Lot n° 128

SARTRE Jean-Paul (1905-1980).MANUSCRIT autographe pour L'Idiot de la famille, [1965] ; 126 feuillets in-4 (27 x 21 cm) de papier quadrillé écrits au recto (petits défauts à quelques feuillets). Important manuscrit pour la deuxième partie du «...

Estimation : 10000 - 15000
Adjudication : 11 700 €
Description
Flaubert » de Sartre. L'ouvrage monumental de Sartre sur Gustave FLAUBERT, qui occupa Sartre pendant une vingtaine d'années, a été publié, sous le titre L'Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, en trois forts volumes chez Gallimard en 1971 et 1972, et est resté inachevé. Écrit à l'encre bleu-noir au recto de feuillets de papier quadrillé, ce manuscrit offre une première version inédite d'un important fragment de la première rédaction de 1965 : un chapitre complet intitulé Le rôle (p. 1-107), suivi du début d'un autre chapitre : Théâtre et littérature (p. 107-126 ; la pagination, au crayon, n'est pas de Sartre). Cette version entièrement rédigée présente cependant d'importantes corrections, selon le système habituel de Sartre qui consiste à aller à la page après un passage non satisfaisant et raturé, où l'on peut ainsi suivre l'invention du texte dans son flux d'écriture. On relève cependant d'importants passages biffés. Ce manuscrit se rattache à la deuxième partie de l'ouvrage : « Flaubert tel qu'il se fait », sous-titrée : « Qu'est-ce que le beau, sinon l'impossible ? », partie qui sera intitulée dans la dernière version de 1971 : « La personnalisation », le livre premier reprenant le sous-titre « Qu'est-ce que le beau, sinon l'impossible ? »» Ces pages sont d'un intérêt majeur pour la compréhension de la genèse de L'Idiot de la famille, parce que ce morceau est long, alors que les manuscrits ont souvent été démembrés pour constituer la version ultérieure. On y appréciera le style resserré, souvent plus vif, plus enjoué que dans la version définitive. C'est en effet une version très travaillée stylistiquement, un exercice de réécriture, comportant des analyses abruptes et des morceaux de bravoure, qui seront adoucis dans la version finale. Cette partie laisse voir de façon complexe les thèmes sartriens du rapport aux autres, du langage, de l'acteur et du « rôle ». Dans cette version de 1965, les thèmes sont plus ramassés et synthétiques qu'ils ne seront dans la dernière version. Le rôle commence ainsi : « Dans sa famille, les liens sont hiérarchiques. Mais le Pater Familias poursuit son travail négatif : il veut être obéï comme un roi ce qui ne l'empêche pas de saper les fondements idéologiques de toute discipline hiérarchique. Il goûte assez les dignités sociales pour vouloir s'élever jusqu'aux cîmes mais son parti-pris libéral ne lui montre partout que des atomes : l'ordre des molécules n'a rien de commun avec celui des mérites »... Dans ces pages, Sartre tient à faire apparaître le lien féodal que Flaubert prétendait entretenir avec ses congénères et qui dessine peu à peu le pessimisme des rapports humains. La cause en revient à l'idéologie paternelle : « un Flaubert, c'est un alpiniste, il traverse sans cesse de nouvelles couches sociales mais sans y séjourner ; s'il fréquente ses pairs, c'est pour trouver leur point faible et s'élever au-dessus d'eux ; quand il déclare qu'un homme est son égal, c'est manière d'exprimer le mépris que lui inspire ce futur inférieur. [...] et puis son amour de la féodalité le détourne à jamais des relations réciproques : des seigneurs et des vassaux, tant qu'on voudra, mais point d'égaux » (p. 5-6). Sartre met clairement en évidence le mécanisme flaubertien qui gouvernera cette intuition de l'absence de liens entre les hommes et entre les choses : « La raison de cette attitude, il est à peine besoin de la mentionner : c'est le Refus paternel qui, en le découvrant à lui-même comme objet universel, a amorcé une sorte de désagrégation en chaîne et de “réification” du milieu humain. Flaubert éprouve la vie sociale comme une sorte de solitude en commun, comme un fourmillement de séparations. Mais cette distance qui le faisait tant souffrir lorsqu'il la ressentait en présence du père, il ne s'en plaint jamais quand il la redécouvre en face des autres. C'est la même coupure ; mais elle ne saigne pas. Il n'y reconnaît pas son statut personnel et la tient plutôt pour un caractère de notre condition, pour un état des relations humaines, bref pour la nécessité qui nous est commune de vivre dans le même milieu inerte de l'extériorité. Il ne voit aucun mal à ce que le principe d'inertie règle ses rapports avec autrui ; il y voit même la seule réciprocité concevable : une réciprocité d'indifférence » (p. 11).. A partir de là, se constitue la distance entre le privé et le public dont la scène va être le moyen de révélation : « la distance infranchissable qui sépare l'homme de l'homme, on en fait cette fosse d'orchestre qui sépare la scène de la salle. On voit le processus entier : antagonisme et réification déterminent la coupure » (p. 19). Flaubert ne connaît pas de zone intermédiaire entre sa solitude e
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