Description
Très belle correspondance à sa mère tendrement aimée.
Séjour à Londres en juillet-août 1851, où sera donné Sapho à Covent Garden, le 9 août, avec Pauline Viardot.
– Lundi 13. Après une traversée pénible, il est arrivé chez son ami Charley et, avec le compositeur Hullah, ils ont fait un tour dans Londres : « Londres a l’air d’une ville de manège et de congrès de chevaux. Par exemple, il y a des parcs superbes avec des gazons immenses, tels que je n’en ai jamais vus »… Il se prépare à son concert : « J’aurai 500 musiciens en tout » ; il pense rester plus longtemps pour assister à l’exécution de « l’Elias de Mendelssohn avec 700 ou 800 musiciens sous la direction de Costa »….
– Jeudi. Il a donné son concert : « Eh bien, il parait que le résultat en est bon. On a d’ailleurs beaucoup applaudi hier soir chaque morceau : le Sanctus a produit une impression très profonde ; il a été bissé. » ; quant au Benedictus, « j’aurais voulu que ce fût plus piano et plus mystérieux ; l’effet eût été double » ; le chœur d’Athalie ne l’a pas satisfait : Costa « m’en a fait de grands éloges ; mais il disait “ah !pauvre garçon ! Comme on vous massacre cela !” » ; il a « disséqué » sa musique sans émotion : « La question était uniquement pour moi de savoir si j’avais écrit ce que je pensais, mon effort allait-il être la traduction exacte de mon intention, voilà quelle était ma crainte. Je dois dire que nul de mes effets ne m’a trompé : toutes les remarques que j’ai pu faire contre moi-même tombent sur la proportion des idées, jamais sur les timbres ». Le Sanctus a ému jusqu’aux larmes les auditeurs, dont Costa qui a dit : « Depuis Mendelssohn, je n’ai rien entendu de si beau », Manuel, les Hullah…
– Mardi minuit. Il a entendu « La Flûte Enchantée du divin Mozart » qui l’a déçu : « Cette musique est façonnée par des mains si suaves et si pures que tous ceux qui la touchent ont l’air de rustres grossiers. […] l’ouvrage n’étant pas une conception dramatique, on ne peut pas là se rejeter sur des effets de passion qui sont toujours plus ou moins à la portée de tout le monde ; ici l’auteur n’a employé que des ressources tellement placides, d’un ordre tellement en dehors des passions et de la vie réelle, qu’il faut pour s’y plaire une très grande habitude et un très grand amour de l’idéal bien plus que du réel ». Il a revu Tamberlick qui va chanter dans Sapho : « il a un organe des plus timbrés, des plus chauds, des plus vibrants que j’aie entendu de ma vie : sur scène, ce doit être superbe ». Il a entendu le concert de Hullah, « sans un très grand plaisir, si ce n’est la sensation toujours agréable d’une masse chorale de 400 ou 500 voix, mais la valeur des morceaux qu’on a exécutés était assez mince » ; à la répétition, Pauline Viardot, souffrante, était absente ; elle doit chanter Le Prophète.
– 19 juillet. « Voilà les répétitions qui commencent à se débrouiller : la mémoire commence à poindre ; on ne fait déjà plus tant de fautes de note et de texte ». Il a entendu le Messie de Haendel « exécuté par 700 musiciens avec orchestre et orgue, mais grand orgue comme dans les églises. Ce sont des solennités admirables. […] Quelle musique de géant que cet oratorio du Messie ! On ne sait vraiment pas si on est sur la terre ou transporté dans un monde nouveau […] Tout cela vous laisse une impression profonde et durable d’un grand génie vénéré par un grand peuple et conservé par de grandes institutions ».
– 6 [août]. Il commence les répétitions : « à une première lecture, l’orchestre m’a reçu Lundi de la manière la plus flatteuse, et ma musique a produit en général une impression de poésie et d’élévation qui m’a fait un grand plaisir. Chacun est content de son rôle. Costa est de plus en plus charmant pour moi et j’ai été lundi aussi émerveillé de son intelligence sûre et rapide que touché de son zèle affectueux […] Costa dit que maintenant l’orchestre va marcher comme sur des roulettes parce que ma musique est très franche. […] L’Introduction sort admirablement ; l’effet de tout le 3ème acte est excellent : ces instruments à cordes sont magnifiques ! Tamburini sera excellent dans Pytheas : son rôle l’amuse beaucoup […] et Tamberlick (Phaon) quel excellent garçon ! Et quelle voix ! ». Il s’inquiète de la voix de Pauline Viardot : « J’ai bien peur que la voix de notre pauvre amie ne soit bien près de sa fin : elle ne le dit pas ; mais sa figure, et celle de Viardot indiquent suffisamment combien elle en est tourmentée » ; elle a chanté « D. Anna dans cet admirable Don Juan : elle a chanté faux presque toute la soirée et m’a fait un mal affreux pour la peine qu’elle se donnait ; à la fin, elle n’en pouvait plus. Demain le Prophète pour la refaire. Chien de métier, va ! »…
– 8 août. Demain a lieu la représentation : « Tous mes artistes, Costa en tête, sont adorables pour moi : de tous côtés, autour de moi, j’entends dire : “Jamais Costa depuis 18 ans qu’il est chef d’orchestre n’a apporté tant de soin, tant de zèle, et de sympathie à diriger un ouvrage”. Quant à l’orchestre, ces M.Mrs m’ont fait l’accueil le plus flatteur ; – et quant à mes chanteurs ils sont pour moi les meilleurs enfants du monde. » Il espère être édité par Beale, qui assistait à la répétition générale et a dit « qu’il trouvait cet opéra l’œuvre d’un maître. Ce maître serait son bien dévoué serviteur si une si chaude admiration pouvait devenir un peu mathématique, puis métallique »…
[Vers 1853 ?]. « J’espère que notre Anna chérie va bien, n’est-ce pas ? Je vous envoie quelques pauvres petites fleurs que j’ai prises pour elle aujourd’hui sur nos chères tombes du cimetière Mont-Parnasse »…
Lyon, 22 mars 1854 . Il a déjà eu 3 répétitions [de son oratorio Tobie] qui sera donné sous la diction de Georges Hainl : « c’est une nature braque, vive, aux mains dans les poches ; amoureux de bière et de cigares, très négligent pour tout ce qui est facultatif, il est d’une ponctualité exemplaire pour ce qui touche à son art, et à son œuvre d’art qui est l’éducation de son orchestre ». Il fait du tourisme avec Anna : « J’ai visité en passant la Cathédrale St Jean qui m’a semblé superbe. Il nous reste à voir Fourvière, le Musée, le confluent du Rhône et de la Saône, et le travail d’un des grands métiers de soie ».
- La Luzerne (Manche), 18 août-27 septembre 1855. Gounod écrit quasi quotidiennement à sa mère pendant ses vacances dans la propriété familiale de son beau-frère Édouard Dubufe (qui vient de perdre sa femme, Juliette, morte en couches le 7 août, et est avec son jeune fils Guillaume ; Gounod est avec sa femme Anna, accompagnée de sa sœur Berthe Pigny, et de sa mère Hortense Zimmerman. Anna et Hortense complètent parfois les lettres de Charles). Gounod fait à sa mère un compte-rendu détaillé de ses journées ; il travaille à sa Messe solennelle de Sainte Cécile. Il décrit avec lyrisme le paysage, le parc, la rivière, s’enthousiasme pour le spectacle de la mer et découvre avec délice les bains de mer. Ainsi le 22 août : après un bain « ineffable » à Granville, il passe l’après-midi « à lire dans le bois quelques chapitres de mon bien-aimé Docteur St Augustin ; j’en fais la traduction écrite ; c’est mon heure de recueillement : après quoi je pense à ma messe et je compose ou du moins j’y réfléchis jusques vers 5 heures toujours dans les bois ; puis Anna qui sait où me trouver vient me rejoindre, et nous rentrons bras dessus bras dessous à la maison. Voilà ma journée habituelle ». Il cherche son Gloria : « or, par une singularité qui est assez fréquente, c’est mon Agnus Dei qui s’est présenté ».
– 25 août : il travaille à son Agnus Dei dont il donne l’idée : « entre chacun des 3 agnus qui sont chantés par le chœur, j’ai placé une phrase de chant solo, (Ténor d’abord, et soprano la 2de fois) sur les mots Domine, non sum dignus… »
– 27 août : « il y aura trois semaines que nous portions en terre notre pauvre Juliette ! […] Tant d’émotions ont chargé depuis ce jour la vie de ceux qui restent ! […] Depuis lors, tant il est vrai que le tems c’est le cœur ! Et si le bonheur le rend si court, si le supplice l’allonge, de quelle longueur il doit être déjà pour le cœur de cette mère et de ce mari ! ». Le 28 et le 29, il lit à ses hôtes les cinq actes d’Iwan le Terrible. Il travaille toujours à sa messe qu’il compte dédier à la mémoire de son beau-père Zimmerman et le 1er septembre il a terminé l’Agnus Dei et tracé « le fil vocal de mon Gloria que je tiens enfin ». Il profite de ses derniers bains : « L’eau commence à fraichir, et les premières secondes de natation donnent aux physionomies une gaité assez équivoque qui s’efforce de réagir et de faire contenance contre le déplaisir momentané de la partie inférieure. » Le 12 septembre Granville est en fête après l’annonce de la prise de Sébastopol ; le 15 septembre, ils font une excursion au Mont Saint-Michel, qu’il raconte le 16 septembre : c’est « presque une île […] il offre trois espèces d’intérêt bien distincts et bien différents ; l’aspect pittoresque, l’architecture, enfin son caractère comme prison » ; il est très impressionné par la prison sombre et sinistre ; les cachots pour les prisonniers récalcitrants « sont l’horreur de la pensée : un trou sans lumière aucune, presque sans air, entouré de murs épais et noirs » Son beau-frère Pigny est venu quelques jours et reparti avec l’Agnus qu’il doit remettre à l’éditeur Lebeau. Il doit faire une lettre de recommandation pour Offenbach : « Offenbach n’est plus chef d’orchestre aux Français ; il est maintenant le Directeur, chef d’orchestre, et compositeur en chef d’un petit théâtre nommé les Bouffes Parisiens qu’il a fait construire du côté du Cirque de l’Impératrice aux Champs Élysées, et qui a un succès fou, à ce que l’on dit ».
– 21 septembre : « j’ai absolument fini mon Gloria », il l’envoie le lendemain à Lebeau par les voitures d’Avranches, « roulé, ficelé, cacheté, étiqueté, enfin muni de toutes les précautions et recommandations possibles » ; il lui reste à faire le Domine Salvum et une introduction d’orchestre. Il se soucie de la santé de sa nièce chérie Charlotte, ce qui a gâché son excursion :
« mes passions paysagistes s’y seraient évertuées tout à l’aise, et si le crayon et le pinceau m’eussent été plus familiers que le dièse et le bémol, j’aurais voulu rapporter de cette magnifique harmonie de la nature des lignes et des teintes à rivaliser avec la Symphonie Pastorale ».Le 27 septembre, les Gounod quittent La Luzerne.
— On joint 3 L.A.S. de Victoire Gounod à son fils Charles :
– 20 août [1840, Gounod est à Rome] : elle donne des nouvelles d’Urbain (frère aîné de Charles), malade, et abreuve Charles de conseils et de recommandations : « Continue de mettre en pratique la vertu et le courage qui assurent la paix de ta conscience et le bonheur des autres ; pratique toujours l’indulgence et la tolérance […] continue de prier pour que ma foi et mon espérance se fortifient ; chaque jour j’en fais autant pour toi et pour ton bon frère », etc. ; elle le charge de « mille choses affectueuses à notre ami Hector, à Mr et Me Ingres, à Raymond, Hébert, etc. » ;
– 3 décembre 1848 : se croyant sur le point de mourir, elle adresse une touchante lettre d’adieu à son fils ; à la suite de cette lettre, Gounod ajoute en 1884, un vibrant hommage à sa mère (Anna transmet l’ensemble à son petit-fils Pierre Gounod).
– 28 juin 1855 : elle exige qu’il prenne une voiture pour suivre son convoi, avec Mgr Demarsais et l’abbé Gay. Plus une Prière autographe, et 3 lettres de Victoire Gounod, sous enveloppe autogr. de Gounod ; et quelques copies de lettres de Gounod à sa mère et à son frère.