Description
pages in-8 remplies d’une minuscule écriture (petite déchirure au coin de 2 feuillets).
Très intéressante et longue lettre depuis son exil de Jersey, peu avant son départ aux États-Unis, où il fondera dans le Kansas la communauté égalitaire de New Egality.{CR} À la fois supplique, exposé et testament de ses idées philosophiques et politiques, cette lettre comporte des extraits de l’ouvrage qu’il projette, et prépare son imminent départ en Amérique. Il avait déjà envoyé à G. Sand « un fragment de mon livre où je posais le problème que je voulais résoudre ». Il continue : « ce ne sera pas une lettre : ce sera un dépôt que je vous confie en cas de mort »... Il lui expose sa vision du futur dans une troisième partie intitulée « L’Avenir : Économie politique de la société future, autrement dite humaine ». La société présente, qu’il nomme « société civile ou historique », issue de la société passée « naturelle et primitive », est en train de mener à « l’ère des sociétés humaines ou future »... Bientôt « cette terre sera la terre où fleurit souriante la Société humaine. Je sais qu’elle existe. [...] C’est qu’en effet il y a des heures, à l’époque actuelle, où la Société civile, remuée jusque dans ses fondements, semble pouvoir voguer à pleines voiles vers l’avenir, et devenir ainsi la société humaine ». Il sent dans la société actuelle « le souffle transformateur de la vie », et « l’heure de sa délivrance approche. Tout, en elle l’indique ». La propriété est devenue accessible à chacun comme un produit quelconque, et le capital « se livre publiquement, et se vend au marché ». Le travailleur n’est plus corvéable à merci : « Il n’est plus serf ou vilain, membre d’un Tiers-État qui n’est rien, demande à être quelque chose, étant tout ». L’ouvrier est l’égal du maître, et l’égal du marchand. Le souverain est aujourd’hui un empereur, mais « demain, la Convention peut-être ! » Rien ne s’oppose donc à la transformation de cette société civile en société humaine. À grand renfort d’exemples bibliques, antiques ou historiques, il expose sa théorie : « Économie politique de la société future, autrement dite humaine », commençant par les « Bases fondamentales et économiques » de cette société. Mais pour connaître « l’usage de la richesse, de l’instrument, du capital, de l’homme au sein de la société humaine » il faut répondre aux questions suivantes : Qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce qu’est le Capital ? la richesse ? l’instrument ? Leroux développe ces questions selon sa philosophie personnelle, à la fois chrétienne et socialiste, s’appuyant toujours sur la Bible, Platon, l’histoire antique, ses propres réflexions… Etc.{CR} Toutefois il abandonne son propos pour exposer sa situation et celle de sa famille. Il raconte sa difficile existence depuis son exil en 1851, à Londres puis à Jersey, avec sa femme et ses sept enfants. Il a connu et connaît de graves difficultés financières. Il raconte sa reprise d’une imprimerie à Jersey, la liquidation de cette affaire, où il fut volé par son frère et son financier, un homme très riche : « Bref, il ne me resta qu’une vache, un cheval, et les terres les plus maigres du bail de mon frère ». Il s’est épuisé à la tâche et plusieurs de ses enfants l’ont aidé à survivre de l’agriculture : « ce n’est que depuis l’hiver dernier, mes forces physiques à peu près épuisées et celles de mes enfants y suppléant, que j’ai pu me remettre au travail de la pensée. Mais ces pauvres enfants, si fermes, si courageux et si forts (trois filles et deux garçons) peuvent-ils, je vous en fais juge, rester encore longtemps dans ces mauvaises conditions d’existence ? Ils ont le pain de l’estomac, pas même celui du corps, et l’adolescence s’enfuit du garçon, les filles sont ici sans aucune espérance de pouvoir se marier ! ». Il parle de sa décision de partir pour les États-Unis « pour les établir sur la terre vierge et fertile ». Il veut s’installer au Kansas, où l’attendent déjà son frère et des amis, mais les risques et le coût du voyage lui font peur. Ils seront sept, et il a besoin pour le voyage seul de la somme de 112 £, qu’il aura du mal à réunir même s’il vend tous leurs biens. Il calcule les dépenses du voyage, de Jersey à Liverpool, puis la traversée jusqu’à New York, et le voyage jusqu’à Topéka, Kansas. Il craint de ne pas survivre à un si périlleux voyage, si long, si loin, et la prie de prendre en dépôt une partie de son manuscrit. Il la prie également de veiller sur sa fille aînée, « la nièce de Pierre Leroux », qu’il laisse derrière eux en Europe, avec son mari « pauvre ouvrier et excellent cœur ». Il lui demande aussi une lettre d’introduction « près de quelque habitant d’Amérique »... Etc.{CR} [George Sand envoya 100 F et son ami Édouard Rodrigues la même somme, ce qui permit à Jules Leroux de s’embarquer le 9 octobre pour l’Amérique.]