Lot n° 78

GIDE ANDRÉ (1869-1951) — Si le Grain ne meurt, épreuves corrigées avec annotations autographes. — Sous deux emboîtages titrés, recouverts de papier glacé in-4 et in-12.

Estimation : 2 000 - 3 000 €
Adjudication : 2 527 €
Description
Feuillets d'épreuves corrigés pour la première édition en librairie de son ouvrage Si le Grain ne meurt (Nrf, 1924-1926).

Ensemble important de 163 feuillets in-4, provenant de différents tirages avant mise en page avec de nombreuses annotations autographes, et d'environ 400 feuillets in-16 tirés après mise en page.

Si le Grain ne meurt, mémoires littéraires, confession impudique, fresque sociale et familiale. Gide avait affirmé très tôt le désir de publier des mémoires de son vivant, et avait ouvert dès 1893 un dossier de notes classées chronologiquement, intitulé «De me ipso». Il en poursuivit la rédaction jusqu'en 1919, et le fit imprimer sous le titre Si le Grain ne meurt en 1920-1921, en deux volumes tirés à 13 exemplaires, destinés à ses proches. Il se décida à publier l'ouvrage en librairie en octobre 1926 (Nrf, 3 volumes datés 1924), mais s'attira d'abord des reproches unanimes de ses proches et de la critique. Il expliqua alors que cette publication était pour lui un choix fondé sur une impérieuse nécessité intérieure. De sa main, il a changé tous les noms propres - dont celui de sa femme Madeleine en Emmanuelle, comme dans Les Cahiers d'André Walter -, supprimé des passages portant des attaques désobligeantes, ajouté plusieurs phrases entières, retravaillé le style de nombreux passages. Ainsi, au sujet de sa tante adultère et des souffrances de sa cousine à ce sujet, Gide biffe presque tout ce paragraphe: «Je pense aujourd'hui que rien n'affectait davantage cette enfant que de devoir cacher à son père qu'elle vénérait ce secret de polichinelle, dont riaient les bonnes». Il le remplace par «Je pense aujourd'hui que rien ne pouvait être plus cruel, pour une enfant qui n'était que pureté, qu'amour et que tendresse, que d'avoir à juger sa mère et à réprouver sa conduite; et ce qui compliquait le tourment, c'était de devoir garder pour elle seule, et cacher à son père qu'elle vénérait, ce secret qu'elle avait surpris je ne sais comment et qui l'avait meurtrie - ce secret dont on jasait en ville, dont riaient les bonnes» (p. 103). Autre passage très modifié: «Surtout, j'aurais voulu me faire aimer; je donnais mon âme en échange. Cette préoccupation me posséda si fort que, longtemps ensuite, je ne pus écrire et j'allais presque dire: penser, qu'en face de ce petit miroir; pour prendre connaissance de mon émoi, de ma pensée, il me semblait que, dans mes yeux, j'avais d'abord besoin de la lire. Tout ce que j'écrivais alors se ressentait de cette complaisance». Gide y a porté diverses corrections, et a modifié entièrement la dernière phrase, biffée: «Surtout, j'aurais voulu me faire aimer; je donnais mon âme en échange. En ce temps, je ne pouvais écrire, et j'allais presque dire: penser, me semblait-il, qu'en face de ce petit miroir; pour prendre connaissance de mon émoi, de ma pensée, il me semblait que, dans mes yeux, il me fallait d'abord la lire. Comme Narcisse, je me penchais sur mon image; toutes les phrases que j'écrivais alors en restent quelque peu courbées» (p. 196). Gide revient ainsi sur la période de sa vie antérieure à 1896: il retrace sa jeunesse, souligne les contrastes familiaux (industriels normands catholiques jansénistes et vieille souche huguenote d'Uzès), expose son goût pour la nature et la musique, l'importance chez lui du sentiment religieux, étroitement lié à son amour pour sa cousine Madeleine Rondeaux. Il aborde également son amitié avec Pierre Louÿs.
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