Lot n° 1441
Sélection Bibliorare

WAGNER Richard (1813-1883) — L.A.S. « Richard Wagner », Zürich 5 février 1855, [à August RÖCKEL] ; 6 pages grand in-8 très remplies d’une écriture serrée, cachet encre de la prison Strafanstalt zu Waldheim ; en allemand.

Estimation : 7000 - 8000
Adjudication : 21 450 €
Description
Très importante lettre à son ami emprisonné, sur les représentations en Europe de ses opéras, ses concerts à Londres, l’avancement de la composition du Ring des Nibelungen, et l’importance pour lui de la découverte de la philosophie de Schopenhauer .

[Wagner s’était lié à Dresde avec le compositeur et chef d’orchestre August RÖCKEL (1814-1876), qui, avec Mikhaïl Bakounine, avait été arrêté à la suite de l’insurrection de Dresde en mai 1849 ; condamné à mort, puis gracié, Röckel fut emprisonné treize ans à la prison de Waldheim près de Chemnitz.

Wagner lui-même avait alors pu s’enfuir en Suisse, d’où il écrivit de nombreuses et importantes lettres à Röckel.] Il pense souvent à Röckel, lui écrivant en pensée dans ses promenades solitaires ; et il essaie de se débarrasser de ses remords à son égard en travaillant régulièrement. Sa femme est venue le voir et lui a donné des nouvelles de Röckel, qui l’ont rassuré, mais il ne peut rien faire que de s’inquiéter pour Röckel, dont le père est venu aussi lui rendre visite… Wagner continue à vivre dans le plus grand isolement, tout occupé par sa grande œuvre, la composition de ses Nibelungen.

En Allemagne, ses opéras font leur chemin, toujours un peu lent. Tannhäuser est présenté partout sauf à Berlin, Braunschweig, Vienne, Munich, Stuttgart et dans les autres petits théâtres de Bavière et d’Autriche, mais on le trouve à Prague et à Gratz. Lohengrin va peu à peu, le long du Rhin et à Breslau. Le Vaisseau fantôme est également joué ici et là. Les représentations sont probablement mauvaises, et Wagner serait dans la plus grande tristesse s’il les voyait. Lohengrin en particulier (sans pouvoir jamais jamais l’exécuter lui-même) — Le trouble beaucoup, ne sachant rien de la représentation parisienne. L’Old Philharmonic Society de Londres l’a invité à diriger ses concerts cette saison. Recevoir l’invitation fut comme un coup de foudre ; il ne s’était jamais soucié le moins du monde de Londres, et avait regardé calmement comment on sifflait là-bas l’ouverture de Tannhäuser, dans les mêmes concerts il y a des années. Comme il hésitait à accepter, on a envoyé l’un des directeurs de la société à Zurich, et il a finalement accepté, sentant qu’il fallait alors soit renoncer une fois pour toutes à tout contact avec le public artistique, soit accepter cette main tendue. On ne le paie pas beaucoup, mais n’ayant pas de spéculation en tête, il ira comme curieux pour voir ce que les gens y font. Une autre idée serait de réunir une bonne compagnie d’opéra allemande à Londres pour donner enfin ses opéras, et en particulier Lohengrin.
Il part à la fin du mois : premier concert le 12 mars, le dernier le 25 juin. Début juillet, il reviendra au Seelisberg, sur le lac des Quatre-Cantons, son endroit préféré en Suisse, pour se remettre de la fumée de Londres et composer le jeune Siegfried. Il a fini maintenant de composer la Walkyrie, dans une grande souffrance intérieure dont personne ne sait rien, encore moins sa bonne épouse. Il veut en achever à Londres l’instrumentation, à peine commencée. Il n’a terminé la mise au net de L’Or du Rhin qu’à l’automne dernier, et a envoyé la partition à Dresde pour que son vieux copiste en fasse une copie. Mais LISZT l’a réprimandé avec force et sensibilité pour revoir l’original, que Liszt a maintenant renvoyé à Dresde. Dès que la copie sera prête, Röckel recevra l’une ou l’autre copie, et composera peut-être le tout sous le nez de Wagner, qui sera heureux de voir des extraits de la musique de Röckel, qui fera peut-être mieux que lui. Quant au monde intérieur, Wagner ne va pas philosopher avec son ami, mais lui fait envoyer un exemplaire du livre d’Arthur SCHOPENHAUER, Die Welt als Wille und Vorstellung (Le Monde comme volonté et représentation), en espérant qu’il ne sera pas confisqué à la prison, car il ne contient pas le moindre élément offensant. Il veut juste donner quelques notes sur l’auteur. Schopenhauer a actuellement 62 ans, et vit d’une petite fortune depuis longtemps complètement retiré à Francfort.

Son œuvre principale est parue dès 1819, édition augmentée d’un volume en 1844. Il apparaît comme l’héritier direct de Kant, en même temps que de Hegel. Sa philosophie, éloignée de l’absurdité et le charlatanisme des Fichte-Schelling-Hegel, a été complètement ignorée par les professeurs de philosophie pendant 40 ans ; personne n’en savait rien, jusqu’à ce qu’un critique anglais le découvre ; le caractère de sa philosophie explique que, pour survivre, les professeurs de philosophie ne pouvaient rien faire d’autre que d’isoler hermétiquement ce Schopenhauer du monde. L’article a été publié en allemand dans un journal berlinois, et depuis, Schopenhauer s’affirme, face à la pitoyable philosophie allemande après Kant. Le livre est maintenant d’une importance immense, mais dans un sens très inconfortable pour beaucoup.
Wagner venait d’aller si loin dans ses propres expériences de vie que seule la philosophie de Schopenhauer pouvait devenir complètement appropriée et déterminante pour lui. En absorbant sans retenue ses vérités très, très sérieuses, il a pu satisfaire son besoin le plus intime de manière décisive, et, dans une direction différente de ses idées précédentes, cette vision correspond à son sentiment profond de la nature du monde. Le livre devrait faire également une grande impression sur Röckel…

« Lieber Freund ! Soeben erhalte ich Deinen Brief und lege meine Arbeit beiseite, um Dir sogleich zu antworten, damit die jahrlang gehegte Absicht doch sicher endlich einmal zur Ausführung kommt. Ein Brief an Dich lag mir immer auf der Seele, und kaum kann ich mir erklären, wie ich so lange nicht dazu kam : wahrscheinlich fehlte mir immer die augenblickliche Laune eben zum Schreiben ; auf meinen einsamen Spaziergängen schrieb ich Dir in Gedanken oft genug. […] Zuletzt hatte mich der Besuch meiner Frau bei Dir und ihre Nachricht über Dich ganz eigenthümlich beruhigt ; es kam mir vor, als ob ich nichts Überflüssigeres thun könnte, als für Dich ängstlich besorgt zu sein. […] Auch Dein Vater, der mich hier besuchte, machte mich fast heiterer Laune über Dich ; sein klares, verständiges, höchst präcises Wesen sprach sich auch über Dich so eigenthümlich beruhigend aus, daß wir – aufrichtig gesagt – ein paar mal tüchtig in’s Lachen kamen. […] Ich lebe nach wie vor hier in größter Zurückgezogenheit, einzig und allein meiner großen Arbeit, der Composition meiner Nibelungen. In Deutschland machen meine Opern fortwährend ihre Geschäfte : doch geht es immer etwas langsam. Der Tannhäuser ist ziemlich überall gegeben außer in Berlin, Braunschweig, Wien, München, Stuttgart und den sonstigen kleinerenTheatern Bayerns und Österreichs, wohl aber in Prag und Grätz. Der Lohengrin folgt allmählich nach, und hält sich gut am Rheine und in Breslau ; auch den Holländer greift man hie und da an. Über die Vorstellungen bin ich mit mir meist darüber einig, daß sie schlecht sind und mich zum größten Theil betrüben würden, wenn ich sie sähe. Namentlich der Lohengrin (ohne daß ich ihn je selbst aufführen konnte) bekümmert mich sehr. Mit der Pariser Aufführung dieser Oper hat man Dir eine Ente aufgebunden : ich weiß kein Wort davon, und würde wahrscheinlich auch nichts davon wissen wollen, wenn wirklich so etwas möglich wäre. […] Die alte philharmonische Gesellschaft in London hat mich eingeladen, ihre Conzerte in dieser Saison zu dirigiren. Als ich die Einladung erhielt, war ich wie aus den Wolken gefallen : ich hatte mich um London auch nie im mindesten gekümmert, und ruhig zugesehen, als man – in denselben Conzerten – vor’m Jahre meine Tannhäuser-Ouverture dort maltraitirte aud auspfiff. Jetzt schickte man mir, weil ich zögerte anzunehmen, eigens einen der Directoren der Gesellschaft nach Zürich, um mich festzunehmen. Ich sagte endlich zu, weil ich fühlte, daß es hier galt, entweder ein für allemal jeder Berührung mit unserer Kunstöffentlichkeit zu entsagen, oder gerade diese mir gereichte Hand anzunehmen. Viel zahlen sie mir nicht, und da ich keinerlei Speculation dabei im Sinne habe, gehe ich eigentlich nur als Neugieriger hin, um einmal zu sehen, was die Leute dort treiben. Wenn ich irgend einen weiteren Gedanken hätte, so wäre es der, in London einmal eine exquisite deutsche Oper zusammenzubringen, um mit ihr meine Opern und namentlich endlich einmal den Lohengrin zu geben. […] Anfang Juli denke ich wieder zurück zu sein, und zwar auf dem Seelisberg am Vierwaldstätter See, meinem Lieblingspunkte in der Schweiz : dort denke ich mich vom Londoner Qualm zu erholen und den jungen Siegfried zu componiren, – Mit der Composition der Walküre bin ich nun auch fertig geworden – unter großen inneren Leiden, von denen Niemand etwas weiß, am wenigsten meine gute Frau. Still davon ! Die Instrumentation davon will ich in London vollenden ; bis jetzt habe ich sie nur angefangen. Mit der Reinschrift des Rheingoldes wurde ich erst vorigen Herbst fertig ; ich schickte die Partitur zunächst nach Dresden, um bei meinem alten Notenschreiber eine Copie davon machen zu lassen. LISZT mahnte mich aber so stark und empfindlich darum, daß ich den Schreiber unterbrechen mußte, um ihm das Original zur Ansicht zu senden. Jetzt erst hat Liszt es wieder nach Dresden zurückgeschickt : sobald die Copie fertig ist, sollst Du ein oder das andre Exemplar vorläufig auf einige Zeit erhalten. – Am Ende componirst Du mir aber die ganze Sache vor der Nase weg ? Nur zu, mich soll’s freuen, Proben Deiner Musik zu sehen ! Vielleicht machst Du’s besser wie ich. Nun aber zu etwas Innerem ! Philosophiren werde ich heute mit Dir nicht ; dafür aber soll es ein anderer. Soeben ertheile ich Auftrag nach Leipzig, daß man Dir von dort eine Exemplar von Arthur SCHOPENHAUER’s Buch : Die Welt als Wille und Vorstellung zuschickt. […] Schopenhauer ist gegenwärtig 62 Jahre alt, lebt von einem kleinen Vermögen seit lange gänzlich zurückgezogen in Frankfurt […] Er trat als der unmittelbare Erbe Kant’s auf, und zwar zu gleicher Zeit mit Hegel. Seine Philosophie, die vollständig den Fichte-Schelling-Hegel’schen Unsinn und Charlatanismus über den Hausen wirst, wurde 40 Jahre lang von den Philosophie-Professoren vollständig, und zwar mit höchster Absicht und Klugheit, ignorirt ; kein Mensch erfuhr etwas davon. Endlich hat ihn ein englischer Kritiker geradesweges entdecken müssen […] Dieser spricht nun sein Erstaunen darüber aus, wie es möglich war, einen Geist von dieser Eminenz fast ein halbes Jahrhundert hindurch unbeachtet zu lassen : natürlich wird aber auch ihm aus dem Charakter seiner Philosophie erklärlich, daß die Philosophe-Professoren ihm gegenüber, um bestehen zu können, nichts andres machen konnten, als hermetisch diesen Schopenhauer von der Welt abzuschließen. Jener Artikel wurde nun deutsch in einen Berliner Zeitung abgedruckt und seitdem ist nun Schopenhauer nicht mehr zu übersehen, und die Erbärmlichkeit der deutschen Philosophie nach Kant ist somit ausgedeckt und erklärt. – Das Buch nun ist von unermeßlicher Bedeutung : aber in eine Sinne, der allerdings vielen sehr unbequem kommen muß. Ich gestehe, daß ich mit meinen eigenen Lebenserfahrungen gerade soweit gekommen war, daß nur noch Schopenhauer’s Philosophie mir gänzlich angemessen und bestimmend werden konnte. Dadurch, daß ich rückhaltslos seine sehr, sehr ernsten Wahrheiten aufnehmen konnte, habe ich meinem innersten Drange am entschiedensten Genüge geleistet, und wiewohl er mir eine, von meiner früheren ziemlich abweichende Richtung gegeben hat, entsprach doch diese Wendung einzig meinem tiefleidenden Gefühle vom Wesen der Welt »..
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