Lot n° 637
Sélection Bibliorare

ALEXANDRE II (1818 1881) Tsar de Russie. 57 L.A. (9 incomplètes), et 42 billets autographes pour télégrammes (9 signés « Alexandre » ou « Al »), 1866-1880, à Catherine DOLGOROUKI (Katia)

Estimation : 40 000 - 50 000 EUR
Adjudication : Invendu
Description

 ; environ 190 pages formats divers (quelques-unes au crayon), certaines à son chiffre couronné ; en français, parfois avec quelques mots ou lignes en russe, quelques-unes entièrement en russe. 

Importante correspondance amoureuse du Tsar à Katia Dolgorouki, témoignant de leur extraordinaire histoire d’amour, mais aussi de l’engagement du Tsar dans la guerre russo-turque de 1877.

La liaison d’Alexandre II avec Catherine (Katia) DOLGOROUKI (1847- 1922) débuta en 1866. Elle avait dix-huit ans, lui quarante-sept. En 1870, l’installation de Katia dans une chambre du Palais d’Hiver, au-dessus des appartements impériaux où résidait la Tsarine Marie Alexandrovna, fit un énorme scandale à la Cour. En 1872, elle lui donnait un fils, Georges, puis deux filles, Olga et Catherine. La Tsarine, depuis longtemps souffrante, mourut le 3 juin 1880, et quarante jours seulement après sa disparition, Alexandre fit de Catherine son épouse morganatique, lui conférant le titre de Princesse Yurievskaya. La vie légitime du couple fut de courte durée, car le Tsar fut victime d’un attentat à la bombe le 13 mars 1881. Ramené mortellement blessé au palais, il agonisait quelques heures plus tard dans les bras de Katia. Devenue veuve, la princesse Yurievskaya s’exila en France à Nice, où elle mourut en 1922, emportant avec elle sa précieuse correspondance que le nouveau Tsar Alexandre III avait tenté de récupérer pour la détruire. Les lettres sont numérotées, et portent la date et l’heure, comme un journal de conversation. Elles sont rédigées principalement en français, avec quelques phrases en russe généralement dans l’alphabet latin, et un vocabulaire secret (comme les bingerles désignant leurs ébats érotiques). Par mesure de sécurité, elles ne comportent pas le nom de Catherine et ne sont pas signées. La formule finale en russe : « мвойн на всегда » (à toi pour toujours), tient lieu de signature. Les lettres sont écrites de Tsarskoe-Selo, Saint-Pétersbourg, Berlin, Francfort, Wiesbaden, Schwalbach, Weimar, Paris, Sébastopol, Stuttgart, Jugenheim, Helsingfors, Moscou, Kischinev, Ploesti, Zimnista etc. Tout au long de cette correspondance, Alexandre se montre un amant attentionné et ardent, évoquant fréquemment leurs « bingerles » (ébats), et assurant Katia de son amour : « Cela déborde », répète-t-il ; « ma véritable vie est en vous » (27 août 1866)… « Oh ! ce que j’aurais donné pour pouvoir passer ma nuit auprès de toi et ne plus craindre
des scènes et des cancans de tous côtés » (5/17 janvier 1868)… « Je vois que le manque de nos bingerles commence déjà à produire son effet ordinaire sur toi » (Berlin 1/13 mai 1870)… « Oh ! Quel bonheur de s’adorer comme nous et d’être la vie l’un de l’autre. […] cher ange, j’ai admirablement dormi grâce à toi, mon idéal, mon trésor, mon tout et me sens encore tout imprégné de nos bingerles délirantes d’hier » (6-7/18-19 mai 1870)… « tu as vu et senti que ton mari avait joui de son aimable petite femme jusqu’au délire » ; il se sent « plus ensorcellé et plus amoureux que jamais » de son adorable lutin (29 juin/11 juillet 1870)… Sa lettre l’a « inondé de soleil comme toujours » : il y trouve « plus que jamais le reflet de notre cœur qui est heureux de n’en former qu’un seul depuis 6 ans (5/17 juillet 1872)… « toute ma vie est en toi » (1er/13 février 1877)… « Je me sens encore tout imprégné de nos bingerles délirants de tantôt. Ce fut bon à crier » (8/20 janvier 1879)… Enfin, au lendemain de leur mariage : « Cette jouissance qu’on se donne mutuellement, quand on s’aime comme nous, ne peut être comparée à rien » (7/19 juillet [1880])… Alexandre évoque parfois du travail avec des ministres et sa « besogne », des engagements à la Cour de Prusse, des chasses et des spectacles (telle une audition de Lohengrin à Weimar), mais il privilégie leur vie intime et familiale (ils sont « Peperle » et « Memerle »). Leurs enfants occupent une place importante dans cette correspondance : de loin, il espère que leur fils « pense encore quelquefois à son Papa, qui l’adore et qui soupire de ne pas le voir, ainsi que la chère Olga » ; il compte retrouver Gogo (Georges) et son adorable maman à Ems (25 avril/7 mai 1874)… Que Dieu bénisse les prochaines couches de Katia, « et qu’Il te rende tout le bonheur que tu n’as cessé de me donner depuis près de 10 ans » ; il admire l’appétit et l’humeur des petits, et regrette de n’avoir pu assister à leur coucher (31 décembre/12 janvier 1875)… Que son fils prétende être lavé par lui « prouve une fois de plus combien il pense en tout à son Peperle et qu’il se sent aimé »
(11/23 janvier 1877) ; il s’amuse des questions incessantes de Georges et de leurs lectures, mais souffre d’avoir à le punir d’un mensonge : « la manière dont il m’en a demandé pardon m’a touché, car il fut plus tendre que jamais » (20 janvier/1er février 1877)… Il n’oublie pas l’anniversaire de la mort de leur « Baby » Boris (né en 1876 et mort en bas âge) ; un quatrième naît en décembre 1878. Sa « véritable vie » se concentre dans les moments passés ensemble : « La présence des chers enfants forme ma joie et leur gaîté insouciante me fait du bien au milieu de tous mes soucis » (15/28 mars 1879)… Lors de voyages à l’étranger, il adresse à Katia quelques lignes pour accuser réception de ses envois et l’assurer de sa santé, entre des lettres plus longues. Celles de 1877 reflètent l’engagement d’Alexandre dans la guerre russo-turque, car il suit son armée en Bulgarie. « J’ai reçu encore une fois la confirmation du sujet du protocole, mais pas un mot de l’envoi d’un Ambassadeur, ce qui probablement sera également rejetté et ce que nous saurons demain. Alors seulement nous pourrons fixer le commencement des hostilités et de la publication du Manifeste. Tout cela me poursuit je l’avoue comme un cochemar. Que Dieu nous vienne en aide » (29 mars/10 avril 1877)… « À 9 h. à la cathédrale, puis à la revue, où il y a eu Te Deum devant la troupe, avec lecture du Manifeste, qui a produit un enthousiasme général. La batterie d’Emanuel superbe, ainsi que tout le reste » (12/24 avril 1877)… Il se réjouit de l’abandon de Matchine par les Turcs ; les troupes russes l’occupent : « Le clergé et les chrétiens de Matchine vinrent à leur rencontre les saluer comme des libérateurs. […] Ainsi nous voilà établis d’un pied ferme sur l’autre rive du Danube. Le succès obtenu aujourd’hui justifie les lenteurs du Gén. Zimmerman, car l’attaque de Matchine, s’il avait été défendu par les Turcs, nous aurait fait éprouver des pertes énormes » (Ploesti 11/23 juin 1877)… Il avance dans la nuit du 14, escorté par des Cosaques du Don, entendant de loin
les coups de canon. « Mon frère avait si bien combiné qu’il nous fit mener directment à l’endroit, vis-à-vis de Nikopol, pas loin de Turno, d’où l’on pouvait tout voir, sans être exposé au feu de l’ennemi. […] Le panorama de là était magnifique et j’avais plustôt le sentiment d’être à une manœuvre qu’à une affaire sérieuse »… Description de leur Q.G. (Dratva 14/26 juin 1877)… Le lendemain la plus grande partie de Nikopol est en flammes… Le 16/28 juin il traverse le Danube avec des marins de la Garde et visite le champ de bataille de la veille ; les officiers et les soldats enthousiastes se jettent sur lui pour lui embrasser les mains et les pieds… Nouvelle d’une brillante victoire remportée le 8/20 juin : « tu comprendras notre joie et l’enthousiasme qui s’empara de tout le Quartier Général. Tous accoururent vers ma maison pour nous féliciter moi et mon frère, auquel j’ai donné le 2d de St Georges, et la petite croix à son fils qui s’est montré en brave et à Napokoiczicki le St. George au cou. Ce furent des houra sans fin et les officiers finirent par nous berner. Tous étaient émus aux larmes. Ce sont de ces moments qu’on n’oublie pas » (Slatino 15/27 juin 1877)… Il multiplie les visites aux blessés… Quelques jours plus tard, il fait part de plusieurs affaires très sanglantes, où on n’a pu poursuivre les Turcs : « mon frère Michel a l’air soucieux et demande des renforts, qui vont lui être envoyés, mais ne pourront arriver que dans 2 mois » (Zimnitza 19 juin/1er juillet 1877)… Il souffre de la chaleur,
mais aussi des dépêches sur les réactions à l’étranger… Il cause avec son neveu Henri de Hesse… Leurs prisonniers de guerre leur savent gré d’être bien traités et lui ont même souhaité la victoire ! Le combat devant Plevna fut terrible : « La grande faute a consisté en ce que le Gén. Krüdner, tout en connaissant la supériorité numérique des turcs, se soit décidé de les attaquer, comme il en avait reçu l’ordre. Mais en prenant sur lui la responsabilité de ne pas l’exécuter il aurait conservé plus d’un millier de vie et évité une déroute complète et il faut l’avouer que cela en est une. Heureusement encore que les Turcs n’aient pas poursuivi les débris de nos braves, car autrement peu de monde se serait sauvé » ([19/31 juillet 1877])… Il fait des vœux pour que se confirme une retraite des Turcs en direction de Kazanlyk. « Chez mon fils il n’y a eu que des escarmouches insignifiantes aux avant-postes et aucun mouvement du côté de Plevna, dont l’armée roumaine se raprochera dans quelques jours, en menaçant la ligne de retraite des Turcs » ([16/28 août 1877])… Une longue conversation avec Wellesley lui fait conclure « que le gouv. anglais ne se montre plus modéré, pour le moment, que parce qu’il espère qu’après le guignon que nous avons eu, ce dernier temps, nous n’aurions plus le temps cette année de marcher sur Andrinople et Constantinople jusqu’à l’hiver »… Rien ne garantit que l’Angleterre ne leur déclare la guerre encore cette année, « malgré les soi-disant bons vœux pour
le succès de nos armes, qu’il m’a apporté de la part de cette vieille folle de Reine et il n’a pas osé le nier. J’ai fini par lui dire que ce n’était pas le moment de parler de la paix, mais quand il sera venu mon devoir, vis-à-vis de la Russie, serait d’avoir en vue ses véritables intérêts, ce qui ne serait qu’équitable puisque l’Angleterre ne faisait que mettre en avant ses intérêts à elle, qui dictent sa politique » (17/29 août 1877)… Succès à Lovtcha… Grandes pertes de part et d’autre devant Schipka, en septembre, et à nouveau devant Plevna. « Ô mon Dieu venez-nous en aide et faites finir cette guerre odieuse pour la gloire de la Russie et le bien des chrétiens ! » (5/17 septembre 1877)… La vieille garde se couvre de gloire à Poradim, début novembre, et exactement cinq mois après le passage du Danube, Alexandre le retraverse à Petroşani, le 4/16 décembre… On joint 23 lettres autographes de Katia à Alexandre, 1866-1880 ; 100 pages in-8 ou in-12 (2 incomplètes) ; en tête des lettres de Katia, Alexandre II a inscrit la date de réception. Les lettres de Katia devaient attiser la passion du Tsar. Absorbée par l’amour, « je sens que tu es aussi triste que moi de ne pas pouvoir me voir, nous sommes donc devenu un seul être qui éprouve en tout la même chose. Oh ! cher ami, je voudrais déjà être à demain soir pour me précipiter dans tes bras et oublier l’univers entier » (4/16 janvier 1868)… « Je t’aimes cher ange, j’ai joui comme une folle de toi et suis contente d’avoir su te faire éprouver le délire du bonheur, oh ! ce que cela nous coûteait de nous arracher l’un de l’autre avant d’avoir fini notre bingerle »
(5/18 janvier 1868)… « Je sens que tout déborde en nous plus que jamais et nous sommes plus amoureux que jamais l’un de l’autre » (31 décembre 1874/12 janvier 1875)… « toute ma vie se passera à t’aimer, car c’est un culte et un attachement qui ne peut pas diminuer » (26 juin/8 juillet 1880)… « Je te félicite encore cher ange adoré pour ce jour où 14 ans nous nous attachâmes l’un à l’autre pour toujours […]. Que Dieu te conserve et nous bénisse le 6 et nous accorde bien des années de bonheur » (30 juin/12 juillet 1880)… Enfin, le 6/18 juillet, « Te voilà mon mari adoré devant Dieu et les hommes, et tu peux être sûr qu’il n’y aura pas de mari tant aimé par sa femme comme toi tu l’es et tu le seras toujours »… On joint également 4 L.A. et 1 L.A.S. d’Alexandre II à la princesse Louise Dolgoruka, belle-sœur de Catherine, 1867-1868 ; 22 portraits photographiques, la plupart d’Alexandre et 2 avec inscriptions autogr. du Tsar au dos ; 6 brouillons autographes de discours d’Alexandre II, 1876-1879 (un en russe) ; environ 25 notes autographes de Katia : étapes de voyages, dates de télégrammes et lettres, mode d’emploi pour ouvrir son coffre-fort, et un fragment autogr. de ses Mémoires (5 p.) ; une L.A.S. du Grand-Duc Alexis (en russe), et une du comte Mikhaïl Loris-Melikoff à la princesse ; une aimable L.A.S. d’ALEXANDRE III à la même, 6 août 1881, lui adressant des dessins de Gogo retrouvés dans les papiers de son feu père (en russe) ; 2 L.A.S. de la princesse à son frère Anatole, ou à Alexandrine Vinogradoff : instructions testamentaires (Nice 1902) ; etc.

Provenance : Profiles in history, 30 mai 2013, n° 131.
 

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