Paris, Le Coudray, Laval, 1901-1906.
23 lettres et cartes autographes, totalisant 19 pages ½, in-12 pour la plupart, 4 enveloppes, auxquelles est jointe une photographie dédicacée d'Alfred Jarry en escrimeur.
Importante correspondance inédite d'Alfred Jarry : 23 lettres et cartes autographes adressées au romancier belge Eugène Demolder et à sa femme Claire, fille de Félicien Rops.
Juge de paix, Eugène Demolder (1862-1919) fut également un écrivain et critique d'art prolixe.
Il gravita dans les milieux de la Revue blanche et du Mercure de France où parurent nombre de ses oeuvres. Il travailla avec Jarry à diverses opérettes destinées à Claude Terrasse, dont l'opéra bouffe basé sur le Pantagruel de Rabelais.
Les échanges de Jarry avec son correspondant belge donnent de nombreux renseignements sur sa production littéraire ainsi que sur l'édition de ses oeuvres des années 1900-1906.
“Messaline va bien, elle va entrer dans le quatrième mille de son âge. Le Père Ubu à Montmartre se répète, mais ne sera prêt qu'après Pâques. L'Art moderne n'a pas dû publier encore l'article, parce que je n'ai pas vu la coupure à La revue blanche. Je ne sais comment vous remercier pour cela aussi.
Je vous ai lu dans la Vogue et la Plume: ce sont vraiment de fort beaux contres et ça fera un livre admirable” (2 avril 1901).
S'y ajoutent souvent quelques détails de son quotidien au barrage de Coudray où Jarry s'était installé dans une baraque en 1900, non loin de la villa du couple Vallette aux Bas-Vignons et de la Demi-Lune, l'ancienne demeure de Félicien Rops dont Demolder avait hérité: “Si on pille la ville, on cambriole aux Bas-Vignons, un chemineau est venu boire les alcools de Merrill et emporter la trousse à pêche de Vallette, mais il a reculé devant le Phallus en pierre. Il n'y a plus trace de notre appareil à douches, le barrage est sous la crue” (2 avril 1901).Ainsi que le récit de ses diverses mésaventures: “... à 4 h moins le quart dans la descente pavée de Villejuif, j'ai été la victime du «piéton écraseur».
Un gosse a traversé devant moi et j'ai fait un panache admirable. Ma machine n'a pas bougé et moi je me suis reçu fort souplement sur ma figure. J'ai pris incontinent l'aspect, trait pour trait, du puma viviséqué du Dr Moreau. Ca ne m'a pas empêché de passer tranquillement au Mercure, où j'ai fait votre commission. Disons qu'avant toutes choses j'ai été boire le vulnéraire. Quant au gosse, je l'ai consciencieusement assommé à coups de poings, tenant la population à l' écart au moyen de mon revolver” (Samedi matin [12 ? octobre 1901]).
Les publications de son correspondant sont toujours reçues avec enthousiasme. Ainsi, écrit-il à propos de l'Arche de Mr Cheunus publié en 1904: “Je crois bien que c'est un des livres les plus en couleur et farcis de détails truculents que vous ayez écrits.”
De même, il rend compte des travaux en collaboration avec Claude Terrasse. Ainsi, écrit-il dans une des deux lettres adressées à Claire Demolder, à l'approche de la Première du Manoir de Cagliostro: “Je vous remercie grandement de m'avoir informé de la demande Depas... mais, pauvre Capitaine et pauvre brigadier [surnoms de Demolder et de Claude Terrasse] ! Car moi je n'ai pas le double du manuscrit et vous devez sans doute en faire parvenir le «simple» au Capitaine pour ce raccord...
car il va falloir un raccord... Enfin, c'est très bien qu'on ne recommence pas toute la pièce... pour le principe !
Il est bien dommage de ne pouvoir mener les auteurs avec un fouet à chiens ou tout au moins de ne pouvoir leur dire: «Auteur un tel, vous faites encore une fois le sot... ?»” (29 décembre 1904).
Ou dans une lettre du 14 avril 1905, datée par Jarry “La Triboulette 6h soir (ayant toutefois fait escale chez Austin's depuis 4h !)”: “Je reviens de chez le Brigadier, et crois avoir trouvé deux ou trois idées extraordinaires concernant les trois Rois. Le Brigadier est enchanté, et il n'est pas impossible que Kufferath le soit. Ca va friser le vaudeville, mais d'une aile légère”.
La correspondance se termine par deux cartes postales adressées depuis Laval où Jarry fut soigné par sa soeur d'une grave crise cérébrale l'année précédant sa mort: “Certains ennuis supprimés et un peu de repos chez moi m'ont entièrement retapé et j'espère que nous ferons bientôt ensemble quelques bonnes cycleries” (11 juillet 1906).
On joint une photographie originale célèbre d'Alfred Jarry épée à la main, avec son maître d'armes Félix Blaviel. Elle porte en tête un envoi autographe signé à Eugène Demolder : Au vaillant capitaine, son partenaire amical Alfred Jarry
André Breton possédait une épreuve de cette photographie, avec envoi à Rachilde et Alfred
Vallette. Il avait noté au verso: “Cette photographie a été prise à Laval et tirée le 22 juillet 1906, comme l'atteste une lettre de Jarry à Rachilde du 16 juillet.”