Lot n° 794

SAINT EXUPÉRY Antoine de (1900 1944) aviateur et ecrivain.

Estimation : 6 000 - 8 000 EUR
Adjudication : 7 150 €
Description
MANUSCRIT autographe, [Appel aux Français, automne 1942] ; 7 feuillets in-4 écrits au recto sur papier pelure américain filigrané Esleeck Fidelity Onion Skin paginé 1-7, avec ratures et corrections.

Appel inédit aux Français où Saint-Exupéry rappelle son propre engagement de pilote dans la guerre, et appelle les Français de l’étranger à s’unir contre l’ennemi. [Saint-Exupéry, exilé aux États-Unis, se trouve dans une situation délicate : il ne veut pas choisir entre Vichy et De Gaulle, tout en voulant combattre le nazisme et l’Allemagne d’Hitler. Choisir De Gaulle est difficile pour lui, alors que le général n’est pas reconnu par le gouvernement américain. Après l’occupation de la « zone libre » le 11 novembre 1942, voulant alors rassembler les Français vivant aux U.S.A. et convaincre l’Amérique d’intervenir dans la guerre, il rédige un appel aux Français pour une allocution radiodiffusée le 29 novembre 1942 sur les postes américains émettant en langue française et largement reproduite dans la presse, recueillie dans Un sens à la vie, maintenant éditée sous le titre Lettre aux Français (Pléiade, t. II, p. 69-73) ; le présent manuscrit, inachevé ou dont la fin manque, pourrait se rattacher à une première version abandonnée.]

« Je parle au nom des cent cinquante mille soldats français et des quatre-vingt-mille civils français qui ont été tués en trois semaines en mai-juin 1940 au cours de l’offensive allemande. Si j’en ose parler souvent à mes amis je parle au nom de la plupart des Français des États-Unis ». Il hait la polémique et n’aurait « point accepté d’entamer une discussion entre Français. On nous a reproché de n’avoir point pris position dans un débat entre Vichy et certains Français. Mais c’est le débat même que nous refusions. Il nous paraissait injuste d’attaquer un effort français qui était présent dans le martyre. […] Nous ne voulions léser personne dans sa foi. La France dans sa résistance, le fascisme dans son combat ». Il va faire appel à son expérience personnelle de pilote de guerre, mais précise : « J’ai réagi, senti et agi comme cent mille autres. Comme des milliers de Français peut-être. Il ne s’agit point d’illustrer ma part à moi. Elle a été en tous cas un témoin de celle des deux cent trente mille morts. Elle a été, en tous cas, inférieure à celle des équipages de mon groupe qui ont péri en mission de guerre. Ayant refusé d’être affecté à la propagande, ou d’être envoyé en mission, j’ai été affecté en novembre 1939 au groupe 2/33 de grande reconnaissance. J’ai demandé cette arme car étant affecté au bombardement et les bombardements, comme l’observation, chômant au cours de ce début de guerre, la grande reconnaissance, qui exécutait des missions de photographie en Allemagne, était élue à participer au combat. Quand nous passions les lignes toute la chasse allemande décollait pour nous seuls. Nous leur servions de cible pour exercice de tir »... Il dresse un parallèle entre 1914 et 1939, comparant le faible armement de l’Allemagne de 1914 avec sa puissance redoutable en 1939 et ses vingt millions d’habitants supplémentaires, alors que la France, qui, « des années durant, avait participé aux efforts de paix du monde entier », avait pris un retard considérable. Après 1870, la France avait effectué « un redressement prodigieux. L’Allemagne après 1918 réalise le même miracle. La France après 1918 s’installe dans la paix derrière une absurde ligne Maginot et se protège de problèmes sociaux. Le sort des nations paraissait fixé au sort de l’Homme »… Saint-Exupéry évoque Pierre Cot lui confiant « en 1935 ou 1936 : le budget de la guerre est énorme, mais le budget de l’aviation est ridicule. […] Il n’accusait personne de trahison. Il accusait l’âge des hommes et l’âge des idées. […] Les responsabilités de la France étaient celles de 1914. La position de la France n’était pas celle de 1914. À cette cause souveraine de défaite, qui à elle seule s’est entraînée au cours d’une guerre industrielle presque exclusivement s’ajoutaient des facteurs secondaires dont le principal était, aussi paradoxal que cela paraisse, la victoire. Les héros victorieux de la guerre de 14-18 étaient moins aisés à critiquer que les généraux vaincus. Ils se trouvaient être nécessaires, à une époque où la technique était bouleversée d’année en année, un facteur dangereux de stabilité. Les éléments jeunes de la nation, pouvaient lutter au nom de méthodes nouvelles, d’une pensée de guerre nouvelle, d’une technique nouvelle, ils se heurtaient d’abord au prestige de la victoire, au confort égoïste peut-être de l’installation dans la victoire »... Les causes « ne sont pas spécifiquement françaises. Nous aurions pu faire mieux. Si nous avions été vaincus, si nous avions peu souffert, si nous avions vécu pour les valeurs de guerre, si nous avions su être ingrats envers nos vieux généraux, nous aurions pu tenir peut-être plus longtemps, mais une disproportion trop flagrante favorise peu le dynamisme. […] Que valait le pays, que valaient les soldats ? Il en est mort cent cinquante mille en trois semaines. Morts inutilement car d’un seul coup tous les plans et toutes les doctrines ont craqué. […] À quoi bon inventer comme boucs émissaires des traîtres payés par l’Allemagne, des généraux en chef pactisant avec le nazisme par peur du communisme ? Ceci est déshonorant, ceci engage la nation. Nos chefs étaient trop vieux, trop pontifiants, trop chargés d’honneur, trop solidaires d’une génération périmée, ou trop découragés »… Mais « la guerre continue en Afrique du Nord ». Et Saint-Exupéry raconte comment il va rejoindre l’Afrique du Nord en empruntant un avion depuis la base de Bordeaux…

Provenance : vente Artcurial, 16 mai 2012 (n° 388).
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