Lot n° 6
Sélection Bibliorare

COCTEAU JEAN - 57 L.A.S. et cartes postales, et 9 télégrammes, [1910- 1937], à Marie SCHEIKÉVITCH ; 73 pages formats divers, nombreuses enveloppes et adresses ...

Estimation : 15 000 - 20 000 EUR
Adjudication : Invendu
Description

; plus quelques lettres et documents annexes ; le tout monté sur feuillets de papier vergé et relié en un volume in-fol. demi-chagrin havane (G. Gauché; reliure un peu frottée).

Très belle correspondance tendre, presque amoureuse, de Cocteau à sa «fiancée» qui fut aussi l'égérie de Marcel Proust.

Marie SCHEIKÉVITCH (1882-1964) fut pour Cocteau, comme elle le fut pour Proust, une amie et une protectrice; elle joua un rôle important, de par ses relations mondaines, pour faire connaître les premières oeuvres poétiques de Cocteau, et l'introduire dans le monde littéraire.

Cocteau semble avoir été très épris de cette belle femme, mondaine, intelligente et très cultivée. À partir de 1913, les relations vont peu à peu se distendre, sans cesser tout à fait. Cocteau signe ses lettres de son nom, de son prénom, puis «Jean Coq» ou «Coq», et s'adresse à sa «grande amie» avec des tendres noms: «Marie», «Edwige», «Chérie», «Chère fiancée», «Machinka chérie», etc.
La correspondance commence en 1910. [Maisons-Laffitte 10 octobre 1910], évoquant NIJINSKI et DIAGHILEV, Reynaldo HAHN pour qui Cocteau va écrire le livret du ballet Le Dieu bleu, et D'ANNUNZIO: «Le jeune ballerin russe et son cornac sont dans vos murs. Je crois que nous allons travailler pour eux avec Reynaldo. Ils ne comptent plus sur l'enfant de volupté chauve dont les promesses sont vagues.

Que de soirs en perspective où l'on verra la dame de neige [Marie Scheikévitch] avec sa couronne de victoire, fichtrement pas mutilée !»... 1911. [Avril]. Ayant été malade, Cocteau séjourne au Cap-Martin avec sa mère: «Le bleu sublime, le bruit chaud de la mer répandu comme un silence, les souvenirs mythologiques m'exhaltent et me détendent à la fois. Je pense à vous sans cesse et plus qu'à tout autre. Avec quelle bonté vous vous êtes penchée sur moi au moment où j'avais besoin d'une “Irène”, comme vous êtes simple, jolie, spontanée, douce et profonde»... - «Je pense et repense à vous. Vous êtes plus dans ma pauvre vie que vous ne semblez croire et notre petit pacte m'évite bien des sottises à faire et me console de bien des sottises faites»... - «Liebe Kleine, Reine etc... J'envie votre radium et votre ail. Les Parisiens se contaminent les uns les autres et font des échanges de bacilles. Cette piscine de laboratoire est irrespirable; seules quelques dames ointes de graisse d'oie résistent et nagent.

[...] Je manque d'oxygène !»... En mai-juin, Marie Scheikévitch est partie à Londres, et Cocteau se plaint d'être sans nouvelles: «C'est encore une tristesse ajoutée aux mille tristesses qui me détraquent sournoisement le caractère»... 28 juillet, alors que la «grande amie» est en villégiature à Évian: «Je sors d'un travail intense et c'est la raison pourquoi je ne vous ai pas fait le moindre signe. Mes parenthèses de travail sont gonflées de sottise et de mauvaise humeur ! Quelle atmosphère ! On y remue des membres électriques et lents comme en pleine eau tiède et je reste là, malheureuse pile pensante qui se dit “on va toucher mon fil d'un autre fil ! ô mains inconséquentes du hasard ! et je vais bondir, éclater, fondre !”»... 17 août, il supplie «Machinka chérie» d'obtenir un article de Jules Lemaitre sur La Danse de Sophocle, après un article «monstrueux» de Guy de Lubersac : «Je pleure ! Je pleure !»...12 septembre, il remercie «Séléné la blanche» d'avoir parlé de lui à «Séléné la brune» [Anna de NOAILLES]: «je vous remercie d'avoir parlé de moi et de mes vers à cette admirable personne mal instruite par des gardiens jaloux. [...] J'ai rebesoin de vos conseils, de votre calme, de votre appui, de votre coeur. Mon sale égoïsme vous appelle. Je suis bien seul malgré maman et j'envoie au-devant de vous mon affection inaltérable»... 1er novembre: «Vous êtes après maman la personne que j'aime respecte et admire le plus au monde»... [23 novembre], après une représentation de Lucrèce Borgia par Sarah BERNHARDT: «Sarah si monstrueuse et si sublime, cette oeuvre immense et ridicule, ces décors hideux et grandioses, forment un ensemble bouleversant. [...] Sarah, saluant à la fin, m'a produit l'impression de Dieu après le 7e jour. C'est ce qui se peut voir de plus haut dans “l'inférieur genre théâtral”. Du reste le mélodrame de style noble et d'intérêt indiscutable me semble être la forme la plus parfaite de ce qui doit se jouer sur une scène»...

1912. En mars, cartes postales du séjour de Cocteau en Algérie. En juin, il presse Marie d'intervenir auprès de Calmette pour obtenir une note dans Le Figaro, «indispensable pour pousser les grosses dames indolentes et littéraires»... En août, amusantes nouvelles mondaines de Paris... Septembre, visite aux ROSTAND à Arnaga: «Maurice porte une bouse de vache frisée en équilibre sur la tête, Edmond cisèle des Ballades pour la montre “Star” et Madame reste en haut “avec des amis” !!»...

4 novembre : «On meurt de malaise à sentir s'approcher la neige (En fait de neige je ne supporte que la vôtre réchauffée d'un peuple d'Edelweiss en velours), à collectionner dans sa gorge la flore et la faune de l'atmosphère citadine, à revoir des gueules. [...] Je vous imagine boréale, archangélique et myope prenant la mesure du nez de votre modèle d'ouverture»...

29 août 1913, séjour à Offranville chez Jacques-Émile Blanche: «Que devient la colombe ? Où ses plumages frais et son roucoulement russe qui calme les frénétiques, les fauves et les crocodiles ? Je pose une autre toile pour Blanche, debout sur pelouse avec vareuse et géraniums. Ciels de Tiepolo, travail, paresse, Sacre du printemps à quatre mains, Greffulhe parfait d'élégance et de tendre fatuité ingénue»... - «La fiancée n'avait sans doute guère envie de voir le fiancé. Le fiancé se l'explique, mais cela ne le remonte pas à une époque où il en aurait besoin»...

3 août 1917, après une lecture du Cap de Bonne Espérance chez Valentine Gross perturbée par l'arrivée de Marcel PROUST en retard: «Je m'excuse, mais vous devez savoir ce qu'une lecture si grave, coupée à demi représente. La figure la plus familière devient le commissaire de police, le mari et les acolytes à la porte d'une chambre d'amour. On ne coupe pas un poète ce que moi j'appelle un poète.

Marcel, prévenu amplement de l'heure et de la réunion, aurait dû le comprendre»... Etc. En 1920, Cocteau envoie à Marie le bulletin de souscription (joint) aux Joues en feu de RADIGUET, «véritable bracelet de perles»...

Le 20 février 1925, il lui annonce les fiançailles de son frère Paul... Vers 1937: «Tous les journaux annoncent que je me consacre à la boxe»...
Parmi les lettres non datées, signalons celle où il recommande la lecture du Journal d'un poète de Vigny, «peut-être l'oeuvre d'intelligence et de noblesse la plus haute que je connaisse»... Et celle-ci qui résume bien le ton de cette correspondance pleine d'affection: «Chère grande amie Je suis triste sans vous. Votre bonté m'avait guéri d'un malaise qui recommence. Il est d'ailleurs inexplicable ce malaise: sensation que personne ne saura jamais ce dont je suis capable, sensation de solitude et détresse “souriante”. Aimez-moi bien, vous êtes le seul coeur proche, sûr, sincère. La souffrance de savoir qu'on me juge comme un aimable pitre m'écoeure du monde et m'enferme dans une solitude néfaste. [...] C'est hélas de la tristesse véritable et une sorte d'étouffement physique».

Référence : «Jean Cocteau et Marie Scheikévitch. Correspondance (1910-1937)», par R. Clerdy et D. Gullentops, in Cahiers Jean Cocteau 17 (2019).

Provenance : George KOPP (ex-libris).

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