Lot n° 11
Top Enchère
Sélection Bibliorare

BRONTË CHARLOTTE (1816-1855) MANUSCRIT autographe signé « CHARLOTTE BRONTË »

Estimation : 600 000 - 800 000 €
Adjudication : 780 000 €
Description

, Second Series of The Young Men’s Magazines…, août 1830 ; petit cahier (35 x 61 mm) de 20 pages, couverture de papier marron, sous chemise de cuir rouge et étui maroquin brun (étui, dimensions : 50 x 70 mm).

Exceptionnel manuscrit miniature inédit de la jeune Charlotte Brontë, alors âgée seulement de 14 ans. Il s’intitule : « SECOND SERIES OF THE YOUNG MEN’S MAGAZINES. N° SECOND. FOR SEPTEMBER 1830 Edited by Charlotte Brontë. SOLD BY SERGEANT TREE AND ALL OTHER Booksellers in the Chief Glass Town Paris Ross GT Parrys GT Wellingtons Glass Town &c &c &c ... Finished August 19 1830 Charlotte ». [Deuxième série de The Young Men’s Magazines – N° 2. A paraître en septembre 1830 publié par Charlotte Brontë. Vendu par Sergeant Tree et tous les autres libraires parmi les libraires de la Fédération de la Grande Glass Town : à Paris, dans le royaume de Ross G[lass].T[own] et les territoires de Parry et de Wellington G[lass].T[own], etc, etc, etc…Terminé le 19 août 1830. Charlotte].

Ce manuscrit autographe miniature, rédigé d’une minuscule écriture serrée, est composé de 5 feuilles pliées en deux (soit 20 pages) et cousues avec une couverture de papier brun, sur laquelle on a inscrit « September 1830 ». Il comprend : une page de titre (p. 1), une page donnant le sous-titre et le sommaire (p. 2), puis les textes : « A Letter from Lord Charles Wellesley » (p. 3-10), « The Midnight Song » [Le Chant de Minuit] (p. 11-14), « Journal of a Frenchman [continued] » [suite du Journal d’un Français] (p. 14-18), «Advertisements » [Annonces] (p. 19). Il se termine par une page blanche où l’on peut lire, d’une autre main, l’inscription « Em R » (p. 20).
Ce manuscrit contient trois écrits inédits de la jeune Charlotte Brontë, dans ce « magazine » qui se rattache au monde fantastique et imaginaire de Glass Town, le plus ancien des mondes fictifs créés par les quatre enfants Brontë. Charlotte Brontë écrivit, au cours des mois d’août et septembre 1830, la seconde série des six numéros miniatures de ce Young Men’s Magazine, dont on ne connaît plus que trois : le premier est au Musée Brontë, le second, composé de trois pages a été vendu aux enchères chez Christie’s en décembre 2009, et celui-ci.

Les Juvenilia des enfants Brontë sont d’une importance exceptionnelle, annonçant et éclairant les œuvres de l’âge adulte. Dans le triste presbytère de Haworth dans le Yorkshire, après la mort de leur mère, la triste expérience du pensionnat, et la mort des deux filles aînées, les quatre enfants survivants sont éduqués à la maison, où ils peuvent laisser libre cours à leur imagination sans borne, nourrie par le libre accès à la bibliothèque du père. Ils se créent, à partir d’une boîte de petits soldats, l’univers imaginaire de Glass Town. Chaque enfant adopta un soldat, et lui attribua un nom de héros : Wellington pour Charlotte, Napoléon pour Branwell ; Emily et Anne choisirent des noms d’explorateurs : Edward Parry et William Ross. Les enfants inventèrent alors un univers, une « confédération », dans laquelle chacun des quatre enfants avait son propre royaume articulé autour de son héros. La conception de leur monde et les aventures de ses habitants tirent abondamment leur source du Blackwood’s Magazine, auquel leur père était abonné. En 1829, les deux aînés, Charlotte et Branwell, commencèrent à rédiger des histoires se déroulant dans leur royaume imaginaire : Branwell commença avec le Branwell’s Blackwood Magazine, à l’imitation de leur magazine favori, puis Charlotte écrivit six numéros du Blackwood’s Young Men’s Magazine entre août et décembre 1829. Au mois d’août de l’année suivante, elle commença une « seconde série » au titre abrégé : Young Men’s Magazine. Le magazine est composé de récits de voyage et d’aventures, souvent sous la forme d’échanges épistolaires avec divers correspondants, de récits plus longs en plusieurs épisodes, de poèmes, de « Conversations », et même d’annonces et de critiques de livres (fictifs) et de peintures. Ces différentes œuvres sont écrites par des personnages imaginaires, et distribuées par un libraire imaginaire.

« Une montagne d’écriture, sur un espace incroyablement petit », commenta Mrs Gaskell à propos des écrits de jeunesse de Charlotte. Sa taille minuscule est la plus extraordinaire caractéristique de ce manuscrit, qui contient plus de 4000 mots accumulés sur seulement 19 pages de format 3,5 x 6,1 cm, d’une écriture très dense et serrée, pour donner l’effet d’un magazine imprimé en imitant les caractères d’imprimerie. La taille de ce magazine s’explique aussi par la possibilité de le cacher facilement.

A Letter from Lord Charles Wellesley [« Une lettre de Lord Charles Wellesley »]. C’est le plus long texte, occupant la moitié du manuscrit (environ 2200 mots). Son auteur (fictif), le fils du Duc de Wellington, était un héros récurrent des histoires de Glass Town, homme d’action pragmatique, tout le contraire de son frère le Marquis de Douro. Il fait le récit d’un incident mystérieux dont il a été le témoin. Une nuit, dans le jardin de son palais, alors qu’il regardait les étoiles, il entend un hurlement, et aperçoit sur le canal un bateau où sont assis quatre hommes, et une forme blanche qui se débat, qu’il finit par reconnaître comme la fillette Caroline Krista, alors qu’elle est tuée d’un coup de poignard. Il se précipite, mais est capturé par le meurtrier, nommé T_e. Prisonnier dans la maison de son ravisseur, il réussit à s’enfuir. Une semaine plus tard, Lord Wellesley veut se venger ; il se cache dans la chambre de son ennemi, et à minuit, recouvert d’un drap, se présente à T_e comme le fantôme de Charles Wellesley envoyé par pour expédier T_e au royaume des morts. Effrayant par cette vision, T_e sombre dans une crise de folie, voyant les rideaux de son lit brûler ; cette scène, décrite avec une grande force, annonce, plus de quinze ans avant, la scène de la folie de Bertha Rochester dans Jane Eyre.

The Midnight Song [Chant de minuit]. L’auteur est ici le Marquis de Douro, le frère de Lord Charles ; il est l’archétype du héros byronien et servira de modèle au futur Mr Rochester, le héros de Jane Eyre. Son poème est un chant mélancolique, au cours d’une nuit d’été ; il est allongé sur la terre, dans le silence… Il entend soudain, apportée par le vent, une voix mystérieuse, implorante, plus douce qu’une harpe céleste. Le poème continue par le chant plaintif et désespéré de cette voix qui parle d’exil et qui maudit les cieux, espérant recevoir des nouvelles de l’Angleterre dont elle a dû s’exiler et qu’elle ne peut plus visiter qu’en rêve... Charlotte laisse planer le mystère.
Journal of a Frenchman est le second épisode du Journal d’un Français, commencé dans le précédent numéro du Young Men’s Magazine. C’est l’histoire d’un jeune baron qui se réjouit de la mort de son père tyrannique et de son nouveau titre de noblesse reçu en héritage. L’action se déroule dans Paris Glass Town, le royaume imaginaire de Branwell. Le Baron arrive à Paris, est présenté à la cour et se rend à un bal organisé par la comtesse Du Ouvert. Tout n’est que luxe, dans la description des mets, des vins, des tenues de soirée, des préparatifs de dandy du jeune Baron pour son premier bal. Survient à nouveau un cauchemar dans la veine du roman gothique, mais tout se termine bien au milieu des tourbillons de la danse. La rédaction des Young Men’s Magazines se situe vers la fin de la première vague créatrice de Charlotte Brontë, entre août et septembre 1830. Cette phase créatrice prit fin soudainement en janvier 1831, lorsqu’elle fut envoyée à la Roe Head School, l’exilant brusquement du monde de Glass Town, et de sa complicité avec ses frère et sœurs.

Provenance : Vente Sotheby’s Londres, 15 décembre 2011, n° 46. À la mort de Charlotte Brontë en 1855, ses manuscrits furent légués à son mari, le révérend Arthur Bell Nicholls, qui partit pour l’Irlande en 1861. En 1895, Nicholls fut contacté par Clement Shorter, mandaté par le collectionneur (et faussaire) Thomas James Wise, qui acheta l’ensemble des manuscrits (pour £400 !), avant de les revendre séparément ; ils sont actuellement conservés en quasi-totalité dans des collections publiques au Royaume-Uni et aux États-Unis. Le présent manuscrit n’ayant pas fait partie du reliquat de la collection de Nicholls (vendu par Sotheby’s les 26 juillet 1907, 19 juin 1914 et le 15 décembre 1916), on peut penser qu’il faisait partie de l’ensemble acheté en 1895 par Wise, qui faisait confectionner pour ses manuscrits des chemises et étuis semblables à ceux de notre manuscrit.

Bibliographie : Alexander, C. A Bibliography of the Manuscripts of Charlotte Brontë. Keighley, 1982. – The Early Writings of Charlotte Brontë 1826-1832, ed. C. Alexander. Oxford, 1987. - Dalsimer, K. “The Young Charlotte Brontë”, in The Journal of the History of Childhood and Youth, Volume 3, 2010, pp. 317-339. – Gerin, W. Charlotte Brontë: the Evolution of Genius. Oxford, 1967

Partager