Lot n° 69
Sélection Bibliorare

Charles GOUNOD (1818-1893). 26 L.A.S., 1870-1893, à Léonce Détroyat ; 70 pages formats divers (une au crayon).. Bel ensemble témoignant peu à peu de sa désaffection pour le théâtre, et l’abandon du projet d’Henri VIII (qui sera traité par Saint-Saëns).. 17 février 1870.

Estimation : 2 500 - 3 000
Adjudication : 3 328 €
Description

Sa soirée est prise par la représentation de Guido et Ginevra aux Italiens…

Londres 26 novembre 1872. « Je ne sais si je ferai jamais rien qui puisse faire lâcher prise à tous les dogues (petits ou gros) qui aboyent ou mordent à l’envi sur mon absence » ; les attaques se renouvellent alors qu’on va donner sa musique pour Les Deux Reines de Legouvé. Ne pouvant venir le 20 décembre, il accepte d’envoyer un morceau inédit, mais interdit que des copies circulent avant sa publication… 30 novembre. La chanson qu’il allait lui envoyer ne peut pas aller : « Voici donc un autre morceau qui vient de paraître, et auquel j’ai fait adapter une traduction française : je crois qu’il est tout à fait dans le sentiment de la fête », et n’a pas besoin d’artistes de premier ordre…

Anecdote sur le chanteur Faure, furieux que Gounod ne l’ait pas accompagné dans un concert « où j’ai accompagné ma propre musique, la seule que j’accompagne jamais »… 9 octobre 1873. Protestation contre un article malveillant dans La Liberté : l’on y déplore le cas « très grave » du « pauvre », du « malheureux » Gounod, qui se consacre à la « Routine en matière d’art ». Mais le jour où ses travaux seront connus, « je serai largement vengé de toutes ces petites persécutions et de ces criailleries de l’impuissance aux abois »…

Saint-Cloud 4 septembre 1875. Idées à communiquer à ses collègues : « 1° Pas de Colossal – c’est la mort de l’art musical surtout au théâtre, où la trop grande distance entre le chanteur et l’auditeur supprime toute physionomie et tout intérêt […] 2° Refaire non un théâtre lyrique, mais le théâtre lyrique c. à d. l’École normale où se produiront et se formeront, par le contact public et l’expérience personnelle, les jeunes maîtres parmi lesquels nos grandes scéniques lyriques se recruteront chaque jour pour maintenir et perpétuer, dans un répertoire national dignement entretenu, l’honneur de la musique française. Ce doit être une sorte de salon d’où les auteurs monteraient au musée »… 8 novembre 1877. Cette « diablesse de reprise de Cinq-Mars » ne lui laisse pas de temps ; il est excédé par les répétitions et les discussions de changements…

Vendredi soir [octobre 1878]. Écrasé par les répétitions de Polyeucte, dégoûté par le théâtre, il n’a pas eu le temps de relire L’Alcade, auquel il trouve supérieur son Henri VIII, bien que ce personnage soit « peu chantant et peu chantable. Quel pourceau ! »… 18 octobre. La pièce est musicale par les situations, mais « elle pèche contre la musique par la forme, ou, si vous aimez mieux, par la coupe d’un grand nombre des morceaux ou des scènes qui offrent rarement au musicien des morceaux bien construits. De plus, il y a nombre de vers dont le langage est […] anti-musical, anti-chantable »…

Armand Silvestre, malgré son talent de poète, n’a pas suffisamment conscience et expérience des « conditions spéciales des exigences rhythmiques et des nécessités de construction de notre art » ; il recommande de lui adjoindre Barbier…

21 octobre. Il a serré de près les modifications indispensables pour voir la pièce à l’Opéra : « rien de nécessaire n’est sacrifié. Je sais, par une douloureuse et déjà vieille expérience, tout le tort que font à une partition les coupures tardives »… 30 octobre : « Je verrais Faure superbe dans le Roi, et un Capoul ferait un fou merveilleux »… 13 juin 1879. Après quatre ans de travail incessant – Cinq-Mars, Polyeucte, Le Tribut de Zamora – il lui faut du repos, et la suspension de « toute idée de composition, jusqu’à ce que ma dernière pièce soit jouée. Je n’ai pas une idée. Je ne veux pas noircir du papier. […] On ne voit pas clair dans une œuvre quand on est tout entier à une autre »…

14 juin [1880]. Il se sent « découragé, dégoûté, stérile en fait de théâtre », où il ne rencontre que des échecs et des déceptions ; seul Faust « reste debout dans les sympathies ou plutôt dans les habitudes du public », tout le reste, « au cimetière ! », et il ne se soucie pas de ranger un cadavre de plus dans sa galerie dramatique. Henri VIII est toujours « très beau », mais Gounod est « refroidi, paralysé » : « je n’ai plus l’illusion dramatique. Je ne peux pas confier vos destinées à un aveugle »…

17 juin. Il retrouve « six feuillets de notes d’essai prises sur divers passages de votre Henri VIII […] je ne suis que trop fondé à constater le déclin au moins actuel sinon définitif de mes aptitudes au théâtre ; […] il y aurait, de ma part, non seulement entêtement absurde et stérile, mais déni de conscience, improbité à donner une marchandise que je sens, que je sais défectueuse et funeste pour les autres comme pour moi »… Il rappelle sa résistance initiale, et sa peine à faire Le Tribut de Zamora : « ce n’est pas avec des raisonnements qu’on produit ; c’est avec des impulsions, des entraînements : eh bien, le théâtre ne me donne plus d’impulsions mais des répulsions et de l’obscurité : je ne l’entends plus chanter en moi »…

21 juin. Il demande à Détroyat de lui rendre sa « liberté », sous peine de lui faire faire un pensum…

27 septembre. Il désire toujours « en avoir fini avec un genre de travail où je ne rencontre plus que répugnance et manque absolu de confiance en moi »… Etc.. On joint une photographie (par Charles Chambon à Bordeaux), avec dédicace autographe (un peu passée) : « à Léonce Détroyat souvenir amical et souhaits de nouvel an. 1er janvier 1869 ». Plus la copie d’une lettre concernant un projet de théâtre lyrique international (5 février 1892).

Mabille.

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