Lot n° 43

PROUST (Marcel) — 2 lettres autographes signées «ton Marcel», et 3 télégrammes. Avril 1907. — • 1. 8 pp. 1/4 in-8, liseré de deuil ; date de réception au composteur avec millésime incomplet ; quelques petites taches d'encre. • 2. 4...

Estimation : - 1 000 - 1 500 €
Adjudication : 3 500 €
Description
pp. in-8, petites traces de rouille. • 3, 4 et 5. Chaque télégramme une p. in-8 oblong, adresse au dos.
«Dans l'espoir [qu'ils] me donneraient un peu de ton mal...»

Tendres sollicitudes pour Louis d'Albufera atteint de la fièvre typhoïde. L'écrivain décrit également ses démarches auprès de Louisa de Mornand pour lui faire savoir l'état du marquis: celui-ci, quoique séparé de la jeune comédienne qui vivait alors avec Robert Gangnat, s'inquiétait toujours pour elle.

«Moi qui ne pense qu'à toi, je te sais malade et ne sais rien de toi...»

• 1. - [Paris], [date de réception du 19 avril 1907]: «Mon cher Louis, je commence par te dire que tes craintes étaient absolument chimériques. Une longue conversation au téléphone [avec Louisa de Mornand] m'en a pleinement convaincu. Tout va au mieux. Seulement je te préviens que comme ce téléphonage avait été précédé de 18 autres infructueux et qu'elle le savait, pour ne pas avoir l'air que tu attaches trop d'importance, je n'ai pas dit que tu n'avais rien dit, je n'ai pas dit que tu te plaignais de son silence maintenant, j'ai dit que tu t'en étais plaint, je ne me suis informé des choses Gangnat que comme si c'était nécessaire, et nous en avons pourtant parlé longtemps et cela va très bien. Dire si tes reproches coïncidaient avec mon téléphonage, elle pourrait croire que c'est de ta part que j'ai téléphoné et il est préférable, cette fois, que non. Du reste, je peux vraiment dire que ce n'est pas de ta part. Car bien que depuis une sortie que j'ai faite pour entendre une chose de Reynaldo [à une soirée musicale chez la princesse de Polignac, le 11 avril 1907], je ne quitte plus mon lit, je n'ai pas cessé un seul jour de téléphoner chez elle, prenant pour cela de g[ran]des quantités de caféine. J'ai été jusqu'à téléphoner rue Villebois-Mareuil (du reste elle le sait) dans l'espoir qu'elle y serait. Et quoique chaque fois je demandais qu'elle m'appelât dès qu'elle rentrerait, pas une fois elle ne l'a fait. (Or du moins elle m'a dit que si mais qu'elle n'avait pu avoir le communication). Et justement hier (avant d'avoir ta dépêche, tu vois que c'était donc bien par pure vigilance personnelle et non pour obéir à tes ordres que tu ne m'avais pas donnés encore), j'avais téléphoné tant de fois qu'elle m'écrit paraît-il aujourd'hui (je n'ai pas encore la lettre) et que quand tantôt j'ai téléphoné et qu'elle était sortie et que j'ai prévenu que je téléphonerais jusqu'à ce que je la trouve, elle m'a spontanément appelé au téléphone dès qu'elle est rentrée. Elle a été tout à fait délicieuse, me disant les choses les plus gentilles et les plus fines et les plus sensées, elle ne se rendait pas un compte exact de ton état que je lui ai plutôt exagéré, mais sentant dans le téléphone que sa voix s'alarmait, j'ai fait machine arr ière et j'ai calmé ses appréhensions. Je lui avais demandé de venir me voir ce soir, étant pour la 1re fois depuis cette sortie un peu respirant. Mais elle quittait ses occupations tard et comme elle partait demain matin de très bonne heure de chez elle, je n'ai pas voulu qu'elle se couche trop tard. Hier soir, au reçu de ta dépêche, j'avais envoyé Ulrich [Robert Ulrich, neveu de la vieille servante de ses parents, Félicie Fitau, et que Proust employa parfois comme secrétaire entre 1906 et 1909 - c'est à lui qu'il dicta une mise au net de la première partie de Du C ôté de chez Swann] au Vaudeville [où Louisa de Mornand jouait dans la comédie de Pierre Wolff, Le Ruisseau], mais elle était partie (il n'était pourtant qu'onze heures 1/4) et je ne lui ai pas dit cela, justement pour ne pas avoir l'air de faire une commission.
Je te téléphonerai plus facilement de vive voix notre conversation, mais encore une fois tout ce qu'elle m'a dit était exquis, plein de coeur et de charme, et ses rapports avec Gangnat sont excellents en ce moment. J'ai toujours une crampe à la main, aussi je me demande si tu pourras me lire.
Si tu pouvais me donner de tes nouvelles en me faisant écrire par un domestique, tu me ferais un tel bien ! Ce que je voudrais surtout savoir c'est 1° quelle cause et quel nom le médecin donne à ce que tu as, et quelle durée il lui assigne encore.
2° Si la fièvre est définitivement tombée (quelle température rectale).
3° Si tu te lèves, si tu t'alimentes, si tu dors.
4° Si tu t'ennuies. Mon cher Louis, Dieu sait si je suis malheureux que tu sois malade, et surtout je sais comme toutes tes préoccupations doivent doubler tes souffrances. Mais si tu pouvais utiliser ta maladie, pour prendre le premier repos que tu aies pris depuis des années, ce ne serait qu'un demi-mal. L'homme n'ayant jamais cinq minutes devant lui que tu es, m'effraye parfois. Cela, joint aux préoccupations, est quelque chose à quoi nul organisme ne résiste. Si, ce repos forcé, tu savais intelligemment l'utiliser, en te reposant. Mais je sens que tu dois être au moins en esprit plus affairé que jamais. Et d'ailleurs je le comprends. Mais ce qu'il faut c'est vite guérir. Et après, tâcher d'avoir une vie un peu plus détendue. Pense, mon cher Louis (je dis pense, pour te décider à me faire donner de tes nouvelles) que moi qui ne pense qu'à toi, je te sais malade et ne sais rien de toi. Je n'ose écrire pour en demander à ta femme, car elle a la bonté de me répondre et je sens toute mon indiscrétion alors. Toi, je tremble de te fatiguer. N'y a-t-il pas un domestique intelligent qui pourrait me donner quelques détails ? De tout mon coeur à toi...»

«Je trouve stupide de faire le médecin amateur...
Moi, mon rôle ne doit être que celui de l'amitié incompétente...»

• 2. - [Paris], [vers avril 1907]: «Mon cher Louis, je trouve stupide de faire le médecin amateur, mais puisque tu as l'air de croire que c'est par paresse que je ne t'écris pas, voici les renseignements demandés. Pratiquement les risques des personnes qui entourent un malade atteint de la fièvre typhoïde sont très faibles, beaucoup moindres que ceux des personnes qui boivent un verre d'eau de Seine. De plus, comme l'élimination des bacilles par le malade continue pendant un temps excessivement long après qu'il est guéri, les précautions seraient par trop difficiles à prendre. Néanmoins, le fait que les bacilles sont seulement dans les matières et l'urine est un mot. Car ta chemise se salit sans que tu puisses même le soupçonner, car ton lit contient des bacilles, car quand tu mets ton thermomètre dans ton derrière, il en recueille quelques-uns qu'il dépose sur ta main que tu passes ensuite sur les cheveux de ta femme qui les peigne, etc. Pendant ce temps-là ton thermomètre en dépose d'autres sur ta table de nuit. J'exagère beaucoup sans doute ce petit voyage circulaire qui d'ailleurs n'est pas considéré de même par tous les médecins. Si tout le monde était comme moi, cela n'aurait pas d'importance, car j'y fais si peu attention que je ne me suis pas, en te quittant, lavé les mains pendant 2 jours (excuse cette saleté) dans l'espoir que mes aliments maniés par moi me donneraient un peu de ton mal.
Mais rien ne te dit que le jeune Louis [fils de Louis d'Albufera] soit dans les mêmes dispositions, et dans le doute il est préférable, n'eût-il qu'une chance sur 1000 de prendre ton mal (et je crois qu'elles sont infiniment plus grandes, sauf la question que j'ignore de savoir si les enfants aussi jeunes sont un terrain de culture favorable pour le bacille d'Eberth). D'ailleurs ce n'est pas à cela que je pensais quand je téléphonais mais à plus tard, je t'expliquerai ce que je veux dire et ce n'est pas la peine de disserter là-dessus trois semaines d'avance. Mon cher Louis, tu as un médecin et moi je n'entends rien à la médecine. Laisse-toi soigner par lui. Moi, mon rôle ne doit être que celui de l'amitié incompétente: aller te voir dès que je le pourrai matériellement, si je ne te fatigue pas, te faire les commissions qui peuvent t'être utiles, mais ne pas être, à côté et au-dessous de ton médecin, un consultant officieux et ignare qui ne connaît pas le premier mot de tout cela. À toi de tout mon coeur et avec ma profonde tendresse... Pour ne pas t'encombrer du formulaire de Gilbert, je coupe la page que tu me demandes et je l'inclus ici. Je sais qu'il y a une autre page sur la désinfection des habits, etc., de quelqu'un qui a la fièvre typhoïde mais mon livre est déchiré.»

• 3. - Télégramme. Paris, 14 avril 1907: «Tu me ferais plaisir si tu pouvais sans causer trop de dérangements me faire télégraphier si ton nouveau traitement sembler donner quelque résultat, désespéré que tu souffres encore, & te supplie prendre patience... Tendresses. M. Proust.»

• 4. - Télégramme. Paris, 21 avril 1907: «Rémission fièvre & retour à la température normale espérés pour aujourd'hui se sont-ils produits. Affections. Marcel Proust.» (déchirure sans manque).

• 5. - Télégramme. Paris, 22 avril 1907: «T'ai répondu immédiatement par lettre partie ce matin, craignant dans une dépêche confusion de nom et d'adresses de médecins. Bien chagrin savoir que fièvre n'est pas terminée. Encore affections. Marcel Proust.» Marcel Proust a adressé ces trois télégrammes à Nice où Louis Suchet d'Albufera passait sa convalescence.
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