Description
Belle correspondance à sa fille cadette, « Mixton », « Mix » ou « Mixy ».{CR} Paris 31 octobre 1917. Il l’interroge sur sa situation, sur les possibilités de travailler à Vernègues, et sur la poursuite méthodique de leurs résolutions, demandant les moindres détails de l’affaire : « Car il n’y a pas de petites choses ou de choses vaines. Tout est très important, dans la minutie de tout labeur […] Je vais à ma grande corvée de l’usine. Mes résultats sont formidables »… 29 mars 1918. Il raconte sa vie à Paris, où la vie est chaque jour plus difficile, « problématique même au prix du travail le plus forcené. Les modèles ne viennent plus poser, inquiets du danger qu’ils courent à mon atelier. J’ai ainsi plusieurs portraits sur lesquels je comptais pour pouvoir réaliser les fonds nécessaires à un exode prochain – pas moyen de les terminer ! […] Au fond l’affolement est partout et nous vivons ici les heures les plus critiques de l’horrible cauchemar ». Quant à « d’Alignan et compagnie », ses éditeurs, ils le tiennent avec « tout le cynisme de leur ignominie », et il attend le bon moment pour les assigner en justice. Il travaille jour et nuit « pour arriver à forcer la chance ». Il avait réussi à faire partie d’une exposition belge, dans l’espoir de vendre quelques toiles, mais elle a été annulée. « Il n’y a d’ailleurs pas moyen de trouver un cadre. Plus d’encadreurs, plus de layettes, plus rien ! le travail est arrêté partout et la vie est hors de prix ». Il espère qu’il parviendra à trouver l’argent nécessaire pour les rejoindre… Élizabeth est très impressionnée par les bombardements dont la menace est permanente. Il compte demander des subsides au gouvernement « pour des expositions “de propagande”, les seules qui aient des chances d’être, en ce moment, subventionnées ». Il ne lui reste plus que quelques francs en poche, « au milieu de toutes les alertes et les menaces de toutes sortes. Patience. – Ce matin nous avons été réveillé par le canon monstre à 7 h. du matin. Détonations épouvantables. […] Nous saurons demain ou ce soir le nombre des victimes. Tout le monde quitte Paris. On ne voit dans les rues que des automobiles surmontées de malles. Mais les départs sont eux-mêmes difficiles »… 17 mai 1918. « Je viens d’être très malade mais me voici heureusement hors de danger. […] ma vie entière a été très difficile à tous égards. Je suis un peu comme le “Fliegender Hollander” qui lutte sans cesse contre les flots en furie, sans pouvoir aborder nulle part ! Je voudrais bien pouvoir venir vous retrouver là-bas. Mais la difficulté […] est toujours la même » : il n’a pas d’argent mais va tenter d’en obtenir de quelques travaux récents. Il espère qu’elles se portent bien et que la fin de cet affreux cauchemar de guerre est proche…{CR} 28 mars 1919, à Élizabeth et Marie-Thérèse. Il a reçu hier le « prince des Beaux », qui lui amené « un jeune tourlourou qui veut m’acheter des dessins »… Il doit terminer son petit monument pour d’Alignan, mais il en a presque fini la terre, pour ensuite le confier à son mouleur. « Je vous donne en mille la dernière pensée de d’Alignan […] faire mouler le Pont d’Avignon » : celui-ci a acheté un grand terrain là-bas, « dont il veut faire, le “tombeau des artistes” (??!!!) Et c’est moi qui devrais être l’auteur de ce monument, temple, mausolée, ou colombarium, – four crématoire […] où l’on mettrait à l’expiration de leurs contrats, ses malheureux collaborateurs, si !! (ce n’est pas une blague !) ». Il veut bien faire ce monument, mais à un prix très élevé, et en précisant dans son testament qu’il ne veut pas y être mis… 15 avril. « Je suis en possession du livre le plus extraordinaire du monde : c’est le 1er exemplaire de Diaboliques de Barbey d’Aurevilly. C’est son exemplaire à lui, […] et dont la préface est une longue et vraiment merveilleuse enluminure de Léon Bloy. Le texte en est tout entier de sa main dans une “gothique” d’une impeccabilité vraiment sublime ! Et c’est un véritable crève-cœur de devoir se démunir peut-être d’une pièce aussi rare, aussi belle, qui vaudra un jour tout ce qu’on voudrait en demander ». Louise Read est obligée de s’en séparer pour avoir des fonds lui permettant d’éditer les œuvres posthumes de Barbey. Elle en demande 1500 francs. De plus, le volume, relié par un relieur célèbre « sur un plan de Barbey d’Aurevilly. Je suis certain que d’ici peu de temps il vaudrait cinq mille […]. Nous pourrions, Elizabeth et moi, y ajouter un portrait à l’eau-forte ou un bois, tiré à un exemplaire, pour orner le livre ». Il voudrait aussi y ajouter une signature de Bloy... 14 mai. La situation, bien qu’encore difficile, s’améliore doucement. Il a bientôt terminé deux nouveaux bustes, de Mallarmé et Claude Debussy. C’est Dujardin de la Revue idéaliste qui réunit les fonds des « mallarmistes » pour le monument de Mallarmé… Il a assisté à un festival Debussy, où il a entendu toutes ses œuvres, qui le confortent dans son idée du monument, et il y a vu Mme et Mlle Debussy qui sont enthousiastes. « Le projet de ce monument, je le ferai en Provence avec toi ». Il compte venir en effet y passer quelques semaines, mais il faudra après retourner à Paris « pour terminer ensemble, dans le plâtre, le joli monument d’Alignan qui en a besoin dans certains détails et qui est une œuvre très curieuse ». Il est même possible qu’il arrive avant 15 jours, d’Alignan étant tellement impatient qu’il propose de le conduire en Provence dans son automobile ! Il évoque l’affaire du tableau du Christ aux outrages … 14 août : « nous serons certainement bientôt réunis. C’est demain seulement que je touche mon argent et je t’en enverrai »… Vernègues 6 décembre. Tandis qu’elle visite Rome, ils tentent de s’acclimater à leur nouvelle demeure, « qui laisse terriblement à désirer encore pour un fastueux de mon espèce dont l’idéal n’est que très-relativement campagnard. Quoiqu’il en soit, je pense que nous arriverons à une assez puissante harmonie de point de vue et de sagesse dans l’exécution et la persévérance des énergies vers les résultats en vue, sans les atteindre d’abord, et ensuite, les dépasser… En attendant, voici que tu as triomphé dans tes géorgiques amours », en souvenir de quoi il lui offre un petit cachet d’argent… Il lui donne la marche à suivre pour la centaine de ses dessins encore entre les mains de Mme de Gerlache de Gommery…