Lot n° 187

Victor HUGO. L.A., Marine Terrace [Jersey] 8 juillet [1853, à Delphine de Girardin] ; 4 pages …

Estimation : 1 500 - 2 000 EUR
Adjudication : 3 200 €
Description
Victor HUGO. L.A., Marine Terrace [Jersey] 8 juillet [1853, à Delphine de Girardin] ; 4 pages in-8.
Longue et belle lettre sur son exil et les petitesses de Napoléon III.

« Ô grand esprit et charmante femme, que de choses à vous dire, et par où commencer ? D’abord je gronde, je bougonne, je me plains, je hurle comme Isaïe qui hurlait comme un loup, je suis très malheureux, je n’ai pas Lady Tartufe ! Je la vois dans tous les journaux faire un tour d’Europe triomphal, je l’appelle, je l’attends, je crie
La méchante qu’elle est se bouche les oreilles
Et me laisse crier.
Et elle ne veut pas, malgré vos promesses qui ressemblent à celles de l’été 1853, malgré vos serments qui ressemblent à ceux de l’hiver 1848. C’est de Lady Tartuffe livre que je parle, bien entendu ; car, lady Tartuffe en chair et en os, autrement dit Rachel, quoi que m’en dise votre lettre, je ne l’attends pas du tout et ne l’ai jamais attendue. À Bruxelles elle n’avait que la place à traverser pour trouver ma porte, et s’en est bien gardée ; il est peu probable qu’elle traverse maintenant la mer pour trouver mon île. Du reste, je suis de son avis, une visite ici serait peu saine. Exilé, pestiféré »…
Il plaisante un peu Delphine sur sa somnambule, qu’il soupçonne d’être « quelque peu bonapartiste. Ah ! Elle n’aime pas les livres faits de haine ; ah ! elle repousse
Ces haines vigoureuses
Que doit donner le crime aux âmes vertueuses ?
J’en suis bien fâché, mais je reste avec Molière. Je reste avec André Chénier, avec Chateaubriand qui a le croc dur, le vieux républiquinquiste qu’il est, avec Jean-Jacques, avec Milton, avec Dante, avec Juvénal, avec Tacite, avec Cicéron, avec Démosthènes, avec Eschyle, avec Jean de Patmos, avec Diogène dans son tonneau, avec Job sur son fumier, avec le loup Isaïe déjà nommé, avec tous ces hommes qui ont prouvé par la haine du mal leur amour du genre humain ! Voilà la mauvaise compagnie avec laquelle je me mets à vos pieds »…
Que fait-elle ? « Quelle belle œuvre allez-vous dater de Paris de 1853 ? Quelle gloire allez-vous faire éclore au milieu de cette honte ? Murmurez donc, le soir, dans vos colonnes et parmi vos fleurs, quelques vers au vent ; il me les apportera peut-être. Du temps de Virgile, le vent avait cet esprit-là. Ce qui se passait sous Octave peut bien se passer sous Louis Bonaparte. Comprenez-vous la bêtise de cet homme ? Vous savez, mes œuvres de 4 sous, sur lesquelles La Presse a fait ces jours-ci un si beau et si excellent article [par Paulin Limayrac sur l’édition populaire de ses œuvres, le 3 juillet], eh bien, M. Bonaparte refuse le timbre nécessaire au colportage. Ces œuvres du dernier quart de siècle sont pleines du nom de l’oncle, mais qu’importe au neveu. Il s’imagine de cette façon, en empêchant la vente de mes ouvrages, me couper les vivres. Il fait ce qu’il peut pour que je ne puisse pas vivre de littérature afin sans doute de me forcer à ne plus faire que de la politique. Voilà qui est intelligent. Au reste, je fais ce qui me plaît, et je fais ce que je dois (les deux choses sont identiques) les petitesses de M. Napoléon ne me font ni chaud ni froid. Je vais publier cette année de la politique, après quoi, Dieu aidant, je publierai de la littérature, et je continuerai de mêler les deux encres dans le bec de ma plume »…
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