Lot n° 189
Sélection Bibliorare

*Paul GAUGUIN (1848-1903). MANUSCRIT autographe, Messieurs les Juges, Messieurs les Jurés, [1899] ; cahier in-fol. de 7 pages sous couverture marquée « n° 4 » ; reliure moderne maroquin rouge, cadre de filet doré sur les plats, titre en lettres dorées sur le plat sup., dos lisse, étui.

Estimation : 15 000 - 20 000 EUR
Description
*Paul GAUGUIN (1848-1903). MANUSCRIT autographe, Messieurs les Juges, Messieurs les Jurés, [1899] ; cahier in-fol. de 7 pages sous couverture marquée « n° 4 » ; reliure moderne maroquin rouge, cadre de filet doré sur les plats, titre en lettres dorées sur le plat sup., dos lisse, étui.

Projet de défense contre le procureur de Papeete.
[Victime d’un vol, Gauguin avait porté plainte, mais le procureur Édouard CHARLIER n’y avait pas donné suite. Furieux, Gauguin avait publié dans Les Guêpes en juin 1899 une lettre ouverte à Charlier, au ton injurieux. S’attendant â être poursuivi (mais Charlier ne portera pas plainte), Gauguin prépare ici par avance sa défense, dans un manuscrit soigneusement calligraphié ;un passage a été recollé sur une version raturée].
« Est-il nécessaire de parler ici de délits de presse […] en cette fameuse lettre qui amène ici un honnête homme à la barre du Tribunal sans autre défenseur que lui-même, tellement dans cette colonie un procureur peut jeter le désarroi et l’effroi autour de lui. [..] cela rend bien intéressante la situation du pauvre colon, de ce fait livré à la merci de l’arbitraire et de la puissance administrative. Il ne lui reste plus alors qu’à compter sur lui même, sur l’honorabilité de sa juste cause, puis aussi sur l’impartialité de ceux qui sont là pour le juger. Écrivant à Monsieur Charlier, Papeete, je me croyais autorisé à lui expliquer mes griefs parce qu’il se disait mon ami ; quelques conversations, non plus entre Procureur et artiste mais entre amis, m’avaient fait penser qu’il était de mon monde. Or dans mon monde il est établi que tout homme qui se respecte fait passer, toujours, sa dignité devant ses intérêts. [...] En résumé ma lettre disait. Monsieur, vous me battez et cela me fait mal, dites-moi donc si c’est dans le but seul d’être méchant à mon égard, je serais alors forcé de vous demander satisfaction par les armes. Dans mon monde et dans tous les pays du monde, cette façon d’agir passe pour honorable. Et voyez si je faisais à Mr Charlier la partie tout belle. D’une part il est jeune et souple, et selon son affirmation possède 10 ans de salle d’armes. D’autre part, je suis presque vieux, usé par le travail et une maladie de cœur, mes pieds toujours endommagés me supportant à peine, – toutes causes d’infériorité dans un combat singulier »...
Gauguin n’a pas voulu dénoncer Charlier au ministère, et a gardé « le langage d’un artiste franc et loyal »... Il proteste contre l’absurdité et l’arbitraire de ce procès. Il rappelle les devoirs du Procureur, et en appelle à la justice... « Mais quand il s’agit de vulgaires bandits indigènes toujours en récidive révoltés d’hier, et que le plaignant n’a agi que sur les propres conseils du Procureur, le silence devient non seulement incompréhensible, c.à.d. absurde, mais aussi un encouragement au brigandage : il annihile tout le travail du colon livré ainsi (1 contre 100) à toute une population malfaisante et à peine sortie de la barbarie. Ce n’est pas alors le plaignant qui se révolte mais la morale et la raison. Le renversement de la Bastille au prix de tant de sang versé ne serait-il donc qu’une simple démolition architecturale, la pierre venant alors ensevelir la parole ; les Droits de l’Homme de notre siècle un leurre, foulés au pied finalement l’Iniquité élevée au dessus des citoyens sur la tour des magistrats et des lois. J’ai parlé de sottise et devant cette appréciation qui n’a pas de double sens et qui n’a jamais constitué une insulte, la montagne se soulève »...
Et Gauguin tire en termes amers la leçon de son éventuelle condamnation : « Ne compte plus désormais récolter le fruit de ton travail ; tu devras courber l’échine sous les coups de bâton. Parce que c’est le bon vouloir du Procureur et qu’il en a le pouvoir. Aiguise tes dents, dépouille-toi de ton habit d’honnête homme, deviens à ton tour Loup dévorant, et va chercher ta pâture dans le champ de ton voisin, sûr de l’impunité, car c’est le bon vouloir de Mr le Procureur. Il en a le Pouvoir. Puis finalement si tu es étranger, retourne dans ta patrie expliquer à tes frères quels sont les pouvoirs d’un Procureur de la République française. »
Provenance : vente après décès des objets et papiers de Gauguin à Papeete (2-3 septembre 1903) ; acheté par Victor SEGALEN ; archives Annie Joly-Segalen (vente 12 juin 1992, n° 66).
Exposition De Maillol et Codet à Segalen. Les amitiés du peintre Georges-Daniel de Monfreid et ses reliques de Gauguin (Galerie Jean LOIZE, 1951, n° 276).
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