Lot n° 108

BAUDELAIRE Charles (1821 1867)

Estimation : 5 000 - 6 000 EUR
Adjudication : 3 900 €
Description
L.A.S. «Charles Baudelaire», 9 avril 1864, à «Mademoiselle» [Judith GAUTIER]; 2 pages et demie in-8.
Jolie lettre à Judith Gautier après son premier article consacré à la traduction d'Eureka d'Edgar Poe.
[Le Moniteur universel du 29 mars 1864 publiait le premier article de Judith Gautier (fille de Théophile Gautier), signé du pseudonyme «Judith
Walter», consacré à la traduction par Baudelaire d'Eureka d'Edgar Poe.] «J'ai trouvé récemment chez un de mes amis votre article, dans le
Moniteur du 29 Mars, dont votre père m'avait, quelque temps auparavant, communiqué les épreuves. Il vous a sans doute raconté l'étonnement que j'éprouvai en les lisant. Si je ne vous ai pas écrit tout de suite pour vous remercier, c'est uniquement par timidité. Un homme, peu timide par nature, peut être mal à l'aise devant une belle jeune fille, même quand il l'a connue toute petite, - surtout quand il reçoit d'elle un service, - et il peut craindre, soit d'être trop respectueux et trop froid, soit de la remercier avec trop de chaleur.
Ma première impression, comme je vous l'ai dit, a été l'étonnement, -
une impression toujours agréable d'ailleurs. Ensuite, quand il ne m'a plus été permis de douter, j'ai éprouvé un sentiment difficile à exprimer, composé moitié de plaisir d'avoir été si bien compris, moitié de joie de voir qu'un de mes plus vieux et de mes plus chers amis avait une fille vraiment digne de lui.
Dans votre analyse, si correcte, d'Eureka, vous avez fait ce qu'à votre âge je n'aurais peut-être pas su faire, et ce qu'une foule d'hommes très mûrs, et se disant lettrés, sont incapables de faire. Enfin, vous m'avez prouvé ce que j'aurais volontiers jugé impossible, c'est qu'une jeune fille peut trouver dans les livres des amusements sérieux, tout à fait différents de ceux, si bêtes et si vulgaires, qui remplissent la vie de toutes les femmes.
Si je ne craignais pas encore de vous offenser en médisant de votre sexe, je vous dirais que vous m'avez contraint à douter moi-même des vilaines opinions que je me suis forgées à l'égard des femmes en général.
Ne vous scandalisez pas de ces compliments si bizarrement mêlés de malhonnêtetés; je suis arrivé à un âge où l'on ne sait plus se corriger, même pour la meilleure et la plus charmante personne.
Croyez, mademoiselle, que je garderai toujours le souvenir du plaisir que vous m'avez donné.»
Partager