Lot n° 123
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Paul VERLAINE (1844-1896). Manuscrit autographe signé, Vieille Ville (fragment d’un livre perdu) ; 23 pages in-8 montées sur onglets et interfoliées, reliées en un vol. in-8, demi-maroquin grenat à coins (Semet & Plumelle). Manuscrit...

Estimation : 10000  -  12000
Adjudication : Invendu
Description

complet de ce beau texte, nourri des souvenirs d’enfance sur Arras.

Il a été publié dans Art et critique le 9 novembre 1889. Le manuscrit a servi pour l’impression dans la revue ; écrit sur papier de l’Assistance publique, il présente de nombreuses ratures et corrections.
Le « livre perdu » dont Vieille Ville serait un « fragment » était probablement le Voyage en France par un Français (1880), mais Verlaine a aussi songé à réunir ce récit à un recueil resté à l’état de projet : Histoires comme ça ou Aventures d’un homme simple.

« C’est une ville de province, bien reculée, presque inconnue, même des artistes, même des curieux, par ce temps qui se donne pour amoureux de pittoresque et d’inédit, Arras, pour nommer la pauvrette par son nom qui fut illustre et dont rien, je vous assure, n’a fait démentir la gloire archéologique, tout au moins. Arras m’est cher pour mille motifs, liens de famille, le calme, – et la suprême beauté de son ensemble. J’y séjourne souvent bien que je n’y réside pas, et je connais à fond la ville, les habitudes et les habitants ».... Suit une description minutieuse et pleine de tendresse de cette ville, avec ses fortifications de Vauban, ses petites rivières, ses marchés, son patois, sa bonne humeur. Verlaine cite longuement un « vieil auteur », Gazet, qui raconte le miracle à l’origine du culte de Notre-Dame des Ardents : belle histoire médiévale d’une peste, de la réconciliation de deux musiciens ennemis, et d’une apparition de la Vierge devant les malades réunis à l’église... Il donne de curieux détails sur le cierge miraculeux, parle avec admiration de l’église récemment édifiée en l’honneur de Notre-Dame des Ardents, et rend hommage à d’autres églises dues à un architecte de génie, Grigny, dont la chapelle des Ursulines, « effrayant tour de force de légèreté, de hauteur et d’équilibre », et la chapelle des Dames du Très-Saint Sacrement, de style flamboyant. Il décrit ensuite le splendide Hôtel de Ville d’Arras, dénonçant les dommages infligés par des restaurations ou par commodité administrative. « L’ensemble toutefois est loin de me déplaire : cet amoncellement même de dômes, de pignons, de cariatides, de balcons, cette profusion de vermicelles, d’achantes, de congélations, de figurines, est d’un joyeux et luxueux effet »...

Verlaine promène le lecteur à travers la vieille cité jusqu’à l’ancienne abbaye bénédictine de Saint-Vaast, qu’il décrit sommairement, puis il retrace l’histoire de la cathédrale voisine, à laquelle il manque toujours le dôme et le campanile projetés. Il confie son goût pour le plain-chant qu’il va entendre aussi souvent que possible à la grand’messe canonicale quotidienne : « la quasi-solitude des offices de semaine distribue à la prière privée tout l’espace nécessaire, on dirait, ces voûtes immenses semblent un ciel juste assez lointain pour encourager les pieuses à vouloir y planer ; ces énormes colonnes corinthiennes invitent les intentions particulières à s’y enrouler pour l’ascension parmi les riches chapiteaux vers ces sereines régions de l’adoration enfin sûre de son vol »... Il termine par une anecdote sur un visiteur peu dévôt qui ne savait apprécier aucune de ces magnificences, et qui a quitté la cathédrale à la suite d’une jeune femme. « Et tout cela, ô la profondeur de vos desseins, Dieu vivant ! à cause d’une humble femme qui passait, après avoir prié peut-être pour cet imbécile qui flanait dans votre temple comme dans un musée, peut être encore pour le chrétien distrait en présence de vos cérémonies qui écrit ces lignes vaines ».

Ancienne collection du commandant Paul-Louis Weiller (30 novembre 1998, n° 145).

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