Lot n° 23
Sélection Bibliorare

LACAN (Jacques) — Correspondance intime à Madeleine Chapsal. — 9 décembre 1955-12 mars 1974. — Réunion de 18 lettres autographes signées et une carte autographe signée (4 enveloppes conservées), divers papiers, divers formats.

Estimation : 6000 - 8000
Adjudication : 7 280 €
Description
♦ Belle et intéressante correspondance du psychanalyste Jacques Lacan à l'écrivaine Madeleine Chapsal.

Madeleine Chapsal, née à Paris en 1925, est une écrivaine de langue française, auteure de très nombreux ouvrages de registre varié. Elle fut aussi journaliste et collabora notamment aux Échos.
Elle participa ensuite à la création de L'Express aux côtés de son époux, Jean-Jacques Servan-Schreiber, et de Françoise Giroud.
Après son divorce et une liaison amoureuse malheureuse, elle entama une analyse. Elle refusa les soins de Jacques Lacan, qui, selon ses propres termes, lui faisait la cour...

Jacques Lacan (1901-1981), psychiatre et psychanalyste français, intégra la Société psychanalytique de Paris en 1934, en fut élu membre titulaire en 1938, et en démissionna en 1953. Tout en poursuivant ses recherches, il donna de 1953 jusqu'en 1980 des séminaires à destination d'un large public. Prônant un strict retour aux idées de Freud, il s'appuya par ailleurs sur le structuralisme et la linguistique pour proposer une approche innovante de la psychanalyse. Y introduisant les notions de signifiant et de signifié, il montra que l'inconscient s'interprète comme un langage, et étendit la grille de lecture psychanalytique au domaine jusque-là inexploré de la psychose.

Toutes les lettres de cette correspondance ne sont pas datées, mais celles qui le sont couvrent la période du 9 décembre 1955 au 12 mars 1974.
Les lettres de Lacan à Chapsal ne permettent pas de percer à jour la nature exacte de la relation qui les unissait, mais elles laissent deviner de grands espoirs, des peines, et une tendresse profonde et durable.

Le 9 décembre 1955, Lacan semble confiant lorsqu'il déclare savoir " qu'il y a de l'avenir entre nous.
" Chapsal est alors l'épouse de Servan-Schreiber, mais leur mariage n'est pas sans ombres : le 28 du même mois, Lacan écrit :
" Qu'importe le nombre de tes amants si nul d'entre eux ne te donne l'univers. "

Dans plusieurs lettres, Lacan révèle franchement son affection :
" Laissant place à l'envie de vous voir, d'entendre votre voix - que j'aime assez pour préférer ne pas l'entendre au téléphone. Comment faire ? Un verre chez moi ce soir à huit heures. " En mars 1956, il déclare sans ambages :
" Il me semble qu'on ne peut plus clairement vous dire le plaisir qu'on a de vous voir. "

D'autres lettres témoignent d'une relation tourmentée :
" Je vous aime toujours bien - détruisez le contenu du dernier pneumatique qui dans cette figure de pieuvre furieuse qu'il présente maintenant est aussi déshonorant pour vous que pour moi ", ou encore, le 13 février 1956 : " Pour me trahir, vous avez l'instrument suprême : cette loyauté qui est la vôtre et à qui vous savez que je me confiais pour ne pas me faire déclarer les sentiments qui veulent dire pour vous la guerre. "

En janvier 1956, puis en décembre 1957, Lacan adresse un poème à Chapsal. Le recours à la poésie lui permet de donner voix à ses sentiments tout en se réfugiant pudiquement derrière l'ambiguïté des vers…

La correspondance de Lacan abonde de références à ses publications et à ses séminaires. Elle nous offre également un aperçu de ses méthodes de travail ; dans une lettre sans date, il annonce :
" Je crois que je n'ai pas fait aujourd'hui un trop mauvais séminaire. Ce qui prouve qu'il m'est possible de me coucher à 4 h et demi du matin. Et pourtant à 9 h et demi je n'avais encore rien planifié de ce qui devait m'y servir d'appui. Je leur ai donné rendez-vous pour le prochain le 14 mars, vous y êtes cordialement invitée […]. "

Lacan ne semble pas avoir abordé directement l'objet de ses recherches dans ses échanges épistolaires avec Chapsal, mais ses lettres laissent parfois entrevoir les thèmes et les auteurs qui l'occupent. Impossible de ne pas percevoir le psychanalyste derrière la question qui apparaît dans sa lettre du 6 janvier 1956 : " Comment pouvez-vous méconnaître chez l'interlocuteur que je suis, ce besoin de reconnaître dans celui qui m'intéresse avant tout ce qu'il n'est pas - et ce qu'il frémit d'être ? "

À deux reprises, le 1er mars 58 et le 9 août 1956, Lacan évoque le Paludes d'André Gide, que Chapsal elle-même lui a fait parvenir. " Nos lettres se sont-elles croisées ? demande-t-il. Ce serait bien - et dans ce cas assez "paludes" en leur symétrie (mais ce petit bouquin vous fait-il de l'effet ?) ".

Lacan se réfèrera plusieurs fois au livre dans ses écrits, notamment dans un article pour la revue Critique, publié en avril 1958.

Le 28 février 1956, Lacan écrit : " Je ne partirai pas pour Guitrancourt avant ce soir, 11 heures et demi […], ayant les Koyré à dîner. " Il s'agit du philosophe Alexandre Koyré, dont Lacan adoptera la conception discontinuiste de l'histoire des sciences, qui identifie une coupure épistémologique entre les sciences anciennes et les sciences nouvelles (Séminaire II, 1954-1955).

Dans une lettre non datée et sur un ton plus léger, Lacan semble faire allusion à un néologisme imaginé par une Chapsal espiègle : " "le Féminus" est digne de figurer dans le séminaire sur le trait d'esprit que je leur fais cette année et qu'ils ont l'air d'apprécier - même s'ils n'en mesurent pas encore l'importance. "
Cette correspondance dessine le portrait d'un homme joyeux. Lacan y fait de nombreuses références à la commune de Guitrancourt, où en 1951, il faisait l'acquisition d'une maison de campagne. Dans sa biographie du psychiatre, Elisabeth Roudinesco nous apprend que " jusqu'à sa mort, il s'y réfugiait le dimanche pour travailler, y recevoir des patients, et y donner de somptueuses réceptions. Il adorait jouer la comédie devant ses amis, se déguiser, danser, faire la fête et porter des tenues extravagantes " (Jacques Lacan, Fayard, 1993).

Le 28 février 1956, Lacan écrit d'ailleurs à Chapsal : " Tiens ! Si vous pouviez me dire en quoi je pourrais me costumer pour un bal chez Marie-Laure […], je vous en serais reconnaissant, n'en ayant à l'heure qu'il est aucune espèce d'idée. […] Si vous en avez une, téléphonez-là alors à coup sûr et n'en parlez pas. "

Lacan laisse également libre cours à sa facétie langagière, mentionnant par exemple, le 20 décembre 1957, le " wékande " approchant.

Mais il arrive aussi à Lacan de dévoiler sa peine :
" Ce dimanche soir où je me sens très las. " écrit-il dans une lettre non datée, et le 18 octobre 1960 :
" J'ai perdu mon père il y a quelques jours et le deuil douloureux que j'en ressens ne m'empêche pas d'être sensible à la rectification que vous m'apportez […]. "

Le 28 novembre 1972, il admet même : " Vous avez bien raison, ma chère Madeleine, avec moi "rien n'est simple ni ne va de soi". "

→ Voir également le lot 11.

Rares défauts d'usage.
Partager