Description
George SAND (1804-1876). L.A.S. « Aurore », [Nohant octobre 1820], à Émilie de Wismes ; 4 pages in-8 (la valeur d’une 5e page écrite en travers sur la 1ère).
Très jolie lettre, une des toutes premières de l’adolescente, à son amie de collège.
[Émilie de Wismes (1804-1862) a connu la jeune Aurore Dupin au couvent des Dames Augustines anglaises ; lorsqu’Aurore quitta le couvent en avril 1820, Émilie devint, pendant quelques années, sa correspondante privilégiée, avec les sœurs Bazouin ; elle épousa en 1823 le vicomte Victor de Cornulier.]
« Tu es mille fois plus gentille qu’un cœur, chère Émilie, de m’avoir répondu par une aussi aimable lettre, description &a [...] Mon Dieu comme tu étais heureuse, et comme je t’envie, dans ton trajet sur la Loire, moi qui suis si sensible aux beautés de la nature ! Malheureusement le château que nous habitons est mal situé, et pour trouver de jolies promenades, il faut faire à peu près une lieue aux environs. Et puis voyager sur un fleuve, au clair de la lune ! que j’aurais aimé à m’extasier avec toi, sur la beauté de la nuit, la fraîcheur des paysages ! Que d’idées fleuries, que d’imagination, que d’esprit enfin, puisqu’il faut dire le mot, nous aurions eu ensemble ! »…
Elle n’est pas tout à fait seule. Le chevalier de Lacoux lui donne des leçons : « Il a sa harpe, son excellente harpe, qu’il me prête sans cesse, il m’a fait faire assez de progrès et si ma santé (mauvaise maintenant) m’avait laissé le courage d’étudier davantage, grâce à lui, et à sa harpe, qui est dure comme du fer, j’aurais des doigts parfaits. Il me donne aussi des leçons d’anglais. Nous traduisons, ensemble, Gerusalemme liberata, dont je me propose, nonobstant, de passer quelques passages, sans qu’il s’en doute. Ensuite il me montre tous les boléro espagnols sur une assez mauvaise guittare »… Mais « ma santé trainante me donne une lazyness d’esprit, une espèce de dégoût pour tout, que quelquefois j’écoute : alors je suis la personne la plus maussade et la plus bête qui existe ».
Il y a aussi Hippolyte [Chatiron, son demi-frère], « jeune élève de l’école militaire de Saumur […] Nous faisons encore un peu de folies, comme qui dirait de casser, de briser tout, de faire enrager les chiens, de les jetter à l’eau, &c. Nous faisons souvent des promenades à cheval, il m’a montré à monter à l’anglaise, et sans que je sois fort habile, comme je suis très courageuse, nous faisons des courses charmantes. Nous traversons les rivières, nous galopons ». Elle raconte une mésaventure survenue à M. de Lacoux : « on aurait dit Don Quichotte monté sur Rossinante ». Une autre fois, un paysan berrichon les prit pour des charlatans et voulut se faire arracher une dent par Hippolyte, qui lui donna rendez-vous dans une auberge de La Châtre : « le bonhomme l’en crut sur parole et lui ayant fait promettre de le recevoir, le soir même à la ville, et de le guérir se retira enchanté d’une si heureuse rencontre et nous laissant rire aux éclats en continuant notre route »… Lacoux donne aussi des leçons de danse à Hippolyte, « mais les peines du maître, à tourner les pieds en dedans du roide cavalier, sont encore fort plaisantes ».
Elle donne pour finir des nouvelles du couvent et de leurs amies… « Adieu donc, aime-moi un peu, moi, je t’embrasse tendrement, je t’aime de tout mon cœur »…
Correspondance, t. I, n° 12.