Lot n° 624
Sélection Bibliorare

ROGNIAT Joseph Considérations sur l’art de la guerre. Par le Baron Rogniat, lieutenant-général. Paris, … Très précieux exemplaire provenant de la bibliothèque personnelle de l’Empereur à Sainte-Hélène

Estimation : 30 000 - 40 000 EUR
Adjudication : 58 132 €
Description

Considérations sur l’art de la guerre. Par le Baron Rogniat, lieutenant-général. Paris, Magimel, Anselin, et Pochard. In-8 de [6 ff]-608 p., reliure de l’époque demi-veau fauve, dos orné doré et à froid, tranches marbrées, boîte de chagrin noir moderne doublée de daim fauve. 

Très précieux exemplaire provenant de la bibliothèque personnelle de l’Empereur à Sainte-Hélène. Napoléon, blessé à vif, a annoté et souligné de sa main plus de 100 passages différents de ce livre où l’un de ses officiers le critique violemment.

L’exemplaire porte un ex-libris manuscrit par le général BERTRAND, à l’encre brune sur la page de faux-titre : « L’Emp. Nap. » ; et, sur la page de titre, a été opposé le cachet encre de la bibliothèque impériale à Sainte-Hélène. L’ouvrage porte 188 annotations autographes de la main de Napoléon à la mine de plomb. Joseph Rogniat (1776-1840) a le grade de colonel en 1808, lorsque commence la guerre d’Espagne. Il se distingue lors de la prise de Saragosse, ce qui lui vaut d’être nommé général de brigade. Il fait preuve d’une si grande efficacité lors du siège de Tortose qu’il accède peu après au rang de général de division. Lors de la campagne de 1813, il dirige les fortifications de Dresde. Il est fait baron d’Empire et nommé premier ingénieur de l’armée. À la chute de l’Empire en 1814, il rejoint aussitôt le gouvernement provisoire et devient premier inspecteur général du génie, chargé de superviser les places fortes du pays. En 1816, il préside le conseil de guerre qui condamne à mort le général Brayer. Ses Considérations sur l’art de la guerre s’ouvrent sur des remarques générales concernant l’organisation des troupes et la façon de mener le combat. Mais elles sont illustrées d’exemples tirés des campagnes napoléoniennes, dont la lecture de la table donne une idée de la teneur : « Vice de la marche de Napoléon sur Waterloo » (chap. X), « Vice des campagnes de Napoléon à Moscou, en Saxe, à Austerlitz » (chap. XIV). Napoléon fut blessé et révolté par la lecture de l’ouvrage et l’a recouvert de coups de crayon rageurs et d’observations furieuses.

On lit ainsi : « Cela est mauvais » en conclusion d’un paragraphe sur les deux sortes d’infanterie préconisées par Rogniat ; « mauvais raisonnement », « absurde », « mauvais », « ignorance »…, ou, en commentaire de la proposition de Rogniat d’organisation des bataillons : « cela est absurde et ne peut être pensé que par un officier qui n’a jamais commandé de troupes » (p. 96). Il contredit l’auteur sur ses exemples historiques : « Turenne ne marche pas ainsi » (p. 303), et même sur les plus petits détails. Lorsque Rogniat écrit que le tambour, « instrument barbare, assourdit, attriste et fatigue l’oreille la moins sensible », Napoléon note en marge : « mauvaise plaisanterie : le tambour est fort agréable » (p. 121). Il rejette les observations de Rogniat sur les grades militaires : « cela n’est pas assez il faut 1 officier pour 40 sergents – ce qui représente 5 pour 90 hommes » (p. 122)… Ses commentaires sont parfois plus développés et couvrent certaines pages sur toute leur hauteur. Napoléon a poursuivi sa lecture avec la plus grande attention tout du long. De nombreux passages sont soulignés en marge ou entourés. En tête de plusieurs chapitres, Napoléon a rédigé un résumé ou dressé un plan en plusieurs points numérotés. Chaque fois que Rogniat avance des chiffres, Napoléon refait les calculs dans les marges avec l’esprit précis et rapide qui le caractérise. Il indique la distance exacte parcourue par Hannibal, pour corriger Rogniat qui avait dressé un parallèle entre le franchissement du col du Saint-Bernard par le général carthaginois et par Bonaparte. 4 croquis de disposition de lignes de troupes figurent également dans les marges (p. 44, 203, 273, 297). Il signale même une erreur de pagination (225-240). Mais le plus émouvant est peut-être le mot que Napoléon a inscrit à l’ultime page du livre : « Waterloo ». Malgré ses critiques, Napoléon a ponctué les conclusions de l’auteur de quelques « Bon » ou « cela est bon » ou « d’accord ». Mais il fut profondément indigné par les critiques de Rogniat, lu en décembre 1818, et, en 1819, il rédigea ou dicta à Montholon ou Bertrand une série de 18 Notes critiques qui figurent dans les Mémoires pour servir à l’histoire de France, sous Napoléon, écrits à Sainte-Hélène (1823, t. I, pp. 223 sqq., et t. II), puis dans la Correspondance (t. XXXI, 1869, pp. 365-500) [voir le n° 768 de ce catalogue] ; des passages à recopier et à insérer dans son texte sont signalés à l’encre. Les observations portées sur cet exemplaire constituent la matrice de ses critiques du livre de Rogniat...

Les notes de Napoléon sont écrites à l’aide d’un stylet de plomb ; elles sont malheureusement pâles, mais restent lisibles. Le relieur a parfois un peu mordu sur le texte de certaines notes. Quelques pages maltraitées avec de petits manques marginaux témoignent de la nervosité du lecteur impérial.

Partager