Lot n° 16
Sélection Bibliorare

COCTEAU JEAN - CARNET autographe, [1919-1920] ; 79 feuillets oblong in-8 (13,5 x 20,5 cm) écrits pour la plupart recto et verso, à l'encre et au crayon, montés sur onglets...

Estimation : 8 000 - 10 000 EUR
Adjudication : 15 000 €
Description

; relié en un volume oblong in-8, demi-maroquin rouge à bandes, dos lisse avec titre doré aux lettres entourées et traversées d'un filet au palladium, étoile de Cocteau dorée sur la bande du premier plat, tête dorée, couvertures conservées (Paul Bonet).

Précieux carnet, véritable laboratoire de la création de Cocteau alors qu'il vient de rencontrer Radiguet: poèmes, réflexions sur le cubisme, aphorismes, notes sur l'actualité littéraire et artistique, brouillon de lettre, dessins ou croquis.

Cocteau a emporté ce carnet avec lui durant ses vacances d'août septembre 1919 au Pays Basque, puis en Provence, notamment à Grasse dans la villa de Francis de Croisset, et lui a confié toutes les pensées qu'il jugeait d'importance. Cette période décisive de sa vie fut très riche: engagé dans l'avant-garde littéraire et artistique de l'après-guerre, il entame un retour sur soi sous l'influence de Raymond Radiguet dont le classisme limpide l'attire.

Ce carnet capital est resté inconnu des exégètes de Cocteau.
Poèmes. Le début du carnet (ff. 3-39) est principalement consacré à la poésie, au premier jet et à l'élaboration de poèmes qui figureront pour la plupart dans le recueil Poésies (1917-1920) paru en mai 1920 aux éditions de La Sirène: Cocteau a inscrit ici des versions intermédiaires très retravaillées, et jeté de premières idées, des esquisses, parfois non reprises. Figurent notamment les poèmes suivants, dont les six formant la suite des «Cartes posta les» (Cette, Lourdes, Marseille le soir, Marseille le matin, Aix, La Maison de Cézanne) : Madrigal (f. 1, Pléiade p. 346); Fête de Montmartre» (ff. 5-7 et 9-12, plusieurs versions successives certaines avec titres provisoires:
Encore un tour, Départs, Timbre poste, Le Pied marin); Voyage de noces (f. 8); Cette (ff. 13-14); Cadran solaire (f. 14 v); Marseille le soir (ff. 16-17 et 19, avec titre provisoire Marseille la nuit); Marseille le matin (ff. 18 et 20); Aix (ff. 23-25, avec titre primitif À Aix); Lourdes (f. 24); La maison de Cézanne (ff. 35-37).

Aphorismes (ff. 40-42), dont: - des badineries sur RIMBAUD: «Rimbaud était bête, heureusement pour lui - il a dû finir idéologue, fondant des religions pour nègres. Bête comme un musicien, comme un peintre»; «Un vieux nègre venu de Harrar raconte que Rimbaud a fini son existence en Amérique sous le pseudonyme de Walt Whitman»; - des charges ironiques contre la NRF, qui lui était alors provisoirement fermée en raison de l'hostilité de Gide: «La N.R.F. est très avancée. Elle commence même à sentir»; «La N.R.F. tripote de plus en plus sa lorgnette. C'est indécent»...

Actualités artistiques et littéraires (ff. 42-43): Cocteau évoque la publication aux éditions de La Sirène de son ouvrage La Noce massacrée (avril 1920), la reprise en décembre du Sacre du Printemps et de Parade, les publications et représentations d'oeuvres de Radiguet,
Max Jacob, de Satie, du groupe des Six... Sur Roger de La Fresnaye et le cubisme (ff. 43-57). Notes très développées, dont nous ne pouvons donner ici que quelques citations.

«Pour bien faire comprendre la place de Roger de La Fresnaye - il faut d'abord que je m'en écarte», et Cocteau évoque la poésie: «La véritable poésie est toujours maudite», Rimbaud, Mallarmé, puis
Picasso, Braque, Lipchitz, Tzara («Tzara remue les mots - et il sort des surprises qui nous émerveillent»...), jusqu'à Picabia: «Picabia n'aime pas la peinture. Il règle sa montre. Il aime les mécanismes»...

Puis il revient à La Fresnaye: «La Fresnaye est fraîcheur. [...] Est-il cubiste ? Y a-t-il des cubistes ? Peut-on ne pas l'être ? Il est de mode de refuser à Picasso le mérite d'avoir prêté à tout le monde. [...] Après Picasso on ne peut pas peindre comme un Picasso. [...] La Fresnaye ne cultive pas une vieille peinture»... Il a peint peu de toiles, à cause de la maladie contractée à la guerre... «Types de grands rapins : Michel-Ange, Delacroix, Claude Monet, Matisse. Anti-rapins: Raphaël,
Ingres, Cézanne, Picasso. Le rapin viole. Il est très heureux. L'anti-rapin aime. Il est très malheureux. Roger de La Fresnaye est anti-Rapin. La Fresnaye se distrait en peignant du drame d'être peintre. [...] L'art de La Fresnaye n'a rien de tragique - mais elle compose douce de ceux qui savent que l'alphabet n'offre que des combinaisons réduites»... Etc.

Brouillon de lettre à Raymond Radiguet (ff.58-79), écrit dans le train de Mauléon à Toulouse, puis vers Aix... «J'aime la poésie plus que tout au monde et les poètes m'ennuient. [...] Mais grâce à vous, mon petit, je retrouve l'âge du grenier. Découvertes merveilleuses.
[...] je recopierai ce griffonnage illisible en arrivant à Aix. [...] Ce train est une merveille d'inconfort et de salefé. [...] Je me distrais en vous apprenant par coeur. [...] À 6 heures, descente des valises à Cette.

On rate la correspondance. Je vais écrire comme Beaudelaire un poème qui s'appellera Correspondances. À Cette lever de soleil dans les mats - très beau. [...] Je me promènerai dans Marseille avec vous.

Voulez-vous ? Et de Marseille il faudra encore se rendre à Aix»... Louis Durey entraîne Cocteau dans Tarascon; au retour, le train est «parti avec tous nos bagages. Poèmes etc. Ici commence un film de Pearl White. Nous sautons sur une locomotive»... Amusante rencontre avec un Russe; arrivée à Aix; visite à Darius Milhaud...

Dessins sur 13 feuillets, au crayon ou à la plume: visages, vue de Sète, phonographes, maisons, deux caricatures d'Anna de Noailles, etc.

Provenance : Dr Robert LE MASLE (1901-1970), avec inscription en tête: «M'a été donné par Cocteau après la mort de Radiguet, en décembre 1923. R. Le Masle».

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