Lot n° 823
Sélection Bibliorare

ALEXANDRE II (1818-1881) — Tsar de Russie — 4 L.A., «S.P.» [Saint-Pétersbourg] 1/13-5/17 janvier 1868, à Catherine DOLGOROUKI (Katia) ; 22 pages in-8 ; en français.

Estimation : 4000 - 5000
Adjudication : Invendu
Description
Belles lettres d'amour fou à Katia. Cet ensemble regroupe quatre lettres de la correspondance amoureuse du Tsar Alexandre II à Catherine (Katia) Dolgorouki (1847-1922), témoins de cette extraordinaire histoire d'amour.

Leur liaison débuta en 1866.
Elle avait dix-huit ans, lui quarante-sept. En 1870, l'installation de Katia dans une chambre du Palais d'Hiver, au-dessus des appartements impériaux où résidait la Tsarine Marie Alexandrovna, fit un énorme scandale à la Cour. En 1872, elle lui donnait un fils, Georges, puis deux filles, Olga et Catherine. La Tsarine, depuis longtemps souffrante, mourut le 3 juin 1880, et quarante jours seulement après sa disparition, Alexandre fit de Catherine son épouse morganatique, lui conférant le titre de Princesse Yurievskaya. La vie légitime du couple fut de courte durée, car le Tsar fut victime d'un attentat à la bombe le 13 mars 1881. Ramené mortellement blessé au palais, il agonisait quelques heures plus tard dans les bras de Katia. Devenue veuve, la Princesse Yurievskaya s'exila en France à Nice, où elle mourut en 1922, emportant avec elle sa précieuse correspondance que le nouveau Tsar Alexandre III avait tenté de récupérer pour la détruire. Les lettres sont numérotées, et portent la date et l'heure, comme un journal de conversation. Elles sont rédigées principalement en français, avec quelques phrases en russe généralement dans l'alphabet latin, et un vocabulaire secret (comme les bingerles désignant leurs ébats érotiques). Par mesure de sécurité, elles ne comportent pas le nom de Catherine et ne sont pas signées.
La formule finale en russe :
«Mbou na bcerda» (à toi pour toujours), tient lieu de signature.

1er/13 janvier 1868, Lundi 9 h ½ du matin-mardi 2/14 janvier, 9 h ½ du matin, «N° 1» (10 pages). Ses voeux sont interrompus par l'arrivée d'une adorable lettre de son ange adoré, qu'il a dévorée avec bonheur ; ils ne forment plus qu'un seul être. «Je suis heureux que notre bingerle de l'autre soir ne t'ait pas fait de mal et que tu aies éprouvé la même jouissance inouïe, que toi tu sais toujours me donner, mais tu comprends que je n'aime pas à jouir seul et que par contre elle redouble pour moi quand je vois et je sens que tu la partages avec l'être qui t'appartient et qui ne respire que par toi»... À 4 h. de l'après-midi il raconte ses émotions en apercevant Katia sur le pont, et en échangeant un regard sur la Fotenka (il n'a pu ensuite retenir ses larmes à la messe) ; à 11 h. du soir il récapitule la suite : dîner avec les enfants, lecture du Drame intime, sortie à l'Opéra pour le premier acte de Norma (qu'il aime beaucoup par souvenir de jeunesse), thé, travail tout en pensant à l'être chéri :
«je me sens tellement absorbé par mon adoration pour toi et j'éprouve une telle rage de me retrouver dans tes bras que je ne sais que devenir»... Il s'est consolé hier de son absence en passant en revue tous ses portraits et en relisant sa lettre de Naples, du jour de l'an 1867 ; leurs prières sont les mêmes ; «je sens, tous les jours davantage, que nous ne pouvons plus vivre l'un sans l'autre et la vie ne nous est chère que parce que nous voudrions la consacrer complètement l'un à l'autre. Je dois avouer que je ne me sens plus bon à rien [...] et je n'ai plus qu'une seule idée en tête - c'est toi et voudrais pouvoir te donner devant Dieu et les hommes le nom que je te donne dans mon coeur, depuis le 1 de juillet 1866, jour où je t'en ai fait cadeau et cela pour toujours. Tu dois comprendre, cher Ange, l'effet qu'a produit sur moi ton rêve d'avant-hier, où tu m'avais vu me couchant dans ton lit. Oh ! ce que j'aurais donné pour que cela puisse être un jour la réalité»... La confiance de Katia a fait d'elle sa conscience...
«Dieu soit loué que notre bingerle de l'autre soir, ne t'ait pas fait de mal, car il faut avouer que nous avons été bien déraisonables. Quant à la faiblesse que tu éprouves c'est ordinairement le cas après le m.d.t. et puis malheureusement tes insomnies ont dû y contribuer aussi et hier par-dessus le marché encore cet ennuyeux bal»... Il prévoit une nouvelle rage d'être déraisonnable, demain... Le lendemain il doit assister à la messe pour les 18 ans de son fils Alexis ; il anticipe avec joie la délicieuse surprise qu'elle lui prépare : «je ne puis penser à rien d'autre qu'à notre bingerle, que nous adorons et qui fait notre bonheur [...] je me sens aimé comme moi je t'aime, avec passion, râge et folie»...

Mardi 2/14 janvier 1868, 11 h ½ du soir «N° 2». Son âme déborde d'amour et de tendresse : «je me sens tout imprégné de bonheur, après notre délicieuse soirée, où nous avons joui l'un de l'autre, et à deux reprises, comme des fous. Tu as vu et senti toi-même ce qui se passait en moi, pendant nos bingerles, comme je l'ai aussi vu dans l'expression de tes adorables yeux et dans tous les mouvements de ton adorable corps. Comment puis-je après cela ne pas être fou de tout ton être et ne pas me sentir heureux de m'être donné à toi corps et âme. Oh ! que j'aime aussi nos bonnes causeries après, quand tu t'établis sur moi et que je te tiens dans mes bras, et que cela me fait du bien quand je t'entends rire de si bon coeur, de toutes les idées drôles qui nous viennent en tête. Pendant ces chers moments nous pouvons vraiement dire que l'univers entier disparaît pour nous et que nous ne pensons qu'à nous deux et à notre amour, qui est devenu notre vie»... Sa lettre a dû dissiper ses idées de mauvaise volonté, à propos de leur rencontre manquée, ce matin, et de son retard involontaire après dîner. Demain, selon la température, «nous nous rencontrerons ou bien à pied, ou bien en traineau. Jeudi, si je ne vais pas à la chasse, en traineau, ainsi que vendredi et le soir à 6 h dans notre cher nid. - Je vais me coucher en te répettant le cri de mon coeur, c.-à-d. du tien : que je t'aime plus que la vie»...

Mercredi 3/15 janvier 1868, 9 h ½ du matin-6 h ¾ du soir «N° 3».
«Oh ! merci, merci, du fond de mon âme, pour toutes tes bonnes paroles et encore une fois pour la délicieuse surprise, que tu m'avais préparé dans notre cher nid et tout le bonheur que tu m'as donné et dont je me sens encore tout imprégné. C'est bien moi qui me sens fou de tout ton être et heureux d'avoir pu te faire partager la jouissance inouïe que ton contacte me fait toujours éprouver. Rappèles-toi seulement de l'expression de mes yeux et mon bonheur d'en voir le reflet dans les tiens pendant que nous étions un. Il y a vraiement de quoi devenir fou, de devoir la plus grande jouissance, qui existe dans cette vie, à l'être aimé et de l'éprouver en commun, c'est pour cela que nous adorons nos bingerles et que nous sommes heureux de nous être donnés l'un à l'autre et de ne former plus qu'un être de corps et d'âme. La seule chose qui nous manque, c'est de pouvoir nous donner devant Dieu et les hommes le nom que nous nous donnons tous les deux dans nos coeurs. J'espère qu'Il ne nous refusera pas ce bonheur dans l'avenir»... L'après-midi, il a le bonheur de la rencontrer en traineau, en route au ballet, et avant de se rendre à l'Institut Nicolas ; le soir, il se défend contre le reproche d'être allé au théâtre au lieu d'avoir cherché à la voir... «N'oublies pas que toute ma vie est en toi et pense un peu à nos bons moments d'hier pour te redonner du courage»...

Vendredi 5/17 janvier 1868, 11 h ½ du soir «N° 5». Il est «tout imprégné» de leur chère soirée, qui a passé trop vite : «ce qu'il m'en coûte quand vient l'horrible moment où nous devons nous séparer, tandis que nous voudrions ne jamais nous quitter. Oh ! que Dieu ait pitié de nous et nous accorde un jour ce bonheur, car nous sentons tous les jours davantage que nous ne pouvons plus vivre l'un sans l'autre. Tu as vu, cher Ange, tout le bonheur que tu as su de nouveau me donner et combien j'ai été surtout heureux quant à la fin je suis parvenu à te faire partager la jouissance inouïe, que tu sais toujours me faire éprouver. Je regrette seulement de n'avoir plus eu le temps de te contenter, comme je l'aurais voulu et d'avoir dû te quitter au beau milieu de notre 2d bingerle. Et j'étais à peine remonté que mon fils Serge est venu me chercher pour le thé, pour lequel ma soeur nous a fait la surprise de venir. Heureusement encore que tout s'est passé bien et sans aucune explication. J'espère que le bracelet, que je t'ai donné ce soir et que nous embrassâmes ensemble, pendant notre bingerle, te rappelera nos moments de délire de bonheur»... Cependant il s'interroge sur ses moments de mauvaise humeur, et ses accusations de manquer de bonne volonté lorsqu'ils ont du guignon pour se rencontrer à la promenade : «Au point où nous en sommes et nous connaissant à fond, il me semble qu'il serait temps que tu saches à quoi t'en tenir et ne pas me faire de la peine et me blesser même par ton manque de confiance, qui dans le fond n'existe pas en toi, mais que tu fais semblant de me montrer rien que par caprice. [...] Je m'aperçois de nouveau que notre bingerle, qui nous fait toujours oublier l'univers entier, m'a derechef fait oublier de te parler de l'affaire que je voudrais t'arranger selon tes désirs»... Il espère la voir le lendemain soir à la noce : «j'ai soif de te voir aussi dans le monde, pour jouir et être fier de mon bien, comme je l'ai éprouvé à Paris»...
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