Description
Manuscrit, avec ratures et corrections, d’un récit paru dans Les Lettres Françaises le 21 octobre 1944, illustré par Bernard Milleret. Il présente des différences avec le texte publié. Le village peut être celui de Launoy, en Seine-et-Marne, où les parents d’Anne Desclos avaient acquis une maison avant la guerre. Les 11 premières pages du manuscrit n’ont pas été publiées : elles racontent l’arrestation d’Aimé (qui sera retrouvé torturé et assassiné) et le départ de trois gars du village pour rejoindre le maquis, alors que les allemands refluent vers le Nord et l’Est : « La belle armée allemande de 1940, qui accrochait orgueilleusement aux façades des mairies, dans les villages que l’exode et les bombardements avaient dévasté, son drapeau rouge marqué de l’araignée nazi, la voilà qui s’en retournait furtivement, aux petites heures du matin, qui se glissait par des routes détournées quand tout dormait sous la lune ». Bernard part avec dans son sac « une couverture, un chandail, un quart, un peu de ficelle, un couteau, quelques œufs : ce que prennent les scouts pour aller camper, ce qu’emportent les enfants pour aller jouer au Peau-Rouge dans les bois. Bernard a bientôt quarante ans, mais sur son visage ce soir-là, on voyait affleurer une enfance inconnue ». Au maquis, se retrouvent des gars de ferme, des réfractaires, « le charcutier, le camionneur, l’instituteur, les maçons, les gendarmes, les gens du pays et les gens d’à côté, ceux du bord de l’eau, ceux des fermes perdues sur le plateau – en tout, plus de quatre-vingts hommes ». Le récit publié commence par l’évocation des quatre années de résistance et de la nuit où les hommes se rassemblent, récupèrent des armes dans une tombe du cimetière et vont se cacher dans des grottes de marne, pendant que les Allemands passent et repassent sur les routes. Au bout de 4 jours, une équipe du maquis surprend à leur repas 3 officiers allemands qu’ils arrêtent. Une seconde expédition avec trois voitures et un camion, « avec les hommes en grappe sur les marchepieds. Tous avec leur brassard » met le village en émoi, et arrête les soldats allemands et deux miliciens : « Ils ont rejoint dans une des grottes du maquis les collaborateurs pétinistes de la première et de la dernière heure, entassés, pêle-mêle. […] Ce sont ces grottes qui donnaient au maquis un caractère inaccessible, de refuge hors du temps ». Mais les Allemands sévissent encore : à quelques kilomètres, « une vingtaine de gars avait été arrêtés dans les fermes voisines, et sauvagement battus dans la salle d’école. Malgré les fenêtres fermées, sur la place on entendait les cris, et les murs de la salle étaient ouverts de sang. Un enfant de dix-huit ans avait été fusillé. Chaque hameau pouvait être Oradour »… Un autre passage est resté inédit, décrivant l’affolement des troupes ennemies égarées sur les routes, comme du gibier qui interroge « en vain le sol et le vent. Mais les paysans savent que rien n’est dangereux comme une harde de sangliers traqués, et qui se retournent », et les femmes fabriquant avec des bouts de tissu des drapeaux aux couleurs des Alliés (p. 32 à 37 du manuscrit). On ne cueille plus les fleurs dans les jardins : on les garde pour les Américains qui arrivent un jour de tempête, faccueillis sous la pluie avec des fleurs et des larmes. Puis le chef du maquis s’installe dans le village et renseigne les officiers américains, dont les troupes vont passer la Seine, après de durs combats. La Seine franchie, « le maquis tout entier descendit au village. Le village tout entier sortit ses drapeaux […] Peu de spectacles furent plus touchants que ce défilé d’une poignée d’hommes sans uniformes, armés de mitraillettes et de fusils, et qui souriaient à leurs femmes et à leurs enfants ». Quatre d’entre eux restent à la mairie pour assurer l’intérim entre les gens de Vichy et l’administration nouvelle. Dans le manuscrit, une page décrit leur activité : trouver des provisions pour Paris, remettre en marche les batteuses, faire des enquêtes sur les collaborateurs, faire surveiller les routes, etc. Et Lucien vient annoncer la mort de son frère Aimé ; « tout finissait ainsi comme dans les légendes […] par du sang, silencieusement et secrètement versé, par des drapeaux et par des chants […] Combien de temps durera le souvenir de leur chant, combien de temps durera l’écho : Ce sont du maquis, ceux de la Résistance ».
On joint le numéro des Lettres françaises du 21 octobre 1944, avec le texte publié ; et une carte postale a.s. de l’écrivain anglais James Stern (15 juin 1939, en anglais) à Anne Desclos, regrettant qu’elle ne veuille pas éditer ses livres.