Lot n° 301

GOUNOD Charles. — 749 L.A.S. « Charles », 1852-1893, à SA FEMME et à SA FAMILLE ; plus de 3 000 pages formats divers, plusieurs adresses ou enveloppes (défauts à quelques lettres) ; plus environ 135 lettres jointes. Importante correspondance...

Estimation : 25 000 - 30 000 €
Adjudication : 25 000 €
Description
familiale. Les lettres de Gounod sont adressées, parfois collectivement, à sa femme Anna Zimmerman (épousée le 31 mai 1852), à leur fils Jean (né en 1856, et sa femme Alice), leur fille Jeanne (née en 1863), ou à sa belle-mère Hortense Zimmerman, ainsi qu’à d’autres membres de la famille. Nous ne donnerons ici qu’un bref aperçu de cet énorme ensemble, du plus grand intérêt, aussi bien biographique que musical. • 1852. (5 lettres).À sa fiancée : il veut lui « faire de ma vie tout entière une œuvre continue de dévouement, je devrais dire de Dévotion à votre bonheur, c’est un si ardent désir, un si grand besoin de mon cœur, que Dieu ne me refusera pas la grâce d’en faire une réalité »…Une lettre à son beau-père Pierre- Joseph Zimmerman est relative à La Nonne sanglante ; une à sa belle-mère est signée « votre fils Charles ». • 1853-1856. Gounod est très pris par la direction de l’Orphéon : « Il doit « courir à l’opéra, à l’opéra-comique et au Théâtre Lyrique, afin de voir les trois chefs de chœur de ces théâtres et m’entendre avec eux sur des points urgents », mais il envoie de tendres lettres à sa « petite fille chérie ». Il a d’autres obligations : les leçons de piano à Mlle Jousset, un banquet de sociétés chorales… Il a enfin reçu les vers de Ponsard. Une lettre est signée : « Ton … une foule de choses ». 7 août 1855, il rédige une notice nécrologique sur sa belle-sœur Juliette Dubufe. Après la naissance de son fils Jean (8 juin 1856), il s’inquiète de sa santé et recommande l’homéopathie, sur les conseils du Dr Cabarrus ; et il envoie une curieuse « Philosophie de la Doctr. Homœopathique ». En juillet 1856, il est à Gand pour présider un concours : « j’ai entendu dans ma journée quarante chœurs ». Puis il voyage en Suisse. 5 septembre 1856 : il est à Milan, ses impressions sur la ville (la cathédrale la fresque de Léonard de Vinci, la basilique Saint-Ambroise etc.) ; à la Scala il entend Norma, et la Traviata de Verdi, dont les trois premiers actes lui sont antipathiques : « la musique, quoique procédant d’un style qui ne me va pas, renferme pourtant un bon nombre d’intentions touchantes, et deux morceaux d’une sensibilité bien plus vraie et plus simple ». Toute l’Italie est « Verdiste jusqu’au cou : Verdi, Verdi, et puis Verdi ; on le joue partout, on le braille quand on ne le chante pas : mais c’est le dieu du moment » ; ses œuvres « sont fondées sur une irritation nerveuse dont le règne est impossible long-tems : elles engendrent dans le chant une école de trémolo et de chevrotement perpétuels qui épuisera les chanteurs et les auditeurs avant peu d’années »…
• 1857. En juillet, il est à Caen pour un concours d’orphéons, et a hâte de retrouver sa famille. Montretout 1er novembre, il parle à sa belle- mère de ses répétitions à la Sainte-Chapelle et de la Messe qu’il écrit.
•1859. Répétitions de Faust au Théâtre-Lyrique ; il a écrit une Valse pour Mme Carvalho.
•1860. En mars, Faust à Strasbourg ; le soir sérénade sous les fenêtres de son hôtel : « le chœur des soldats avec une centaine de voix et tout l’orchestre du Théâtre plus la fanfare militaire : cela faisait un effet énorme en plein air : il y avait une foule immense dans la rue et on a crié un bis qui ressemblait un bruit d’émeute ». 10 août. Fin de son séjour à Baden-Baden pour la création de La Colombe, « supérieurement exécutée ». Il doit diriger le 3e acte de Faust après la 4e et dernière représentation ; le pays est agréable mais ce n’est « qu’un pays d’amateur : c’est très jardin anglais »… Faust à Bordeaux, grand succès : « Chœur des soldats, bis frénétique ».
•1861. En novembre, séjour au palais de Compiègne, avec d’autres personnalités (Paul de Musset, Delessert, Mérimée, etc.) ; la fête est endeuillée par l’annonce de la mort du roi du Portugal ; il suit la chasse dans la voiture de l’Impératrice. Il se met au piano et chante pour Eugénie, qui le complimente et l’invite à prendre le thé chez elle ; il doit mettre en musique un couplet pour sa fête. Il en profite pour pousser l’affaire du Médecin malgré lui auprès du comte Walewski.
•1862. Gounod, avec sa femme et Jean, partent le 29 mars pour l’Italie, via Marseille ; les lettres, par Charles et Anna, sont adressées à Mme Zimmerman. Nuit à Marseille et promenade sur la corniche avant d’embarquer sur le Pausilippe ; la traversée et arrivée à Civita-Vecchia ; service du Vendredi Saint à la Chapelle Sixtine :
« quelle décadence d’exécution depuis 20 ans ! » ; promenades enthousiastes dans Rome… 9 août, à Baden-Baden pour la création de Béatrice et Bénédict de Berlioz, qu’il admire. En octobre, voyage en Allemagne (Cologne, Hambourg, Hanovre), en compagnie de Choudens, pour Faust ; détails sur les représentations et leur succès (plus 7 lettres de CHOUDENS à Anna). En novembre, à Milan, pour la création à la Scala de Faust ; il en dirige les répétitions, avec l’excellent orchestre : « je crois que j’obtiendrai de beaux effets de cordes et tu sais que c’est toujours la question capitale pour moi » ; détails sur les chanteurs et la mise en scène, superbe ; mais il est un peu déçu par le résultat final ; il se plaint du silence d’Anna, et lui fait des reproches sur son attitude, et une certaine froideur.
•1863. Voyage en Allemagne avec Choudens : belle représentation de Faust à Berlin avec la Lucca magnifique en Marguerite ; visite de Meyerbeer ; La Reine de Saba à Darmstadt, avec une impressionnante mise en scène de l’acte de la fonte ; le Grand-Duc suit toutes les répétitions ; inquiétudes pour la grossesse d’Anna ; retour par Cologne et Bruxelles. 5 mars, il est à Lyon pour diriger des extraits de La Reine de Saba : « Balkis (Mlle Charry) est une petite personne (hélas, très laide) laide de tout, des yeux en boule de loto, une vilaine bouche, des dents… hideuses ! Mais elle a du talent, une voix superbe et elle est très vaillante et très énergique ; bonne musicienne, et aimée du public ». En mars et avril, il est en Provence, près de MISTRAL, pour composer Mireille. De belles et longues lettres quotidiennes (parfois biquotidiennes) racontent ce séjour, à Marseille, où il dirige Faust (lettre de Choudens jointe), Maillane, Les Baux, la plaine de la Crau et le Val d’Enfer, Arles et les Saintes-Maries-de-la-Mer, Saint- Rémy (où il s’installe à l’hôtel Ville-Verte, et se fait livrer un piano), Nîmes, Tarascon, vallon de Saint-Clerc… Il parle de l’avancement de son opéra, et de ses promenades avec Mistral ; ainsi (9 avril) : « j’ai presque fini d’écrire mon Duo des jeunes filles au 4me acte (la prière) : il est d’un mouvement animé : j’espère avoir trouvé quelque chose d’ému sur le passage “J’aime, je crois, j’espère !” Je vais me mettre sérieusement au final du 2nd acte, que je ne lâcherai plus qu’il ne soit achevé »… Et le 11 avril : « j’ai trouvé toute ma Farandole (l’introduction du 2nd acte »… De gentils petits mots sont destinés à Jean. En juin, il est à Londres pour Faust à Covent Garden. Fin septembre (Jeanne est née le 15), Gounod part se reposer à Fontainebleau, chez son ami Desgoffe, lors d’une crise de dépression : « quelle douleur noire de ne pas connaître ce qui vous ronge et vous étouffe ! Espérons donc, et attendons que le moment inconnu vienne au secours de ce mal inconnu. […] Suis-je donc le bourreau de quelqu’un pour être ainsi la victime de je ne sais de qui ? […] Je t’aime de toute mon âme, et du fond d’un cœur dont tu sais tout le fond […] je t’aime sans cesse, sans ombre, sans défaillance, tout triste que je sois »… Puis le Dr Blanche va le soigner dans sa maison de santé à Passy : « Il faut avoir souffert auprès de lui pour avoir une idée de sa tendre et salutaire influence »…
•1864. 26 mai, le Dr Blanche le soigne pour une entorse, mais il se plaint de ne pas voir ses enfants. Du 16 juin au 3 juillet, il est en cure au Mont-Dore, avec son domestique Pinard : « si les nuages ne nous coiffaient « paroles ordurières » entendues au collège :
« j’en sais quelque chose, je ne suis pas arrivé où je suis dans mon art sans que beaucoup de journalistes m’aient regardé comme quelque chose d’encore moindre qu’un chanteur des rues »...
•1868. Fin janvier, à Vienne, pour Roméo et Juliette¸ dont il dirige les répétitions : « le sommeil de Juliette a été divinement exécuté. Quant aux chanteurs en général, ils ont ici une lourdeur de méthode et de diction qui rappelle les soupes où la cuiller tient debout : ils auraient besoin d’être galvanisés par leurs chefs d’orchestre dont ce n’est pas la qualité quoi qu’ils soient d’excellents musiciens : mais les voix sont belles et généralement assez justes »… 14 novembre, explication avec Anna, qui n’aime pas la fin du ballet de Faust. Le 5 décembre, il part pour Rome avec Ernest Hébert, chez qui il s’arrête quelques jours à La Tronche. Puis séjour à Rome où il compte travailler à son oratorio Sainte Cécile (sur un poème d’Anatole de Ségur). Il retrouve l’abbé Gay. Messe à la Sixtine : « c’est plus beau pour moi que jamais : musique admirable, et musique de cette peinture là ! Michel-Ange un colosse ». Promenades dans Rome et la campagne romaine : « il me semble que Rome me dise : “Tais-toi et écoute-moi” ». Visite à Liszt : « il nous a fait entendre (moi suivant sur sa partition) des fragments de son oratorio de Ste Élisabeth, et de son oratorio le Christ. Son morceau à propos du Miracle des roses est un sentiment exquis. Dans son Christ, j’ai été frappé de l’agonie au Jardin des oliviers : il y a là des accents de douleur qui vont jusqu’à la torture, jusqu’à l’agonie et à l’écrasement ! » ; travail au Colisée : « il y a entre ce que je veux faire et ce qu’il faut éviter, la même différence de point de vue et de conception qu’entre la Dispute du St Sacrement et un tableau comme la Bataille de Constantin. L’un est complètement transporté dans le calme de la pensée et du sentiment hors du mouvement des faits et de l’agitation réelle des événements, et c’est ce que je veux : l’autre reste dans l’action pure et simple, comme le théâtre, et c’est ce que je ne veux pas ». Messe pontificale de Noël à Saint-Pierre.
•1869. Gounod est à Rome jusqu’au 15 février. Le janvier, bénédiction du Pape en l’église du Gesù, où il a « souffert le martyre en entendant la musique » ; il sert la messe de l’abbé Gay « sur l’autel où repose le corps de Ste Cécile […] Tout cela est d’une émotion qui pénètre et saisit profondément » ; il visite la demeure de la Sainte ; cela provoque « une volte-face de plan musical ». Gounod va alors s’embarquer dans l’écriture du poème de son nouvel oratorio, La Rédemption, en commençant la composition et l’orchestration, en priant Anna de ne pas le critiquer, car il a besoin de toutes ses forces : « j’ai dû écrire ou du moins concevoir tout d’une traite les 16 tableaux qui forment ma nouvelle composition, afin de ne pas en perdre de vue, un seul instant, la gradation lumineuse : mon poëme part de la douleur et des larmes pour arriver d’époque en époque à la pleine lumière et à la Joie ». Quand il ne travaille pas, il se promène dans Rome, admirant les tableaux dans les palais et musées. À la fin de l’année, il va travailler à Polyeucte chez sa belle-sœur Zéa Pigache à Irreville près de Rouen : « c’est une grosse besogne, autant à cause du caractère des idées au point de vue de l’agencement et de la construction. Espérons la lumière ! »…
•1870. Au début d’août, alors qu’arrivent les nouvelles alarmantes de la guerre, Gounod est entre Montretout et Paris, où il voit ses collaborateurs. Il a composé un « chant militaire » et assure les répétitions. Il a pris Jean avec lui. Il donne les nouvelles des batailles perdues, du départ de l’Impératrice ; puis « Paris est en état de siège ». Puis il se décide à rejoindre Anna à Varengeville. [Le 12 septembre, la famille Gounod gagne l’Angleterre.]
•1871. Le 1er mars, il est à Liverpool pour diriger la Messe de Sainte Cécile ; il déplore les nouvelles de la Commune : « quelle division dans notre pauvre France ! » Le 21 mai, Anna rentre en France avec Jeanne, laissant son mari chez les Weldon, et Jean en pension ; Gounod pense rentrer bientôt avec Jean : « Je vais, d’ici là, tâcher de gagner encore quelques sous : si je pouvais trouver 3 ou 4 mélodies cela ferait encore 2,000 F de plus, et cela ne sera pas du luxe ». 8 juin, grand concert de psaumes à Saint-Paul avec 6000 enfants et l’orgue : « Il m’a semblé que c’était une montagne humaine, un volcan d’harmonie dont le concert s’échappait de ce cratère vivant !!! » Le 12 juin, Mme Zimmerman vient chercher Jean ; la Reine Victoria a offert à CG une tabatière en souvenir de sa visite à Windsor. 16 juin, explication sur sa brouille avec l’abbé Boudier, il n’a jamais « sacrifié l’amitié à la malignité […] il m’a avoué qu’il craignait de t’avoir contre lui ; mais il paraît qu’il craint moins d’être contre moi. Soit »… 17 juin (il a 53 ans) : « Mes 53 ans envoient leur 54me sœur à recevoir dans tes bras, à bénir de ton cœur, et à te donner le plus de bien et le moins de mal possible ».Le 21 juillet, Georgina Weldon a chanté Gallia : « ma chère petite Georgina a chanté comme un ange et a été immensément applaudie. […] On voulait bisser, mais j’ai tenu bon : je trouve cela ridicule »… Il quitte Londres le 31 juillet, inquiet : « cette affreuse canaille de Littleton refuse maintenant de me payer ce qu’il me doit pour les 7 mélodies nouvelles et le Duo de la Sieste, après avoir accepté le prix convenu entre nous » ; les Weldon vont s’occuper de cette affaire…. Après avoir retrouvé sa famille à Trouville, CG va à Morainville chez ses amis Beaucourt pour travailler à Polyeucte. Le 24 août, il te trompe. Ne te nourris pas de méfiance ; c’est un poison. Je t’embrasse et je te répète que je t’aime ainsi que nos chers enfants, et je te redis encore qu’il dépend de toi et de ton attitude qu’on juge ma vie autrement qu’on ne le fait. Tu me dis que ma santé t’est chère et précieuse ; tu ne peux pas lui vouloir un milieu et un antagonisme qui la détruisent ». 11 avril, il explique l’avantage su système anglais de Royalty, qui assure à sa famille « un système de rentes »… 12 avril, il reproche à Anna son refus d’abandonner les droits sur Faust à l’Opéra. En mai, il raconte le succès de ses concerts au Albert Hall, avec lequel il finira par rompre ; il jouera ensuite au St James’s Hall et au Crystal Palace. Jean complète souvent les lettres de son père pour sa mère. Si les lettres de Charles à Anna sont parfois acerbes, les lettres à Jean et Jeanne, ses « bien aimés enfants », sont pleines de tendresse. En août, il va prendre les eaux à Spa ; de là, il réplique à Anna qui lui accusait de s’être déshonoré en chantant en public : « je fais de la musique : j’ai assez travaillé dans ma vie, et je crois que je l’ai gagnée honorablement. De plus, je chante ma musique aussi bien que q.q. autres, mieux même que beaucoup d’autres : me servir de cet avantage pour la faire comprendre, connaître, et par conséquent désirer et acheter, je ne vois pas du tout ce qu’il y a là de blâmable et même de critiquable : aux lumières du sens commun, de la raison, de la vérité, la justice, je ne vois rien là qui ne soit parfaitement légitime et même honorable : je suis le peintre de mon tableau ; qui empêche que je n’en sois aussi le graveur ? »… 31 décembre : « le plus beau cadeau que puisse me faire l’année qui arrive, c’est d’arracher de ton cœur tout le mal que tu te fais »…
•1873. 25 janvier. Il hésite à signer l’acte que lui transmet le notaire Girardin « un acte par lequel j’aurais à te donner des pouvoirs dont la plénitude équivaut à une abdication totale de ma part ». Il se réjouit du succès de Roméo et Juliette à l’Opéra-Comique. Ses concerts su Gounod’s Choir marchent bien : « j’ai, maintenant, une tribune, du haut de laquelle je puis faire entendre et connaître au public des œuvres dont je demeure propriétaire, et dont il faut, par conséquent, que la réussite et le bénéfice prenne un jour la forme d’une rente, au lieu d’aller s’engloutir dans la poche du marchand qui m’exploite » (18 mars). Carpeaux fait son buste : « c’est un rude homme ». Sa santé se détériore ; il tousse de plus en plus, et reste alité. 21 juin, il annonce qu’il a perdu son procès contre Littleton, « mais j’ai GAGNE sur le terrain de la CONSIDERATION, ce qui est TOUT ». 5 juillet, il raconte à Jean qu’il a vu sa mère en rêve. 23 juillet, il préfère aller en prison plutôt que de payer l’amende : « Je te DEFENDS donc FORMELLEMENT toute démarche de paiement pour me délivrer de prison, et je l’interdis à qui que ce soit : c’est une humiliation que je n’accepterai pas : en second lieu, on me volerait ma vengeance, et c’est mon bien le plus précieux Et puis Polyeucte dont je vais orchestrer la Prison EN PRISON ! C’est trop beau »… En août, longue justification (9 grandes pages) de sa conduite à sa belle-mère Hortense Zimmerman (qui a payé l’amende).
•1874. Blackheath 29 mai. Tendre lettre pour l’anniversaire d’Anna et « saluer avec une tendre affection, avec mille regrets bien amers, enfin avec une foule d’émotions diverses dont tu comprendras le tumulte et appréciera le silence, ce 31 mai qui t’a donné le jour et nous avait donné à tous deux tant de douces espérances, il y aura après-demain 22 ans »… 1er juin, à son fils : « ma chanson sur la mort de Livingstone a produit une grande impression et a été redemandée ». [Le 8 juin, Gounod quitte l’Angleterre puis il séjourne en secret chez ses amis Beaucourt à Paris.] Le 18 juillet, il est au château de Morainville, chez les Beaucourt, avec Jean, qu’il fait travailler. Il se met à refaire Polyeucte, dont Anna lui a envoyé le livret. « Le bon abbé » Charles Gay est venu le voir et repart chargé d’une mission : « il te fera part d’une foule de choses que nous avons examinées et et pesées ensemble au sujet du parti le plus désirable à prendre pour l’existence de notre Jean aussi bien que pour la mienne ; et je crois tout à fait utile que, par sa précieuse et sage entremise, tu sois bien au fait de ce que nous avons cru être pour le mieux, avant de prendre toi-même un arrangement définitif en ce qui regarde notre future installation »… 3 octobre. Il veut travailler à « retrouver de belles choses que je ne veux pas perdre tandis que ma mémoire les possède encore : j’espère que le secours d’en haut me rendra la meilleure part de ce qu’auront voulu perdre les trames d’en bas »…
•1876. 8 juin, tendre lettre à Jean pour ses 20 ans. Morainville 13 août, colère contre Georgina Weldon et « la persécution acharnée de cette méchante créature : « cette misérable femme a eu l’audace effrontée, éhontée, de faire graver, publier et déposer comme étant sa propriété, avec sa griffe “Georgina Weldon for the Orphanage” le morceau de La fête de Jupiter qui n’est autre que mon cortège du 3me acte de Polyeucte […] Ah ! ce que cette vipère accomplit chaque jour contre moi, elle l’avait conçu d’un seul coup avec la sûreté de génie du démon »…
•1877. 30 décembre, arrivé à Milan, il visite dans l’enthousiasme « le Musée Brera.
•1878. Au début de l’année, séjour à Milan, pour Cinq-Mars à la Scala : « ce pays est inouï : il n’y a pas de metteur en scène ; il faut quasi faire tout moi-même : autrement on va comme on peut, il faut voir cela ; c’est curieux. Au reste, tout le monde est charmant »… « mon ténor est indiciblement brute ; mais en revanche le baryton est une oie, et la Marion une grue. La Princesse a une jolie voix et chante vraiment avec talent : mais elle aurait bien besoin que quelqu’un mît du bois dans son poële, si tant est qu’elle ait un poële ! »… 22 octobre : « Polyeucte [créé le 7 sept.] a fait hier soir 20,000 et quelques cent francs.. Sellier, quoique sous l’influence d’un rhume qui s’annonçait par quelques piquotements dans la gorge, s’est tiré d’affaire à son avantage : tous pourtant ont été hier un peu mous, et le public, qui veut qu’on fasse des frais pour lui les a punis en les imitant. »…
•1879. 15-18 avril, à Anvers, pour faire répéter Polyeucte : « c’est orchestré plein de bonne volonté ; mais il y a bien des lacunes. Leur plus grand défaut est de ne pas savoir jouer piano : au bout d’une ou deux mesures, il joue fort : cela donne l’exécution q.q.chose de dur et de monotone »… 19 juillet, il est bouleversé par la mort de sa nièce Charlotte Corta (fille de son frère Urbain). 30 août, charmante réception par le Roi et la Reine des Belges, à Anvers. Début septembre, séjour à Nieuport chez ses amis Mols : « Nieuport-Bains est une plage naissante ; c’est adorable et immense ; dans dix ans, ce sera le Trouville de la Belgique » ; il pense à acheter un terrain.
•1880. 1er- 8 mars. Séjour à Cologne, invité par Ferdinand Hiller : « ils font véritablement ici de très fortes études musicales : je crois pourtant qu’ils sont dans le complexe jusqu’au cou. Il me paraît difficile de prédire où naîtra le prochain Génie (Mozart ou Rossini) qui “renouvellera la face de la Terre” ; jusqu’à présent, ce ne semble pas devoir être ici »… Il est impatient d’entendre la Walkyrie de Wagner.
•1881. Fatigué, il fait en avril-mai un nouveau séjour à Nieuport, « incapable de penser à l’ombre d’un travail ».
•1882. En août, il se rend au festival de Birmingham, accueilli par les Milward ; les chœurs sont magnifiques ; il invite Anna à le rejoindre, elle n’a « ABSOLUMENT RIEN à craindre quant à la W. TOUT est combiné pour ta parfaite sûreté tant au concert qu’à l’hôtel ». En septembre, séjour à Morainville. Novembre, à Anvers, pour Le Tribut de Zamora : « Grand succès hier ; salle très empoignée : j’ai bien fait de venir ». Jean fait une tournée en Hollande : « Rembrandt est son Dieu ».
•1883. 14 février, mort de Wagner : « Si j’étais Goliath, gloire à la fronde de David ! » Il attend la création d’Henry VIII de Saint-Saëns pour rejoindre Anna à Cannes : « c’est très intéressant comme musique […] La pièce est triste ; je veux dire sombre ». Finalement, il doit rester à Paris pour les répétitions de La Rédemption par la Concordia : « pour rien au monde je ne permettrai que cet ouvrage soit exposé à des inexactitudes d’expression et de mouvement ; car il repose, avant tout, sur la vérité d’accent et la justesse d’expression »… À Nieuport puis à Morainville, il remanie Sapho : « je viens d’achever 104 pages d’orchestration qui composent la 1ère partie seulement du 2d acte jusqu’à l’entrée de Glycère pour le Duo avec Pythéas : la fin de l’acte, SANS LE BALLET, me conduira à 188 pages ! » (23 juillet). « Mon travail avance, et je suis maintenant assuré de revenir avec mon 4me acte terminé. Je serre, d’aussi près que je peux, ces formes d’arrogance, de dureté, d’ironie hautaine et insolente qui composent le caractère de cette exécrable femme ! Puissé-je avoir tiré au moins ce profit là de ma douloureuse expérience et des odieux souvenirs de mon Odyssée ! »…
•1884. Le 17 juin, il va avoir 66 ans, « ce fameux double-six souverain du domino. Dire que voilà 66 ans que je tourne autour du soleil ! Que de lumière certains hommes ont emmagasiné en 66 ans ! Enfin ! Je tâcherai d’utiliser les jours qui me restent »… 4 août, il travaille à ses mémoires : « nous n’avons plus 20 ans, ma pauvre Maman-Nod, et je m’en aperçois tous les jours un peu plus pour ma part ! […] Mon travail sur ma chère mère m’intéresse beaucoup, en ce sens que c’est la forme la plus douce à mon cœur sous laquelle je puisse refaire ce que j’avais destiné d’abord à être “Mes mémoires” ; elle y occupera une plus grande place, et c’est ce dont j’avais besoin. J’en suis, maintenant, à mon arrivée en Allemagne, ce qui me fait à l’heure qu’il est, une centaine de pages, à peu près »… 3 octobre, grand succès de la reprise de Sapho, avec Mle Krauss.
•1885. Il hésite à se rendre au festival de Birmingham, pour Mors et Vita, « ne voulant pas m’exposer à tout ce que la perfidie de W. pourrait imaginer de mettre en œuvre pour troubler mon repos là-bas » (22 juin).
•1886. Bruxelles 31 janvier, il a dirigé Mors et Vita avec un très grand succès : « j’ai ressenti ton absence comme j’ai tant de fois ressenti celle de ma mère et de ton père dans des circonstances pareilles. L’exécution a été véritablement belle, de soin, d’attention ».
•1887. Bordeaux 24 mars. Il a dirigé Mors et Vita « dans une Église ! Il y a eu des moments où mon propre ouvrage m’envahissait tellement que j’oubliais qu’il était de moi ! Tu n’imagines pas les sonorités idéales que j’ai obtenues »… Reims 22 juillet. Création dans la cathédrale de la Messe à la mémoire de Jeanne d’Arc : « j’ai sous mon bâton près de 400 voix. […] La sonorité de cette belle masse vocale est excellente. Quant au Prélude du grand orgue avec la fanfare, je crois qu’il fera une grande impression »…
•1888. 15 avril, à Jean qui visite Rome :
« imbibe-toi, fût-ce inconsciemment, comme une éponge ; prends un bain d’émotions saines. Les grandes impressions de la jeunesse font sur le chemin de la vie des réapparitions merveilleuses ! C’est un viatique qui soutient dans les défaillances qui dédommagent de bien des contacts misérables et malsains. Tu vois, maintenant, que cette Italie si simple et si majestueuse est bien réellement une terre promise, une terre de peintres […] Quelle ampleur de lumière ! Quelle puissance et quel calme de tonalité ! »… 4 juillet, il fait répéter le rôle de Juliette à Mlle Darclée, qui « a vraiment une voix superbe et très maniable »… En juillet, séjour à Nieuport, dans une solitude favorable au travail : « le silence est un train express ; j’en ai eu la preuve quand j’ai écrit Roméo ; et cette fois j’aurai composé et écrit en 23 jours, cette Messe de Saint Jean qui, je l’espère du moins, surpassera les deux précédentes »…
•1889. 28 juin, à Nieuport : « cet air de la mer me fait un bien considérable ; je revis littéralement ». Pendant ce temps, Anna dirige les travaux pour la reconstruction du chalet de Montretout…
•1890. Sa santé se détériore. Morainville 27 novembre : « Trois nuits, il a fallu me faire des injections de morphine pour combattre la double et épuisante douleur de la toux et de l’insomnie ! » Mais il fait encore des projets : « La Vérité est ceci ; c’est que le vieil homme se laisse prendre, et que le nouvel homme seul se donne. Je compte m’occuper, cet hiver, de deux ouvrages ; l’un est un commentaire sur un texte de l’Écriture Sainte ; l’autre est une œuvre musicale sur un Saint illustre. Puissent la santé et la tranquillité me permettre de mener à bonne fin ces deux projets, avant d’aller, comme tu dis, rejoindre l’éternité »…
•1893. Inquiétudes à cause des mouvements sociaux. Dans la dernière lettre, écrite du Chalet Gounod à Montretout, le 7 août, Gounod se soucie de l’éducation de son petit-fils Pierre. Il meurt le 18 octobre.

—On joint environ 135 lettres familiales, la plupart dans un dossier titré par Gounod au crayon bleu : « Lettres de ma femme, de mes enfants, de Marthe, Charlotte, Thérèse, en 1871, 1872, 1873 », la plupart adressées à Gounod : 70 d’Anna Gounod (et 12 télégrammes), 9 d’Hortense Zimmerman, 24 de Jean et Jeanne à leur père (parfois tous deux ensemble), 17 de sa belle-sœur Marthe Gounod, 9 de ses nièces Charlotte et Thérèse, et d’autres membres de la famille ou de proches.
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