Lot n° 110

PROUST Marcel (1871-1922).L.A.S. « Marcel Proust », Cabourg Gd Hôtel [24 septembre 1910], à André de FOUQUIÈRES à Biarritz ; 16 pages in-8, enveloppe à en-tête du Grand Hôtel Cabourg. Très longue et extraordinaire lettre inédite, dans...

Estimation : 8000 - 10000
Adjudication : 18 200 €
Description
laquelle Proust s'explique longuement sur son renoncement au journalisme pour se consacrer à son roman qui est toute sa vie, et sur son aff ection pour Lucien Daudet. [André de FOUQUIÈRES (1874-1959), écrivain et mondain, arbitre des élégances parisiennes, venait de publier De l'art, de l'élégance, de la charité (de Boccard, 1910), pour lequel il dut demander un article à Proust.] S'il n'était pas si fatigué, il voudrait écrire à son cher André « trente pages de lettre », ne pouvant faire la chronique demandée, et « si clairement vous expliquer pourquoi qu'il ne pourrait pas rester dans votre esprit l'ombre d'un doute sur le sentiment profond que j'ai pour vous et qui souff re si amèrement de vous en refuser la première preuve que vous m'en demandez ». Il a fait « quelques articles dans le Figaro. J'ai cessé il y a trois ans parce que étant malade, je ne pouvais en faire beaucoup. Or si bête que cela ait l'air à dire de la part d'un inconnu comme moi, [...] il se trouve que des écrivains très connus, illustres, les uns des maîtres à qui j'avais de grandes obligations, les autres des amis très chers, me demandèrent de faire des articles sur eux parce qu'ils aimaient ma manière d'écrire » ; mais, pour ne froisser personne, il a préféré « cesser absolument de faire des articles. D'ailleurs ma santé empirait et j'ai commencé un grand livre, qui est toute ma vie maintenant, et si Dieu me donne de le fi nir, alors, délivré je recommencerai à écrire dans les journaux ». Il a fait une seule exception pour Lucien DAUDET : « j'étais écœuré de la conspiration du silence qu'on fait autour de son admirable talent. Et puis vous savez peut'être ce qu'il a été pour moi pendant quinze ans [...] Mon seul duel [contre Jean LORRAIN] a été à cause de lui et de notre amitié calomniée. Et pour le second (pour un motif tout diff érent) c'est son frère qui était mon témoin. Son père a été divin pour moi. Aujourd'hui que je ne vois plus Lucien, que personne chez lui ne peut plus m'être utile à rien, il m'est doux de pouvoir lui faire cette gentillesse »... L'article, prêt depuis juillet, a été envoyé à L'Intransigeant, « parce que le Figaro a été infect pour moi en refusant après un an d'attente de publier la 1re partie de mon roman (ceci entre nous) (roman dédié à Calmette !) (mais pour Calmette aussi je suis heureux de lui donner ce témoignage de reconnaissance) », et aussi pour être plus discret, « et risquant moins d'être vu par ces maîtres que je ne veux pas froisser en manquant à ma promesse de silence tant que je n'aurai pas parlé d'eux ». Il ne veut pas « avoir l'air d'attacher une importance à ma malheureuse prose », alors que c'est « plutôt par gentillesse pour moi et pour me fl atter » que Fouquières demande cet article. Mais Proust ne veut pas le « laisser supposer que c'est par manque d'amitié et de dévouement que je vous dis que je ne peux pas. C'est une impossibilité morale ». Si Fouquières n'a personne au Figaro, Proust est prêt à faire la chronique, « à condition de ne pas signer l'article de mon nom (c'est d'ailleurs de cette façon que j'ai parlé de livres) », et à condition que Fouquières prévienne Calmette, « car depuis qu'il m'a fait cela pour ce roman je ne peux pas le 1er, lui off rir de la prose qu'il ne me demande pas. S'il me le demande je peux envoyer un article non signé (signé d'un pseudonyme) ». Mais ce serait mieux de le demander à un autre... Il aimerait, en compensation, à défaut du « souvenir intellectuel », off rir à son ami un « souvenir matériel » qui lui ferait plaisir : « ce sera pour moi une consolation sentimentale, car dans cet objet je mettrai tout mon cœur ». Il termine en regrettant de ne pouvoir faire la connaissance de M. de VOGÜÉ : « Je ne pourrai pas le voir parce que je me suis levé une seule fois en 2 mois et ½ hors de l'hôtel et que je suis trop abattu pour faire des connaissances »...
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