Lot n° 1133
Sélection Bibliorare

STENDHAL Henri BEYLE, dit (1783-1842). — L.A., B[runswick], 30 avril 1807, à sa sœur Pauline BEYLE à Grenoble ; 7 pages et demie in-4, adresse avec cachet de cire rouge à l’aigle impériale et marque postale de la Grande Armée.

Estimation : 6 000 - 8 000 €
Adjudication : Invendu
Description

Longue et magnifique lettre à sa sœur, sur la recherche du bonheur, et racontant ses amours avec Minette (Wilhelmine von Griesheim).

« Je m’étais promis de t’écrire le 15 de ce mois pour te peindre les tempêtes qui malgré la sagesse que je cherche à m’imposer ont agité mon âme ce mois-ci. Je ne l’ai pas fait le nom de 30 est comme le chant du coq qui me réveille. Mais, comme dans les monarchies du moyen âge, les troubles n’ont servi qu’à affermir l’autorité du despote, et le despote est ici la science du bonheur. […] Il faut se faire un bonheur solitaire indépendant des autres, une fois que l’on est sûr dans le monde que vous pouvez être heureux sans lui, la coquetterie naturelle au genre humain les met à vos pieds. Accoutume ton corps à obéir à ta cervelle et tu seras toute étonnée de trouver le bonheur. C’est le Roc où était ce palais d’Armide, horrible d’en bas, délicieux dès qu’on était parvenu aux plateaux supérieurs.

L’honneur se battant avec l’Amour et l’Intérêt d’ambition m’ont mis sept ou huit fois au comble de l’agitation malheureuse, et du bonheur ardent pendant ce mois d’avril. Le 5 mars l’honneur m’a brouillé avec Mal [Martial DARU] le 5 avril, réconcilié. J’ai dû partir pour Thorn, j’ai vaincu l’amour avec des peines infinies et puisqu’il faut le dire en pleurant; j’étais si agité à 7 heures du soir au moment où j’allais décider de mon départ que je courrais les rues de Brunswick comme un fou, je passais devant les fenêtres d’une petite fille pour laquelle j’ai du goût, je me sentais déchiré, cependant l’honneur fut le plus fort, j’allai dire à M[arti]al que je voulais partir, lui ne le voulait pas, il comptait sur l’amour pour me retenir, il me dit tout ce qu’il fallait pour me faire rester.
Je reste, je crois être heureux, je ne sais pourquoi Minette se met à me tenir la dragée haute, la politique, la vanité, la pique m’ordonnent de ne plus m’occuper d’elle. Dans un bal célèbre je fais la cour à une autre, étonnement, malheur, désapointement de Minette. Cette autre offre à ma retraite une Victoire aisée.

Je fais une manœuvre superbe pour me rapprocher de Mina ».

Il aborde à la promenade un homme pour se faire inviter chez lui à une soirée ; mais Minette n’avait pas voulu y venir ; il y trouve sa rivale Mlle de T[reuensfels] dont il obtient un rendez-vous… « Enfin hier je me suis réconcilié avec Minette. […] Hier Minette m’a serré la main pas davantage, tu te moqueras de moi, mais après la vie que je mène depuis six ans, c’est pour cela que j’ai été si agité ce mois-ci. […] Au milieu de tant d’agitations causées par de si petits moyens la sagesse grondant sans cesse, se fortifiant par le malheur qui suivait heureusement pas à pas toutes les fautes, et sortant victorieuse enfin en tuant l’amour. Je n’ai plus que du goût pour Minette, pour cette blonde et charmante Minette, cette âme du Nord, telle que je n’en ai jamais vue en France ni en Italie, la preuve en est que je vais tâcher d’aller à Falkenstein », au Q.G. de l’armée…

« Une âme forte qui parviendrait à faire tout ce que la raison lui dicterait serait maîtresse de tout ce qui l’environne. J’en ai eu l’expérience frappante depuis 2 mois. Ajoute au peu que je t’ai dit de mon agitation 8 ou 10 voyages de 15 ou 20 lieues et 10 heures de travail expédié en 2. Et ce qui est bien pénible, mais bien bon pour fortifier l’âme pas de confident, toujours seul.

Ce soir grande bataille au bal où je vais me trouver entre les deux rivales, peut-être demain serai-je aussi agité qu’avant-hier, mais le dessein en est pris, j’irai à l’Armée si je le puis. Ce qui m’y attire c’est l’envie de voir de près les grands jeux de ces chiens de basse-cour nommés hommes ».

Il a lu l’Histoire de Pologne de Rulhière, et l’Histoire de la Réformation par Charles de Villers, qu’il demande à Pauline de lire.

« The great father est fort content de toi, je vois enfin que tu fais des progrès dans la sagesse, seul chemin du bonheur, quand tu le voudras tu seras heureuse, pour cela il faut d’abord acquérir la tranquillité, la beauté et la bonté de ton âme te fourniront assez de plaisirs. Une lentille tombant dans la mer agitée n’y cause aucun mouvement, dans une mer calme elle fait naître des millions de cercles. Une fois que nul être ne pourra agiter ton âme, tu feras ton bonheur avec une facilité qui t’enchantera. Pour cela il faut intérieurement vaincre entièrement la vanité »... Quant à son mariage, elle doit être « raisonnable. Vois un mari comme une Chose et non pas comme un être. Il faut un cheval à un dragon pour vivre et un mari à une jeune fille ». Et il passe en revue les différents partis…

Il fait enfin la liste des quatre livres qu’elle doit lire, dont Volney et Chamfort.

Correspondance générale, t. I, p. 592 (n° 270).

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