Description
délicatement restaurées) ; montées sur onglets ou insérées dans un volume in-8, box noir semi-rigide, plats ornés d'un décor estampé à froid, écartelé de rouge et bleu sur le premier plat, et de vert et bleu sur le second, avec rivets de couleurs ivoire et ébène à l'angle central de chacun des rectangles ; doublures de daim bleu, emboîtage à dos de box rouge (J. de Gonet 1999). — •Extraordinaire correspondance, illustrée de 5 croquis, de réflexions esthétiques et pratiques sur l'art de peindre et de dessiner. — Juriste moscovite et amateur d'art, Andreï PAPPE (1865-1919) avait fait la connaissance de Kandinsky à Odessa. Après le départ de Kandinsky pour Munich, Pappe continua à lui soumettre ses propres dessins.
Kandinsky, alors âgé de 33 ans, est venu étudier à Munich ; il évoque ici l'enseignement d'Anton Azbe (qu'il va quitter pour suivre aux Beaux-Arts les cours de Franz von Stuck), et s'efforce de transmettre à Pappe les principes du maître, notamment le fameux Kugel-System, principe de la sphère. La deuxième lettre contient cinq croquis destinés à corriger les erreurs de son correspondant. Kandinsky insiste sur la nécessité de la composition et de la perception d'ensemble des objets représentés. Il donne aussi nombre de conseils techniques, sur l'utilisation des couleurs ou la préparation d'une toile.
•22 février (8 pages, avec un petit croquis à la plume). Il a bien reçu la lettre de Pappe, mais le dessin au fusain lui est parvenu déchiré et en partie effacé. Il lui conseille l'utilisation d'un fixatif et d'un pulvérisateur (qu'il dessine), avant de commenter le dessin de son ami : cette tête n'est pas mal, Pappe a des dispositions, «ce qu'on appelle “l'oeil”», mais il manque de connaissances. Kandinsky lui suggère de se procurer un crâne et de le dessiner avec rigueur, en faisant surtout attention aux proportions et à la symétrie des parties... «Il est nécessaire de comparer et de vérifier en permanence la direction de chaque ligne [...] et penser tout le temps au crâne. Ainsi vous apprendrez à voir toute la tête simultanément et à tenir compte de la correspondance de ses parties. [...] Au commencement tâchez de prendre le plus généralement possible la lumière, les ombres et la direction des lignes». Le fusain s'utilise comme un pinceau «quand on peint par touches». Puis il évoque son professeur [Anton — AZBE] qui remarquait «qu'aucun sculpteur ne commencera jamais la tête par l'oreille, le nez ou l'oeil, mais il commencera par “tailler” la tête, c'est-à-dire donnera à l'argile ou au marbre une forme qui ressemble à celle de la tête, ne faisant aucune attention aux détails»... Il faut donc traduire «la forme de la tête-crâne [...] dans ses proportions cardinales et monter la caractéristique principale de ce crâne [...] sinon vos yeux seront mis trop haut, vos oreilles trop bas, les mâchoires sortiront du crâne, etc. Un tel processus dans votre travail sur le crâne sera utile pour tout dessin, il vous donnera une bonne connaissance du dessin en général, la compréhension de la forme et des proportions, l'exactitude du coup d'oeil. La peinture par la ligne avec tous les détails ne peut que donner le change. On dessine quelque chose qui ressemble à un pigeon et on ne peut dessiner une chaise»...
•25 mars (9 pages, dont 2 au crayon, avec croquis). Il n'a pas voulu dire à son ami qu'il fallait cesser de travailler ; d'ailleurs il est quasiment impossible de se prononcer pour ou contre un travail d'une façon décisive, et il ne connaît guère que trois artistes auxquels il pourrait conseiller de laisser tomber. Il ne voit rien de désespérant dans les dessins de crânes de Pappe. «Une manière lancée et une vision globale des choses sont présentes dans vos dessins. Ce qui est le plus faible ce sont les proportions.
Retenez ensuite que toute perspective se construit sur la conception que l'objet du dessin et l'oeil du peintre sont deux points immobiles, tandis que vous déplacez consécutivement votre oeil ou votre crâne (plutôt l'oeil), c'est pourquoi on voit en même temps sur votre dessin les parties du crâne qu'il est impossible de voir en même temps». Pappe a dessiné son crâne «en face» [en français dans le texte] et de profil... Kandinsky se propose de lui renvoyer son dessin corrigé et lui demande en retour de faire quelque chose en couleurs : «C'est le début qui compte ici aussi bien qu'ailleurs. Quant à vos échecs ne soyez pas confus, vu qu'il arrive souvent qu'un commencement prometteur éclate en bulle de savon.
D'après ce que j'ai observé, les talents prématurés (n'ayant jamais vu de génies, je ne parle que des talents normaux) donnent naissance à l'art dépendant, semblable aux plantes “parasites”. Celui qui a sa propre âme et ses propres yeux, peut très bien n'aboutir à rien, mais si jamais il aboutit, il donnera quelque chose de complet et d’important. Il est plus facile de prendre des formes déjà inventées par d’autres âmes et parvenir à quelque chose de complet, mais de telles choses ne sont pas faites pour moi : mieux vaut rien mais que ce soit le sien »... Il conseille Pappe sur le choix des couleurs qu’il peut trouver à Odessa... Puis il ajoute un feuillet de commentaires au crayon, avec 5 croquis, pour corriger la forme du crâne dessiné par Pappe : le crâne était trop rond ; le visage peut se diviser en trois « parties égales (ce n’est pas une loi absolue) » ; le mouvement entre les différentes parties est à rectifier (et Kandinsky trace le mouvement des yeux par rapport au nez). Il faut habituer l’oeil « à regarder l’objet en entier et tout de suite, et non une partie de l’objet ! ».
•21 avril (7 pages). Il commente les trois dessins que Pappe lui a envoyés : le premier a une répartition très caractéristique de la lumière qui tombe d’en haut, le deuxième (« une véritable eau-forte – quelle beauté n’est-ce pas ? ») est éclairé latéralement, et sur le troisième on peut voir les images faites à la mie de pain (« je vous conseille vivement le pain gris, il faut le pétrir et vous aurez une sorte de caoutchouc, divinement flexible et
commode pour le travail ») qui représentent les rayons de la lumière...Il faut ensuite traiter les endroits les plus sombres au charbon... « Faites travailler vos yeux, lorsque vous regardez sur le modèle [...] Je vous conjure de ne vous laisser entraîner par aucun détail. Notre Azbe [Anton AZBE, son professeur à Munich] a bien raison de dire que ce ne sont
pas les connaissances qui comptent pour le travail sur les détails, mais la fermeté, “Sitzfleish”. Au début, dès que vous voyez que le travail sur le dessin s’enlise, laissez tomber et commencez-en un autre. [...] Quant à la peinture elle ne peut vous nuire. Ces derniers temps, la méthode de la “nature morte” pour les débutants est très en vogue chez nous. [...] faut prendre un fond de couleur unie et éclatante et poser devant ce fond des objets de vive et franche couleur locale (chez nous les objets suivants ont un succès fou : oranges, citrons, radis et tous légumes de couleur vive, oiseaux empaillés, cruches en argile et en céramique, casseroles bleues, etc.). Il s’agit de transmettre ces objets par taches, ne captant que le ton général de chaque chose. [...] Ensuite il faut mettre les choses
moins voyantes. Cette voie permettra de comprendre d’une meilleure façon la pureté, l’individualité et la définition des tons, proposés à nos yeux par la nature. Tout ceci m’attirait depuis fort longtemps et quelle peine j’avais à me débarrasser des tons ternes Serov-Korovin-Levitan !
À présent la richesse et la force du ton déchire le rideau de brouillards partout en Europe. Et avouons que nombreux étaient ceux qui ont vu là derrière leur vieille connaissance – l’oléographie. L’harmonie du gris et des demi-tons est une chose dure, mais l’harmonie de la pureté et de la force représente une tâche beaucoup plus difficile »... Il souhaite
à Pappe du succès et de la patience en lui conseillant de dessiner de petites images, en travaillant sur le jeu de l’ombre et de la lumière. Il lui enverra une liste de couleurs utiles et résistantes...
•15 mai (8 pages). Sur l’utilisation des couleurs en peinture. Il commence par expliquer à Pappe comment placer les couleurs sur sa palette... « Côté extérieur. Mettez les couleurs sur la palette suivant un ordre défini une fois pour toutes (bleu avec le bleu, etc.), et en respectant une suite, parce que vous êtes censé connaître la palette de l’extérieur comme un musicien connaît son clavier » ; et il cite une phrase « magnifiquement exagérée
de l’un des artistes : “Il faut fixer le modèle, jeter parfois un regard sur la toile et ne jamais baisser les yeux sur la palette”. C’est une règle absolue pour quiconque travaillant sur le modèle ; elle est un peu modifiée pour la recherche de l’harmonie. Faites sortir beaucoup de couleurs pour avoir votre pinceau plein et mûr à la fois. Achetez beaucoup de pinceaux pour ne pas utiliser les sales »... Après quelques conseils d’entretien et de nettoyage de la palette et des pinceaux, Kandinsky souligne un point important : « tâchez de chercher moins de ton dans la palette. Prenez à la moindre possibilité une couleur pure et mettez-la sur la toile, mettez sur la première une seconde et ainsi de suite. En aucun cas ne mélangez longtemps les couleurs sur la palette : ce long processus donne la saleté au ton et enlève sa force. Si le ton n’est pas réussi, cherchez-le dès le début, et non à l’intérieur du gâché et ne cédez pas au compromis. [...] Cherchez la lumière, la force, la couleur, vu qu’il n’y a rien d’atone, ni blanc ni noir dans la nature ; la couleur s’enflamme et luit partout, et Dieu nous garde de la négliger. En cela la nature est la meilleure maîtresse.
Ensuite vous pouvez la comprendre comme vous le voulez, mais prenez ce que vous pouvez de ses richesses et de ses révélations. Selon moi, dans les études sur la couleur, il faut aller du simple vers le difficile »... Et il dresse la liste d’une douzaine de couleurs et nuances que Pappe peut se procurer pour ses débuts, en excluant la couleur noire. Il lui indiquera comment préparer la toile dans une prochaine lettre...
•25 juillet (4 pages). Il a tellement perdu la notion du temps qu’il s’est étonné de sentir l’été arrivé, « et ceci après avoir peint un tas d’études estivales, avoir respiré avidement l’arôme des fleurs et de la couleur, et enfin, souffrant depuis longtemps de la chaleur tropicale. Ce paradoxe ne s’explique que par le fait que mes pensées m’ont englouti, ici aussi bien qu’au cours de mon voyage dans les villes médiévales »... Il va partir
le lendemain en montagne pour rechercher « les matières du roc ». Il lui écrit donc avant de disparaître à nouveau dans son égoïsme, et lui donne des conseils... « Dans la peinture il faut avant tout chercher les contrastes, c’est-à-dire employer toutes les forces de la palette pour la création du gouffre entre la lumière et l’ombre. Les demi-tons, la pénombre, toutes les variations dans la lumière et l’ombre – tout ça viendra après, beaucoup plus tard. Sinon vous tuerez trop de temps pour des études irréalisables. Lorsqu’on étudie la nature ( je parle de sa connaissance primaire), le premier devoir est de traduire sa force, dans les limites de la palette, et on l’atteint par les contrastes fous entre la lumière et l’ombre, surtout au soleil. Mais ne croyez pas que plus vous mettrez du blanc plus il y aura de la lumière. Au contraire ! Le blanc tue la lumière. Efforcez-vous de la traduire par d’autres couleurs, et ce qui est l’essentiel, par l’opposition à l’ombre. Que diriez-vous si on vous obligeait à jouer au piano une grande et forte pièce musicale en ne vous
donnant qu’une seule octave au milieu ? Et qu’est-ce qui est plus fort et plus vaste que la nature ? Utilisez alors tout le clavier ! ». Il lui conseille de peindre non des thèmes mais des morceaux : coins de mur ou de palissade, pierres, et qu’il y ait en même temps lumière et ombre. Qu’il continue à lui envoyer des dessins et des études et qu’il ne lui en veuille
pas pour ses longs silences...
•[Juin ou juillet] (3 pages). « Préparation de la toile (à mon goût) ». Kandinsky adresse à Pappe des conseils pour étendre la toile sur le châssis, la clouer, puis y répartir de la colle à bois dont il donne la solution de fabrication. Une première couche de colle doit être appliquée, puis une seconde mêlée à de la craie. « La solution de craie doit avoir l’apparence et couler du pinceau comme du fromage blanc. Avant de peindre on peut couvrir la toile avec une couche d’huile (de coquelicot ou de noix) coupée à moitié par la térébenthine »... Les proportions peuvent varier, mais il faut absolument attendre que les toiles soient bien sèches avant de peindre. « Règle générale : plus il y a de colle et moins il y a de craie, moins ça se fane. J’ai beaucoup travaillé sur les toiles, surtout cet hiver.
Je connais beaucoup de moyens mais je crois que celui qui est fait pour les débutants en peinture à l’huile est le meilleur [...] il en existe de tels que, selon les paroles d’un vieil artiste, si on ne termine pas tard dans la nuit (et il conseille de commencer tôt dans la matinée) : “ne dors pas la nuit mais ne laisse pas tomber l’affaire”. [...] Si la toile est grossière et de mauvaise qualité, il est bon de l’égaliser légèrement au papier de verre
quand elle sèchera »... Il répondra à toutes les questions que son ami voudra lui poser...
— RÉFÉRENCE
Peg Weiss, Kandinsky in Munich. The Formative Jugendstil Years (Princeton
University Press, 1979).
— PROVENANCE
Vente Drouot 28 avril 1997 (nos 261-267) ; Julien BOGOUSSLAVSKY (son
ex-libris ; vente Christie’s Paris, 23 mai 2006, n° 73) ; Jean A. BONNA
(son ex-libris).
6 L.A.S. "Wassily Kandinsky" or "Wassily K" (the last unsigned), Munich February-July 1900, to Andrei Andreevitch PAPPE ; in Russian ; 40 pages in-8 (2 in pencil ; some cracks in folds delicately restored) ; mounted on tabs or inserted in an in-8 volume, semi-rigid black box, boards decorated with a cold-stamped decoration, quartered in red and blue on the first board, and in green and blue on the second, with ivory and ebony rivets at the central corner of each of the rectangles ; blue suede lining, red box spine slipcase (J. de Gonet 1999). — Extraordinary correspondence, illustrated with 5 sketches, aesthetic and practical reflections on the art of painting and drawing. — A Moscow lawyer and art lover, Andrei PAPPE (1865-1919) had met Kandinsky in Odessa. After Kandinsky's departure for Munich, Pappe continued to submit his own drawings to him. — Kandinsky, then 33 years old, came to study in Munich ; he evokes here the teaching of Anton Azbe (whom he was to leave to attend the courses of Franz von Stuck at the Beaux-Arts), and endeavours to transmit to Pappe the principles of the master, in particular the famous Kugel-System, the principle of the sphere. The second letter contains five sketches intended to correct his correspondent's mistakes. Kandinsky insists on the necessity of composition and the overall perception of the objects represented. He also gave a number of technical tips on the use of colours and the preparation of a canvas. 22 February (8 pages, with a small pen-and-ink sketch). He has received Pappe's letter, but the charcoal drawing has been torn and partly erased. He advises him to use a fixative and a sprayer (which he draws), before commenting on his friend's drawing : this head is not bad, Pappe has a disposition, "what we call 'the eye'", but he lacks knowledge. Kandinsky suggested that he get a skull and draw it with rigour, paying particular attention to the proportions and symmetry of the parts... "It is necessary to constantly compare and check the direction of each line [...] and think about the skull all the time. Thus you will learn to see the whole head simultaneously and to take into account the correspondence of its parts. [...] At the beginning, try to take as generally as possible the light, the shadows and the direction of the lines". Charcoal is used like a brush "when painting by strokes". Then he evokes his teacher [Anton — AZBE] who remarked "that no sculptor will ever start the head with the ear, the nose or the eye, but he will start by "carving" the head, that is to say giving to the clay or the marble a shape which resembles that of the head, paying no attention to the details"... So you have to translate "the shape of the head-skull [...] into its cardinal proportions and mount the main feature of that skull [...] otherwise your eyes will be set too high, your ears too low, the jaws will stick out of the skull, etc.". Such a process in your work on the skull will be useful for any drawing, it will give you a good knowledge of drawing in general, the understanding of form and proportion, the accuracy of the eye. Painting by the line with all the details can only give the change. You draw something that looks like a pigeon and you can't draw a chair"... — March 25 (9 pages, including 2 in pencil, with sketch). He did not want to tell his friend that he should stop working ; besides, it is almost impossible to pronounce decisively for or against a work, and he hardly knows three artists to whom he could advise to give up. He sees nothing hopeless about Pappe's skull drawings. "There's a throwaway manner and an overall view of things in your drawings. What is weakest is the proportions. — Then remember that all perspective is built on the conception that the object of the drawing and the painter's eye are two immobile points, while you consecutively move your eye or your skull (rather the eye), which is why one sees at the same time on your drawing the parts of the skull that it is impossible to see at the same time." Pappe drew his skull "en face" and in profile... Kandinsky offers to send him back his corrected drawing and asks him in return to do something in colour : "It is the beginning that counts here as well as elsewhere. As for your failures, don't be confused, as it often happens that a promising beginning bursts into a soap bubble. — From what I have observed, premature talents (having never seen geniuses, I am speaking only of normal talents) give rise to dependent art, similar to "parasitic" plants. The one who has his own soul and eyes, may very well end up with nothing, but if he ever about