de l'Angleterre avant d'être hébergé par Alde qui publia ses Adages. Le poète et sénateur de Venise Andrea Navagero travailla sur les éditions aldines de Lucrèce et Ovide (1516) avant de devenir l'un des premiers conservateurs de la Marciana. Il faudrait encore rappeler les rôles de Lorenzo Maioli et Niccolo Leoniceno, ou de Girolamo Aleandro qui devint cardinal en 1531. Le texte grec du majestueux Aristote en cinq parties in-folio, publié de 1495 à 1498, fit autorité jusqu'à l'édition Bekkers de 1831. Il est représenté dans cette collection par un exemplaire magnifiquement annoté par un lecteur contemporain. Mieux encore, Alde transforma la diffusion du savoir en inventant le format in-octavo des libelli portatile qui adaptait les chef-d'œuvres de l'Antiquité ou de la littérature contemporaine à un format portable (plutôt que de poche). Les portraits de Bronzino nous montrent ces jeunes courtisans tenant négligemment l'un de ces petits livres. Débarrassés de toute forme de commentaires scolastiques qui encerclaient souvent les textes des incunables, ces livres sont le symbole, partout en Europe, de l'accès au pouvoir de toute une nouvelle classe de grands serviteurs des États nationaux naissants. Le premier livre publié sous ce nouveau format, le Virgile de 1501, l'un des plus rares de la production aldine, fut aussi le premier livre imprimé dans les caractères italiques inventés par Griffo pour Alde.

C'est en Angleterre et en France, à la fin du XVIIIe siècle, que le goût pour la collection d'éditions aldines semble s'être renouvelé. La dispersion de l'ordre des jésuites offrit aux amateurs d'alors bon nombre d'occasions d'en acquérir et certains ouvrages de cette collection portent des marques de provenance manuscrite de la bibliothèque de tel ou tel collège de la Compagnie. Puis s'exerça l'influence discrète d'un précurseur oublié : le cardinal de Brienne qui fit imprimer à Pise en 1790 le catalogue de sa collection : Serie dell' edizione Aldine. Elle fut acquise en bloc par Antoine-Augustin Renouard, célèbre bibliographe et collectionneur d'Alde. Il sut mettre à profit les fabuleuses ventes révolutionnaires pour acquérir ou collationner un nombre considérable d'exemplaires et publia par trois fois, en 1804, 1825 et 1834, ses Annales de l'Imprimerie des Aldes qui font encore autorité aujourd'hui. Son superbe exemplaire relié par Simier, au XIXe siècle, de la grammaire grecque de Constantin Lascaris, premier livre imprimé par Alde, est l'un des fleurons de cette collection.

La collection Renouard fut vendue à Londres en 1819 consacrant pour longtemps, malgré l'effort d'Ambroise Firmin-Didot, une forme d'appropriation britannique de la collection aldine - cette grammaire de Lascaris demeura d'ailleurs pendant plusieurs générations en Angleterre. Le catalogue de cette vente présente ainsi nombre d'exemplaires avec de célèbres provenances anglaises comme celle du duc de Grafton (1760-1844), celle de Beriah Botfield (1807-1853) tour à tour possesseurs du Théocrite de 1495, celle de George John comte Spencer (1758-1834) : " the choicest collection of Aldines existing in any library " (Seymour de Ricci, p. 76) ou celle du comte d'Ashburnham (1797-1878). Chacun de ces deux collectionneurs est curieusement représenté ici par deux exemplaires du Diaria de Bello Carolino d'Alessandro Benedetti imprimé en 1496. Le Thesaurus cornucopiae, de 1496 également, a appartenu aux ducs de Roxburghe (1740-1804) et de Sussex (1773-1843). L'Horace de 1501 fut celui du comte de Crawford, le Quintus de Smyrne publié en 1505 fut celui de William Beckford. " Throughout Europe, bibliophiles formed libraries whose cases and cabinets devoted space to Aldines " (Ahmanson-Murphy catalog, p. 13). D'autres provenances, comme celle de la mystérieuse Garden Library sur le rare Virgile de 1501, ou celle d'André Rodocanachi sur le Gaza relié pour Marcus Fugger montrent encore que la collection d'éditions aldines - ou pourquoi pas la serie pour reprendre le titre du catalogue du cardinal de Brienne - a, de tous temps, été considérée par les amateurs de livres comme le comble de l'élégance et de la culture.

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