Lot n° 108

PROUST Marcel (1871-1922).L.A.S. « Marcel Proust », [Versailles vers le 12 décembre 1906], à Madame CATUSSE ; 18 pages in-8 (papier deuil). Très longue lettre sur son mobilier et son installation au 102 Boulevard Haussmann, où il peut disposer...

Estimation : 7000 - 8000
Adjudication : 7 800 €
Description
les meubles de sa mère et de l'appartement familial de la rue de Courcelles. « Tout ce que vous m'avez dit m'a semblé - à travers la brume du malaise se dissipant - parfait. Je ne tenais pas au papier rouge comme vous l'aviez cru. C'était ce papier empire en particulier qui m'avait semblé beau quoique rouge. Mais il ne pouvait aller là. Et je ne suis nullement hostile au rouge, au contraire ! Je suis content de voir que les boiseries pourront servir, je croyais que l'antichambre était trop petite, et cela me fera grand plaisir de les retrouver là car Maman en avait eu tant de plaisir, aimait tant son antichambre. En dehors même de cette douceur, cela me fera plaisir de toutes façons car c'était ravissant quoique en pense ma jeune belle-sœur ! Hélas ce que vous me dites de l'appartement du boulevard Haussmann [celui de son grand-oncle Weil, également au 102 boulevard Haussmann] je le sais trop ! Il y a quinze ans au moins que je ne l'ai pas vu, mais je me le rappelle comme la chose la plus laide que j'aie jamais vue, le triomphe du mauvais goût bourgeois à une époque encore trop rapprochée pour être inoffensive ! Cela n'est même pas démodé dans le sens charmant du mot. Démodé ! C'est trop laid pour l'être jamais. Mais je vous ai dit la douce et triste force attractive qui m'y avait ramené, malgré l'horreur plus encore du quartier, de la poussière, de la gare Saint Lazare, tant d'autres choses. Les amis qui cherchèrent pour moi avec un si adorable dévouement puisque je ne pouvais chercher moi-même et qui connaissaient mes instructions et mes goûts, mes recommandations : pas d'arbres, pas de bruit, pas de poussière, quartier élevé etc. etc., n'en reviennent pas encore de m'avoir vu élire le “bel appartement” d'un Nucingen moins riche et beaucoup plus tardif. [...] il aura du moins été une transition entre l'endroit où repose pour moi Maman et qui n'est pas le cimetière mais l'appartement de la rue de Courcelles et un appartement qu'elle n'aurait jamais vu, entièrement étranger ». Puis il parle de son séjour à l'Hôtel des Réservoirs à Versailles ; il ne s'éveillait qu'à la nuit... « J'ai passé quatre mois à Versailles comme si je les avais passés dans une cabine téléphonique sans avoir rien su du décor. Et autrefois j'allais sans cesse de Paris à Versailles tant j'aime ces lieux incomparables, que notre tristesse a construits plus beaux qu'ils ne furent jamais dans leur splendeur première et qui ont tant gagné en beauté de Louis XIV à Barrès ! »... Il demande des nouvelles de Reynaldo HAHN : « Il me téléphone tout le temps pour venir, mais je suis vraiment trop souffrant, j'espère qu'il ne prend pas cela pour de l'indifférence. Dieu sait si c'est le contraire que j'éprouve pour lui ! » Il ne sait quand il pourra s'installer à Paris, car il y a du retard. « Dès mon arrivée - même si je dois bien me porter ensuite dans l'appartement - je serai malade quelques jours, comme après tout changement »... Il n'y a pas moins de quatre post-scriptum à cette lettre. Proust parle d'abord de ses tableaux : « Pour les tableaux je ne désire voir un peu en vue que la bergère petite et vieillotte qui a l'air monstrueux et racé d'une infante espagnole, le portrait de Maman, et mon portrait par Blanche. Cependant les copies exactes des Snyders feront très bien dans la salle à manger. Je sais que le Govaert Flinck (Tobie et l'Ange) est un tableau de prix, et en somme la très bonne peinture un peu sombre d'un des meilleurs élèves de Rembrandt. Mais je compte le laisser à Robert (et du reste tout ce qu'il voudra) ainsi que le si beau portrait de Papa par Lecomte du Nouy, qui faisait l'admiration de Jacques Blanche, mais je crois que Robert aura grand plaisir à l'avoir. Je lui enverrai aussi s'il veut bien les héberger (ou je lui garderai dans l'ombre) Esther et Aman, l'histoire romaine, et le Metsu [...] Mais pour mon compte tout tableau qu'on n'a pas désiré, acheté avec peine et amour est atroce dans un appartement. [...] un tableau qui ne plaît pas, c'est une horreur ». Dans un autre post-scriptum, Proust parle de l'installation de sa chambre : « Si le mobilier bleu n'est pas adopté pour ma chambre, on pourrait grossir les meubles de l'ancienne chambre de Papa de quelques meubles du grand salon ou du petit salon qui ne tiendront peut'être pas dans ces pièces plus petites. Le seul inconvénient que je vois au joli (relativement) papier empire dans l'antichambre est que toutes les boiseries de l'antichambre de Maman ne sont guères du même style. Je pourrais peut'être dans ce cas faire tendre les murs en étoffe (imitation des vieilles toiles de Jouy, ce que j'avais comme rideaux dans ma chambre rue de Courcelles, et que je n'aurai plus si j'ai des rideaux bleus).
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