Lot n° 198

SAND George (1804 1876)

Estimation : 1 500 - 2 000 EUR
Adjudication : 1 560 €
Description
L.A.S. «Ton vieux troubadour qui t'aime», Nohant 21 décembre [1867], à ustave FLAUBERT; 8 pages in-8 à son chiffre.
Magnifique et longue lettre à FLAUBERT.
Sand évoque d'abord vigoureusement le discours de THIERS en faveur du Pape et contre l'unité italienne [auquel Flaubert avait réagi: «Peuton voir un plus triomphant imbécile, un croûtard plus abject, un plus étroniforme bourgeois !»]: «Enfin ! voila donc quelqu'un qui pense comme moi sur le compte de ce goujat politique. Ce ne pouvait être que toi, ami de mon coeur. Etroniformés est le mot sublime qui classe cette espèce de végétaux merdoïdes. J'ai des camarades et bons garçons qui se prosternent devant tout symptôme d'opposition quelqu'il soit et d'où qu'il vienne, et pour qui ce saltimbanque sans idées est un Dieu.
Ils ont pourtant la queue basse depuis ce discours à grand orchestre.
Ils commencent à trouver que c'est aller un peu loin, et peut-être estce un bien que, pour conquérir la royauté parlementaire, le drôle ait vidé son sac de chiffonnier, ses chats morts et ses trognons de chou devant tout le monde. Cela instruira quelques uns. Oui, tu feras bien de disséquer cette âme en baudruche et ce talent en toile d'araignée !
Malheureusement quand ton livre arrivera, il sera peut-être élagué et point dangereux, car de tels hommes ne laissent rien après eux; mais peut-être aussi sera-t-il au pouvoir. On peut s'attendre à tout»...
Dans son prochain roman [Mademoiselle Merquem], elle exposera une croyance qu'elle adopte pour son usage et qu'elle croit bonne pour le plus grand nombre: «Je crois que l'artiste doit vivre dans sa nature le plus possible. À celui qui aime la lutte, la guerre, à celui qui aime les femmes, l'amour, au vieux qui, comme moi, aime la nature, le voyage et les fleurs, les roches, les grands paysages, les enfans aussi, la famille, tout ce qui émeut, tout ce qui combat l'anémie morale. Je crois que l'art a besoin d'une palette toujours débordante de tons doux ou violents suivant le sujet du tableau; que l'artiste est un instrument dont tout doit jouer avant qu'il ne joue des autres: mais tout cela n'est peutêtre pas applicable à un esprit de ta sorte, qui a beaucoup acquis et qui n'a plus qu'à digérer. Je n'insisterais que sur un point, c'est que l'être physique est nécessaire à l'être moral et que je crains pour toi un jour ou l'autre une détérioration de la santé qui te forcerait à suspendre ton travail et à le laisser refroidir»...
Elle passera le Jour de l'An avec ses enfants. «Maurice est d'une gaîté et d'une invention intarissables. Il a fait de son théâtre de marionnettes une merveille de décors, d'effets, de trucs, et les pièces qu'on joue dans cette ravissante boite sont inouies de fantastique. La dernière s'appelle 1870. On y voit Isidore avec Antonelli commandant les brigands de la Calabre pour reconquerir son trône et rétablir la papauté.
Tout est à l'avenant; à la fin la veuve Ugénie épouse le grand turc seul souverain resté debout. Il est vrai que c'est un ancien démoc, et on reconnaît qu'il n'est autre que le grand tombeur masqué»...
Elle parle longuement des représentations, qui durent jusqu'à 2 heures du matin, suivies d'un souper... «Moi, je m'amuse à en être éreintée. [...] il y a, dans ces improvisations une verve et un laissé-aller splendides, et les personnages sculptés par Maurice ont l'air d'être vivants, d'une vie burlesque, à la fois réelle et impossible, cela ressemble à un rêve»...
Puis Sand fait des portraits affectueux et animés de sa belle-fille Lina, enceinte, et de sa petite-fille Aurore... «Mais comme je bavarde avec toi ? Est-ce que tout ça t'amuse ? Je le voudrais, pour qu'une lettre de causerie te remplaçat un de nos soupers que je regrette aussi, moi et qui seraient si bons ici avec toi, si tu n'étais un cul de plomb qui ne te laisses pas entraîner à la vie pour la vie. - Ah ! quand on est en vacances, comme le travail, la logique, la raison semblent d'étranges balançoires»... Elle évoque pour finir la «charmante» Juliette Lamber [Juliette Adam]; la neige et le froid: «nous ne sortons guères, mon chien lui même ne veut pas aller pisser. Ce n'est pas le personnage le moins épatant de la société. Quand on l'appelle Badinguet, il se couche par terre honteux et désespéré, et boude toute la soirée».
Correspondance, XX, n° 13375.
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