Lot n° 56

DESCRIPTION DE L’ÉGYPTE — Ensemble d’environ 65 lettres et pièces. 1802-1820.

Estimation : 12000 - 18000 €
Description
La Description de l’Égypte (1809-1829), œuvre inaugurale de l’égyptologie moderne aux apports scientifiques multiples. Le projet en avait été conçu dès le séjour en Égypte, où, en 1799, Geoffroy Saint-Hilaire l’avait désigné dans une lettre à Cuvier comme étant le « plus bel ouvrage qu’une nation ait pu faire entreprendre ». Cette titanesque entreprise éditoriale et scientifique fut officiellement lancée en 1802, sur décision de Napoléon Bonaparte, et se poursuivit sur près
de trente ans.

Adrien Raffeneau-Delile, contributeur à la Description de l’Égypte : ancien membre du corps scientifique de l’expédition de Napoléon Bonaparte, il collabora d’abord à plein temps aux opérations nécessaires à l’édition, ayant pour cela pris un congé en 1802-1803, puis y travailla par intermittence, ses derniers envois à la Commission chargée de l’exécution de l’ouvrage datant de 1813.

Le présent ensemble réunit des documents produits et reçus dans le cadre de cette collaboration.

Adrien Raffeneau-Delile participa à la réalisation de 7 des gravures de la Description de l’Égypte : la carte du désert arabique à l’est de Siout, publiée sur la moitié inférieure de la planche n° 100 du t. II de la partie État moderne, la vue
du mont Ghareb, publiée sur la moitié supérieure de cette même planche, les bas-reliefs antiques des deux faces d’une pierre qu’il avait rapportée d’Égypte, publiés au centre de la planche n° 47 du t. V des Antiquités, les trois parties de la pierre de Rosette (dont une achevée par Edme-François Jomard), publiées sur les planches n° 52, 53, 54 du t. V des Antiquités.
Il fournit également une importante notice explicative à son dessin de la vue du mont Ghareb, hauteur du désert arabique qu’il avait observée lors de son exploration à l’Est de Siout. À la demande de la Commission chargée de l’exécution de l’ouvrage, il rédigea le 25 septembre 1813 ce long texte dont le brouillon est ici conservé, et qui comprend de nouveaux détails : « La caravanne qui a parcouru à la fin de l’année 1800 la partie du désert située entre le Nil et la mer Rouge sous
les 27 et 28ème degrés de latitude étoit composée de MM. Berthe, lieutenant-colonel d’artillerie, et Raffeneau-Delile, ing[énieu]r des Ponts-et-Chaussées, de deux domestiques, l’un égyptien et l’autre italien, et... de trente-sept Arabes. Ces Arabes faisoient partie d’une tribu appellée Arab el-Matarate, autrefois errante et qui s’étoit fixée depuis quelque tems. Elle avoit construit sur la limite de ce désert à peu près en face de Syouth et de l’autre côté de la vallée du Nil le village d’El-Berg et s’adonnoit en général à la culture de la terre. Plusieurs de ses membres habitoient cependant encore sous des tentes et, continuant leur existence vagabonde, vivoient du produit de la vente du sel gemme et de la soude qu’ils alloient recueillir au loin dans
le désert... Le lieu de la scène est le premier endroit où, après six jours et demi de marche on trouva de l’eau saumâtre,
le premier où l’on fit boire les chameaux. Les Arabes alloient chercher assez loin à une assez grande hauteur dans le ravin cette eau qui se trouvoit contenue entre les rochers dans un bassin naturel rempli de gros sable granitique... Ils la transportoient
à dos d’homme, et l’on voit dans le ravin sur le flanc de la montagne du côté gauche trois d’entre eux chargés d’outres pleines d’eau qu’ils apportent au camp... » (3 pp. 1/2 in-folio).

L’importante correspondance reçue par Adrien Raffeneau-Delile et les minutes autographes de ses réponses, projettent un éclairage vivant sur l’avancée des travaux de publication. Sont ici conservées des lettres et pièces produites par les ministres de l’Intérieur Jean-Antoine Chaptal, Jean-Baptiste Nompère de Champagny, Jean-Pierre Bachasson
de Montalivet, par des membres de la Commission chargée de l’exécution de l’ouvrage, Claude Berthollet, Joseph Fourier, Pierre-Simon Girard, Prosper Jollois, Michel-Ange Lancret, Gaspard Monge, René-Édouard de Villiers du Terrage,
et par le commissaire du Gouvernement auprès de la Commission, Edme-François Jomard. Ces documents traitent ainsi
du financement de l’entreprise, de son calendrier, de la composition générale de ses volumes, de son tirage, des contributions écrites ou dessinées, des épreuves de contrôle, des appointements et exemplaires offerts aux collaborateurs, et même des droits de ceux-ci garantis pour la seconde édition.
Les lettres de Jomard s’avèrent ici d’un intérêt exceptionnel et représentent près de la moitié du présent dossier. Ingénieur-géographe, il appartenait comme Adrien Raffeneau-Delile à la première promotion de l’École polytechnique, fit comme lui partie de l’expédition d’Égypte, et comme lui participa dès 1802 aux travaux pour la Description de l’Égypte. En outre, il avait rapporté d’Égypte avec lui un moulage de sarcophage qui fut un temps entreposé au Louvre. Edme-François Jomard avait donc noué des liens d’amitié étroits avec Adrien Raffeneau-Delile, et les lettres intimes ou officielles qu’il lui adressa ici de 1802 à 1814 documentent d’une manière inhabituellement précise et familière la publication de la Description dont il fut
le principal animateur comme coopérateur (1802), membre de la Commission (mars 1806), secrétaire de la Commission (avril 1806) et enfin commissaire du Gouvernement (décembre 1807).
Sur l’expédition d’Égypte, expérience unique qui marqua ses participants à jamais. L’enthousiasme de Jomard, d’abord, s’exprime librement, comme par exemple le 15 février 1807 : « ... Comment oublier ou dédaigner un voyage dont chacun de ceux qui l’ont fait a reçu beaucoup de bien ou beaucoup de mal, où les gens de notre âge ont passé les plus belles années de leur vie, qui, à tout prendre, a puissamment influé sur les goûts, sur le tempérament, sur les idées, sur le sort de la plupart, et qui enfin a laissé des impressions profondes, si non des souvenirs très agréables... » Les liens forts noués entre
les « Égyptiens », comme on appelait alors les savants revenus du Caire, sont également clairement affirmés : « ... Ce qui m’aura été le plus agréable pendant tout le temps que j’ai consacré à la grande besogne d’Égypte, et peut-être le seul fruit qu’on ne pourra m’ôter, c’est le plaisir que j’aurai éprouvé et que j’éprouve à être utile à mes compagnons de voyage,
et tu sens, mon cher Raffeneau, que pour un ami tel que toi, ce plaisir-là est double... » (21 avril 1811). Jomard s’attarde aussi à donner des nouvelles de leurs anciens compagnons de voyage : Bert, Chabrol, Costaz, etc.
Sur la grande Description, d’une importance majeure pour les sciences, les arts et les lettres. Dans sa lettre
du 17 novembre 1804, Jomard livre une anecdote, qu’il tenait de Joseph Fourier, sur Napoléon Ier « qui lui a parlé le premier de l’ouvrage d’Égypte comme d’une chose à quoi il mettait de l’intérêt » (17 novembre 1804). Jomard souligne également les attentes que suscitait l’ouvrage : « ... Tout le monde sent que ce voyage d’Égypte est d’une importance majeure pour
les résultats nombreux qu’il va fournir aux artistes, aux philosophes, et aux gens du monde comme aux savans et aux hommes de lettres... » (17 novembre 1804). Il dit encore : « Je ne puis croire qu’il ne soit pas accueilli avec empressement.
En effet..., il excite vraiment la curiosité : tout le monde veut en voir les premières planches. Les artistes ne cessent
de témoigner leur étonnement de la magnificence de Thèbes... » (21 mai 1805). Certaines de ses phrases illustrent le rôle moteur qu’il joua dans l’avancée de la publication auprès des collaborateurs, par exemple tous ses rappels pour recevoir
les contributions d’Adrien Raffeneau-Delile, mais aussi, plus largement : « Songe aussi que l’ouvrage d’Égypte n’est pas comme un des travaux d’une administration permanente... : il faut ici de la célérité, du zèle... » (7 juillet 1811). Il avait déjà écrit le 21 mai 1805 que la rapidité d’une telle publication serait un motif de gloire pour l’empereur et pour la nation.
Au regard de ces enjeux et par opposition, selon lui, à la nonchalance scientifiques des Anglais en Inde, il vante la Description de l’Égypte « où l’on est si rigoureux, si sévère avec les choses exactes, sans pourtant sacrifier l’agrément des effets » (21 mai 1805).

Avec 4 dessins de chameaux et de bédouins ou Arabes, transmis par Edme-François Jomard à Adrien Raffeneau-Delile qui lui avait écrit en avoir besoin pour placer des scènes au premier plan de sa vue du mont Ghareb. L’un d’eux, d’une excellente facture et ombré (307 x 141 mm), représente un Arabe ou bédouin à dos de chameau. Parmi les trois autres, exécutés au trait, figurent deux compositions reprises par calque de l’illustration du Voyage dans la Basse et la Haute Égypte de Dominique-Vivant Denon, paru en 1801-1802, représentant l’une une caravane de Bédouins (pl. n° 82 de l’ouvrage), et l’autre une tête de chameau (pl. n° 109).

Comment Adrien Raffeneau-Delile participa à la révélation au monde savant de « la pierre de Rosette, qui est le plus important monument lapidaire qu’on ait jamais trouvé » (Jomard, 23 mai 1806). Cette grande stèle de granit gravé fut découverte en juillet 1799 par un lieutenant du Génie au cours de fouilles menées dans le fort de Rosette, et transportée à l’Institut d’Égypte au Caire où il en fut fait des empreintes selon trois méthodes différentes : d’une part par Jean-Joseph Marcel, une empreinte inversée en blanc sur fond noir, tirée à plusieurs exemplaires selon un procédé typographique sur papier, d’autre part par Nicolas-Jacques Conté, une empreinte à l’endroit sur papier en blanc sur fond noir, selon un procédé de type lithographique sur papier (imaginé sans connaître les travaux de Sennefelder), et enfin par Adrien Raffeneau-Delile, une empreinte unique en relief réalisée en soufre – la plus fidèle, car exempte des déformations du papier estampé. La pierre de Rosette fut un des rares objets archéologiques confisqués par les Anglais lors de la reddition des Français en Égypte, mais les vainqueurs n’en diffusèrent au retour que des gravures médiocres et partielles, et ce sont bien les planches des trois parties de la pierre publiées dans la Description de l’Égypte qui, faisant référence, permirent à Jean-François Champollion de déchiffrer le système hiéroglyphique en 1822.
C’est Adrien Raffeneau-Delile qui, ayant pu rapporter son empreinte en soufre, fut chargé des trois dessins à remettre aux graveurs de la Description. Jomard alla même jusqu’à lui écrire le 21 mai 1805 : « songe bien qu’il n’y a que toi au monde qui puisses faire le dessin de cette 3e inscription ». Cependant, Raffeneau-Delile semble avoir travaillé conjointement sur son empreinte et sur celle de Conté, ce qui occasionna de minimes différences de taille entre les trois dessins à graver. Le graveur s’en aperçut et, par souci d’exactitude, Jomard demanda un nouveau dessin de la partie hiéroglyphique – mais Raffeneau-Delile tarda tant à se remettre au travail, que Jomard finit par réclamer le soufre et se charger lui-même de ce 3e dessin. Il rend compte ici de son travail, le 11 décembre 1810 : « ... J’ai mis toute l’application dont je suis capable au dessin des hiéroglyphes de la pierre de Rosette : ce que j’ai d’habitude des caractères hiéroglyphiques, j’en ai fait usage dans cette circonstance qui était la plus importante qu’on pût rencontrer. Enfin, le dessin est, je crois, aussi fidèle et aussi près de l’original que l’on puisse l’exécuter d’après le soufre. Mais il faut savoir que beaucoup de petites cassures laissent de l’indécision dans un certain nombre de signes. Ces cassures ne se distinguent pas bien par le relief du soufre... Cependant, l’importance du monument exige que rien ne soit fait arbitrairement. J’ai donc imaginé un moyen pour perfectionner encore ma copie... Le monument est pour ainsi dire sauvé » (11 décembre 1810).
Avec quelques pièces imprimées, dont le très rare prospectus annonçant la parution de l’ouvrage.
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