Lot n° 24

LIVRE D’HEURES À L’USAGE DE PARIS — France, Paris, vers 1500 — En latin et en français, manuscrit enluminé sur parchemin, 153 ff. Reliure de maroquin brun, dos à cinq nerfs orné de filets et entrelacs à froid, titré et daté « HORÆ...

Estimation : 25 000 - 35 000 €
Adjudication : 88 872 €
Description

BEATE MARIÆ VIRGINIS. MS. XV. S. », encadrement de double et triple filets à froid sur les plats avec une frise intermédiaire d’entrelacs ou acanthes, tranches dorées, contregardes et recto de la première garde de soie verte, deux fermoirs métalliques ornés, signet de soie bleue (Reliure pastiche du XIXe siècle). Dimensions : 174 x 120 mm.

BEL EXEMPLE DE L’ASSOCIATION DE DEUX PEINTRES ÉMINEMMENT PARISIENS VERS 1500, AVEC UN CYCLE DE MINIATURES D’UNE GRANDE FRAÎCHEUR. L’ILLUSTRATION DE CE BEAU LIVRE D’HEURES PARISIEN FUT RÉALISÉE PAR DEUX ARTISTES : LE MAÎTRE D’ETIENNE PONCHER ET LE MAÎTRE DE PHILIPPE DE GUELDRES.
Avec 18 grandes miniatures et 43 petites miniatures (dont 24 pour le Calendrier) par deux artistes : le Maître de Philippe de Gueldre et le Maître d’Étienne Poncher.

Le Maître d’Etienne Poncher doit son nom à l’évêque de Paris de 1502 à 1519 pour lequel il enlumine deux manuscrits : un pontifical Paris BnF. lat. 956 et un manuscrit des Empereurs de Rome et d’Allemagne (coll. part., non localisé ; vente Mensing Amsterdam 1929, cat. 45) (voir I. Delaunay, Échanges artistiques entre livres d’heures manuscrits et imprimés produits à Paris (vers 1480-1500), thèse de doctorat, oct. 2000, pp. 289-311). Delaunay dénombre 24 livres d’heures de sa main dont onze à l’usage de Paris. On compte parmi sa clientèle des personnages issus de la noblesse : Jacqueline de Morainvillers (Poitiers, BM, ms. 53, vers 1497 date de son mariage), Pierre d’Urfé (Lyon MS. 1402 après 1502), et le livre de prière de Geoffroy de la Croix (Paris, ancienne collection SMAF 92-1). Parmi les livres d’heures, certains sont passés en vente récemment : Christie’s 1er déc. 2015 lot 21 et Drouot 17 décembre 2014, lot 164bis, d’autres sont apparus chez H. Tenschert (Paris mon amour. 20 Stundenbuch aus Paris 1460-1500, Kat LXXXI, 2008, n° 44, 45). Il a dû faire son apprentissage auprès du Maître de Jacques de Besançon alias François Barbier. On le remarque dans les Heures dites de Pixerécourt où comme ici il peint des diptyques, procédé à la mode vers 1500 (Nantes, Musée Dobré, XIV ; voir I. Delaunay dans Trésors enluminés des musées de France, dir. P. Charron ; M.-E. Gauthier ; P.-G. Girault, 2013-2014, cat. 43). Cet artiste a aussi peint pour les imprimés de la fin du XVe siècle : on reconnait sa main dans Sebastian Brant, Nef des folz du monde, Paris, Marnef, 1497 imprimé par le célèbre libraire parisien Antoine Vérard et destiné à Charles VIII (France 1500. Entre Moyen Age et Renaissance, 2010, n° 142).

Son style est particulier avec des nez en trompette pour les profils comme ici l’ange dans l’Annonciation. Les visages sont ovoïdes et larges du front pour la Vierge. Les regards formés d’une grosse pupille ronde sont appesantis par des contours noirs qui délimitent le bas de la paupière. La lèvre inférieure plus petite, dessine un « V » et donne un air souriant aux figures. L’artiste fait ici référence à un nouveau répertoire parisien assez schématique inspiré des artistes ligériens comme la toque d’Elisabeth dans la Visitation. La scène du boulanger au mois de décembre est habituelle chez l’artiste.

Les autres miniatures sont dues au Maître de Philippe de Gueldre, artiste défini la première fois par Pächt et Thoss (1977) puis par J. Plummer en 1982 qui l’a baptisé « Maître de Philippe de Gueldre » d’après le nom de la seconde femme de René II Duc de Lorraine pour laquelle il a peint une Vie du Christ en 1506 (Lyon, BM, MS 5125 ; Avril et Reynaud (1993), no. 152). On reconnaît son style au dessin très fin des visages, à la minuscule bouche entrouverte.

Il semble s’être formé à Bourges auprès du Maître du Spencer 6. Il travaille pour Louis XII pour lequel il enlumine l’Anabase de Xénophon (Paris, BnF, fr. 702), et Jean d’Auton, Traité sur le défunt de Garillant (Paris, BnF, fr. 5087). Il peint pour Louise de Savoie plusieurs imprimés dont Guillaume Alexis, Le Passetemps de tout homme et de toute femme (Paris, BnF, Rés. Vélins 2249) ; Jean Castel, Le Spécule des pecheurs, Paris, Antoine Vérard, c. 1505-1507 [voir Avril et Reynaud, Les manuscrits à peintures en France 1440-1520 (1993), cat. 155 ; France 1500. Entre Moyen Age et Renaissance (2010), no. 88]. C’est un artiste qui illustre des manuscrits de prestige tout en travaillant régulièrement pour le livre imprimé et succède au Maître de Besançon comme peintre de frontispices. La scène de l’apparition du Christ jardinier à Marie-Madeleine s’inspire du beau livre d’heures enluminé par l’artiste Jean Poyet pour Charles VIII (Avril et Reynaud (1993), cat 170). On retrouve sa main dans un Dante dans la traduction de François Bergaime réalisé pour Guillaume Gouffier inspiré de bois italiens de 1497 (M. D. Orth, Renaissance Manuscripts. The Sixteenth Century, vol. 1, cat. 24, fig. 64-67 ; vol. 2, pp. 99-102). Il est également responsable de deux livres d’heures décrits par
H. Tenschert (Leuchtendes Mittelalter VI, 2009, cat. 26-27).

Ce manuscrit est intéressant car il constitue une œuvre collective, fruit de la collaboration entre deux artistes.
Il témoigne de la division du travail entre mains spécialisées et de l’association entre plusieurs artistes à Paris en ce début du XVIe siècle. Le caractère collectif ou du moins l’association contemporaine ou proche contemporaine (« near-contemporary ») de ce livre d’heures reflète bien la tendance à la multiplicité des intervenants et des associations possibles entre scribes, enlumineurs, « historieurs » (décor) et libraires. Le phénomène des associations entre les artistes, réservé jusqu’alors aux commandes d’exception, s’accroît de manière évidente dans le livre d’heures du dernier quart du XVe siècle. Delaunay avance : « On imagine mal dans ce cas, un commanditaire en relation avec différents miniaturistes mais plutôt un libraire qui distribue et assure la cohérence de l’ensemble… Par ces biais, les nouvelles idées se diffusent aisément » (Delaunay, 2000, vol. 1, p. 312).

TEXTE : 
ff. 1-12v, Calendrier en français [à l’usage de Paris], encres rouge, bleue et or, avec les saints suivants : Geneviève
(2 janvier, en or) ; Denis (9 octobre, en or) ; ce calendrier suit celui de Paul Perdrizet, Le calendrier parisien à la fin du moyen âge, d’après le Bréviaire et les Livres d’Heures, Paris, 1933.
ff. 13-18, Péricopes évangéliques (ff. 13-14v, saint Jean ; ff. 14v-15v, saint Luc ; ff. 16-17, saint Mathieu ; ff. 17v-18, saint Marc) ;
ff. 18v-22, Obsecro te (désinence masculine « […] mihi famulo tuo […] » (fol. 20v));
ff. 22-24, O intemerata ;
ff. 24v-77v, Heures de la Vierge [à l’usage de Paris], avec matines, ff. 25-45 ; laudes, ff. 45v-54v ; prime, ff. 55-59, antienne : Benedicta tu et capitule : Felix namque ; tierce, ff. 59v-62v ; sexte, ff. 63-65v ; none, ff. 66-68v, antienne : Sicut lilium et capitule : Per te dei ; vêpres, ff. 69-73v ; complies, ff. 74-77v.
ff. 78v-89, Psaumes pénitentiaux (manque un feuillet contenant le début des psaumes et la miniature qui aurait certainement représenté David en prière) ;
ff. 89-93v, Litanies des saints ;
ff. 95-97v, Heures de la Croix ;
ff. 98-100v, Heures du Saint-Esprit (manque un feuillet qui aurait certainement représenté une Pentecôte) ;
ff. 101v-137, Office des morts [à l’usage de Paris], avec les leçons suivantes : Qui Lazarum […] ; Credo quod […] ; Heu michi […] ; Ne recorderis […] ; Domine quando […] ; Peccantem me […] ; Domine secundum […] ; Memento mei […] ; Libera me […] ;
ff. 137v-141v, Suffrages aux saints (Trinité, Michel, Jean-Baptiste, Jean l’Evangéliste, Pierre, Nicolas, Anne, Marie Madeleine, Catherine, Marguerite) ;
ff. 142-147, Prière des Quinze joies de la Vierge, en français. Incipit : « Doulce Dame de misericorde » ;
ff. 147v-150v, Sept requêtes à Dieu, en français. Incipit : « Doulx Dieu… » ;
ff. 151-153v, Suffrages supplémentaires (Sébastien, Laurent, Barbe, Apolline et Geneviève).

ILLUSTRATION :
Ce manuscrit contient 43 petites et 18 grandes miniatures. Au Maître d’Etienne Poncher reviennent le calendrier
(24 petites miniatures) et dix enluminures : ff. 24v, 45v, 55, 63, 69, 74, 98, 102, 138v, 139v. Les autres miniatures sont dues au Maître de Philippe de Gueldre, à savoir ff. 13, 14v, 16, 17v, 18v, 25, 59v, 66, 78v, 94v, 95, 101v et la plupart des miniatures des suffrages à savoir ff. 137v, 138, 139, 140, 140v, 141, 141v, 142, 143, 147v, 150v, 151, 151v, 152v, 153v (en tout 27 miniatures).

Calendrier, avec 24 petites miniatures par le Maître d’Etienne Poncher :
f. 1, Mois de janvier ; travaux des mois : Repas servi devant l’âtre ; signe du zodiaque : Verseau
f. 2, Mois de février; travaux des mois : Homme se chauffant au coin du feu ; signe du zodiaque : Poissons ;
f. 3, Mois de mars ; travaux des mois : Taille des vignes ; signe du zodiaque : Bélier ;
f. 4, Mois d’avril ; travaux des mois : Femme dans un jardin ; signe du zodiaque : Taureau ;
f. 5, Mois de mai ; travaux des mois : Couple, scène courtoise ; signe du zodiaque : Gémeaux ;
f. 6, Mois de juin ; travaux des mois : Homme fauchant ; signe du zodiaque : Cancer ;
f. 7, Mois de juillet ; travaux des mois : Moissons ; signe du zodiaque : Lion ;
f. 8, Mois d’août ; travaux des mois : Vannage ; signe du zodiaque : Vierge ;
f. 9, Mois de septembre ; travaux des mois : Foulage du raisin ; signe du zodiaque : Balance ;
f. 10, Mois d’octobre ; travaux des mois : Semailles ; signe du zodiaque : Scorpion ;
f. 11, Mois de novembre ; travaux des mois : Glandée ; signe du zodiaque : Sagittaire
f. 12, Mois de décembre ; travaux des mois : Cuisson du pain ; signe du zodiaque : Capricorne ;

Suivent 18 grandes miniatures et 10 petites miniatures :
f. 13, saint Jean sur l’île de Patmos [grande miniature] ;
f. 14v, saint Luc et le bœuf [petite miniature] ;
f. 16, saint Mathieu et l’ange [petite miniature] ;
f. 17v, saint Marc et le lion [petite miniature] ;
f. 18v, Vierge à l’Enfant [petite miniature] ;
f. 24v, Rencontre à la Porte dorée [grande miniature] ;
f. 25, Annonciation (matines) [grande miniature];
f. 45v, Visitation (laudes) [grande miniature];
f. 55, Nativité (prime) [grande miniature];
f. 59v, Annonce aux bergers (tierce) [grande miniature] ;
f. 63, Adoration des Mages (sexte) [grande miniature];
f. 66, Présentation au Temple (none) [grande miniature];
f. 69, Fuite en Egypte (vêpres) [grande miniature] ;
f. 74, Couronnement de la Vierge (Complies) [grande miniature] ;
f. 78v, David et la lettre remise par Urie [grande miniature];
f. 94v, Apparition du Christ à Marie Madeleine [grande miniature] ;
f. 95, Crucifixion (Heures de la Croix) [grande miniature];
f. 98, Baptême du Christ [grande miniature];
f. 101v, Job rallié par le diable [grande miniature];
f. 102, Résurrection de Lazare [grande miniature];
f. 137v, Trinité [petite miniature] ;
f. 138, saint Michel Archange tuant le dragon [petite miniature] ;
f. 138v, saint Jean-Baptiste [petite miniature] ;
f. 139, saint Jean l’Evangéliste [petite miniature] ;
f. 139v, saint Pierre et saint Paul [petite miniature] ;
f. 140, saint Nicolas et le miracle des enfants [petite miniature] ;
f. 140v, sainte Anne apprenant à lire à Marie [petite miniature] ;
f. 141, Marie Madeleine [petite miniature] ;
f. 141v, sainte Catherine [petite miniature] ;
f. 142, sainte Marguerite [petite miniature] ;
f. 143, Vierge à l’Enfant en gloire sur un croissant [grande miniature] ;
f. 147v, Ecce Homo présenté par deux anges [grande miniature] ;
f. 150v, saint Sébastien [petite miniature] ;
f. 151, saint Laurent [petite miniature] ;
f. 151v, sainte Barbe [petite miniature];
f. 152v, sainte Apolline [petite miniature] ;
f. 153v, sainte Geneviève [petite miniature].

COMPOSITION ET DÉCORATION :
153 ff., précédés et suivis de deux feuillets de garde, manque au moins 2 feuillets contenant des miniatures et du texte (entre les ff. 78-79 (une Pentecôte ?) ; entre les ff. 97-98 (David en prière ?)) (collation impraticable, reliure trop serrée), écriture gothique à l’encre brune, texte sur une colonne (justification : 87 x 52 mm), 18 lignes de texte, réglure à l’encre rouge pâle, rubriques en bleu, bouts-de-ligne en rose foncé ou bleu avec rehauts blancs et décor à l’or bruni, initiales d’une ou deux lignes de hauteur à l’or bruni sur fonds rose foncé ou bleu avec rehauts blancs, grandes initiales de trois lignes de hauteur en rose foncé ou bleu avec rehauts blancs sur fonds d’or bruni, bordures décorées sur tous les feuillets sur fonds d’or (soit complète, soit aux trois-quarts, soit en bordure extérieure) avec des feuilles d’acanthe de couleur, des fleurs et fruits, animaux et hybrides zoomorphes ou grotesques (à comparer avec les bordures de Paris, BnF, lat. 13294 enluminé par le Maître d’Etienne Poncher et dans un livre d’heures Catalogue H. Tenschert, Leuchtendes Mittelalter VI, 2009, cat. 27), 18 grandes miniatures, 19 petites miniatures et 24 petites miniatures au calendrier (travaux des mois et signes astrologiques).
Quelques écaillures de peinture mais sans gravité aucune, deux manques signalés. Très bel état de fraîcheur.

PROVENANCE :
1. Manuscrit copié et enluminé à Paris, sur des bases stylistiques et liturgiques. Les peintres à l’œuvre sont tous deux parisiens (Maître de Philippe de Gueldre et Maître d’Etienne Poncher ; voir supra). Les Heures de la Vierge et l’Office des morts sont à l’usage de Paris. Le calendrier est également à l’usage de Paris.

2. Collection Robert Beauvillain, avec sa vignette ex-libris collée sur le contreplat supérieur avec la mention :
« Et Beauvillain ? Toujours il vous aime », gravure signée « Ch. Jouas ». Ces lignes proviennent de l’échange entre les personnages Marion et Saverny dans la pièce de Victor Hugo, Marion de Lorme (Acte I) ; Charles Jouas (1866-1942), dessinateur et illustrateur, collabora de près avec, entre autres, Henri Beraldi.

BIBLIOGRAPHIE : 
Avril, F. et N. Reynaud, Les manuscrits à peinture en France 1440-1520, Paris, 1993, en particulier pp. 256-262.

Delaunay, Isabelle. Échanges artistiques entre livres d’heures manuscrits et imprimés produits à Paris (1480-1500), thèse de doctorat, Université de Paris IV-Sorbonne, 2000, t. I-III.

[Exposition]. France 1500. Entre Moyen Age et Renaissance, Paris, Galeries nationales. Grand Palais, 6 octobre 2010 – 10 janvier 2011, Paris, 2010.

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