Description
fidèle, en communion dans la poésie. « Je l’ai aimée jusqu’au tombeau, sans jamais songer qu’elle était femme », écrira-t-il. Nous ne pouvons donner ici qu’un trop bref aperçu, par quelques citations, de cette riche correspondance.
Saint-Point 31 décembre 1828, remerciant Mlle Delphine Gay de l’envoi de son volume de vers [Le Dernier Jour de Pompéi], où il a ressenti « un ton de mélancolie qui était moins senti dans les premiers volumes. Est-ce que vous seriez moins heureuse ? Quand on vous a connue c’est-à-dire aimée on a le droit de s’intéresser non seulement à l’ouvrage mais plus encore à l’écrivain. […] Pour moi je suis heureux et occuppé. Mais je n’écris et surtout je n’imprime rien. Je n’ose plus. J’ai passé la veine du bonheur poétique. J’en suis à la quiétude réelle. Cela vaut mieux. Je crains de la compromettre et je ne fais quelquefois des vers que pour me parler à moi-même »... Macon 2 juillet 1829, après un mois passé à la voir souvent, « et toujours avec une admiration et une sympathie croissantes non pas seulement pour votre beau génie poétique, mais pour vos mille qualités d’esprit et d’âme qui vous feraient aimer même par ceux qui ne sauraient ni lire ni entendre »… Château de Montculot 15 septembre 1829. Ses amis l’ont dissuadé d’envoyer les vers qu’il avait composés : « Ils ont prétendu qu’ils n’étaient pas assez compassés, mesurés, rognés, limés, pour être adressés à une jeune et belle personne comme vous ; qu’on mettrait sur le compte de sentiments personnels ce qui n’était que de l’admiration poétique ; que cela ferait un mauvais effet pour vous, un pire pour moi »... Il s’interroge sur sa « destinée diplomatique »… 15 janvier 1830, il est « dans des embarras de fortune et de position », et très triste. Il compose son discours de réception à l’Académie : « J’ai écrit ces quatre jours-ci l’éloge de M. Daru. C’est détestable, comme ce qu’on écrit de commande quand on a envie de pleurer plus que d’écrire »...
Saint-Point 3 novembre 1831. Il autorise Mme de Girardin à publier les vers qu’il avait faits pour elle… Quant à la politique, « il ne faut jamais l’écrire il faut la faire en chair et en os ; […] il ne faut pour cela que deux qualités bien vulgaires justesse d’esprit et vigueur de caractère. […] j’y renonce faute d’électeurs et je me rejette pour le reste de mes jours dans l’inertie dans la poésie et dans la philosophie trois choses qui s’accordent bien entre elles »... Il songe à partir avec Eugène Sue pour le Levant à la fin de la peste et du choléra… [Février 1836], refusant d’aller aux Huguenots : « Je n’aime que le chant dans les notes. Il y a mis de l’érudition »… Macon 7 novembre 1837, sur son « abdication de Dunkerque […] Je ne suis allé à aucune élection et j’ai été nommé à trois ou quatre. Qu’on dise qu’il n’y a pas de bon sens en France quand un pauvre homme comme moi qui marche seul, qui vit en dehors des coteries, qui méprise les partis, qui ne se donne qu’à la raison et au pays a trois élections dont deux impossibles et une unanime ! Il ne faut jamais désespérer d’une idée quand elle est juste. […] J’ai fait d’immenses progrès en avocasserie. J’ai improvisé une soixantaine de harangues aux conseils généraux et aux électeurs vraiment dignes par le pathos sonore et le vide plein de mots des orateurs avocats qui nous illustrent en ce tems ci à la Chambre. Nous sommes des gens de bonne compagnie apprenant péniblement le patois. Adieu. Je fais en secret des vers par milliers depuis six semaines entre quatre heures du matin et le jour. Si les électeurs le savaient ! »... Monceaux 16 juin 1838. « Il faut laisser à la main de Dieu ce qui serait blessé par la main des hommes. La solitude et la pensée vous rendront sérénité triste et courage ferme. […] Le travail qui est la loi suprême vous soulagera aussi. Entreprenez comme moi quelque œuvre magnanime bien qu’avec la certitude de ne rien mener à terme. Qu’importe le but pourvu qu’on marche ? […] Pour moi je ne fais rien du tout que rester au lit à côté d’une fenêtre au soleil, trois lévriers sur mes pieds chauds et un livre quelconque dans ma main distraite ? Puis déjeuner, monter à cheval, rentrer, ressortir, effleurer des journaux. Voilà une délicieuse vie, pourvu que cela ne dure que quinze jours ». Mais ses finances sont désastreuses : « S’il me fallait vendre une terre, je me sentirais déraciné. Ce serait comme vendre mon père et ma mère et moi-même dans tout mon passé. Cela me rend triste quelquefois, et j’embrasse mes arbres pour qu’on ne nous sépare pas »… Hyères 10 [août 1840]. « Nous voici donc à la guerre. […] M. Thiers c’est la guerre M. Thiers c’est la fin du monde. Il faut qu’il tombe ou que nous y restions tous. Pas de milieu. Votre mari combat à merveille depuis huit jours. Bon terrain, bonnes armes, bons coups. Il a grandi de toute l’importance de la cause »…
Monceaux 19 mai 1841. « Je suis plus triste que jamais, triste de cœur, d’esprit, d’âme et d’affaires sans compter le corps. […] Je me couche à 8 heures, je me lève à 5. Je voudrais travailler. Je ne le puis pas. Je lis à peine. […] Des vers ? à vous ! Je ne vous enverrai que les plus beaux que je pourrais jamais écrire. Or ce n’est pas sous cette étoile funeste, il vous faut le rayon le plus limpide d’une nuit du mois d’août. Je le demanderai au ciel pour vous le réfléchir ». Il a reçu du poète allemand Bürger « sa Marseillaise allemande […] Je lui ai répondu par la Marseillaise de la paix »… 5 juin, sur l’agonie de M. de Pierreclos, et ses ennuis financiers… Monceaux 25 juillet. « Vous êtes triste mais vous êtes jeune. Cela passera. Moi je mûris si je ne vieillis pas encore, et les cheveux blanchissants m’avertissent que mes tristesses sont sans consolation future dans ce misérable monde mal éclairé par la Lune et mal chauffé par le Soleil. À propos de toutes nos tristesses voulez-vous savoir mon opinion comme on dit parlementairement : c’est qu’un quart d’heure d’amour vaut mieux que dix siècles de gloire, et qu’une minute de vertu, de prière, de sacrifice, d’élan enthousiaste de l’âme à Dieu vaut mieux même qu’un siècle d’amour »... Macon 10 août. « Je suis au plus mal dans mes affaires. […] il faudra peut-être me résoudre à vendre même St Point et la terre foulée des pieds de ma mère à Milly. Je cherche où je pourrai aller hors de France vivre et mourir »… Saint-Point 15 août, lettre émue sur la mort de Mme O’Donnell (sœur aînée de Delphine)…
Monceaux 23 novembre 1842, invitant Émile de Girardin à venir le voir : « Il me trouvera un peu ennuyé, un peu assoupi, un peu morose, mais l’âme est un ressort qu’il suffit de presser un peu pour qu’elle reprenne élasticité et vigueur. La mienne les prête à toute action ou à toute pensée qui lui donne l’exercice et le sentiment d’elle-même. Elle est morte un millier de fois et ressuscite toujours le troisième jour. Elle est occupée dans ce moment à compter des tonneaux dans des caves et à calculer le prix des vins. Mais elle ne demande pas mieux que de faire autre chose. Quant au corps il souffre et s’agite et languit. […] Faites-vous des vers ? J’y ai renoncé. C’est trop puéril pour le chiffre de mes années. La rime me fait rougir de honte. Sublime enfantillage dont je ne veux plus. Philosophie et Politique je ne vois plus que cela, et cela se fait en prose. Ainsi adieu sérieux non à la Poésie mais aux vers. En philosophie je prépare pour un avenir éloigné. En politique j’attends quelques événements qui en vaillent la peine. […] Je ferai l’insurrection de l’ennui ! une révolution pour secouer ce cauchemar, pour cela il faut des forces dans le pays. Attendons. En attendant consolons-nous ensemble en causant de loin et de près de ce texte inépuisable de la pensée humaine et du cœur humain où personne ne lit si bien et si fin que vous »... 4 décembre. « Je suis lyrique et non polémique. Je dis et ne discute pas. […] Non il n’est pas vrai que la politique soit de l’ambition toujours. C’est la petite qui est de l’ambition, la grande est du dévouement ! Je ne conçois que la grande. Celle-là est patiente comme l’idée qui la fait agir. […] Elle n’entre au pouvoir que quand elle sent qu’elle a une force en elle et derrière elle pour l’y pousser et l’y soutenir. Cette force ? Je ne l’ai pas encore. Je l’aurai dans quatre ou cinq ans. […] Le jour viendra de se battre, mais d’ici là on peut philosopher ou même faire mieux »... Plusieurs lettres sont relatives au poème Ressouvenir du Lac Léman pour J. Huber-Saladin.
1846. Lamartine travaille à son Histoire des Girondins. « Dites à Girardin de m’attaquer de questions sur mon discours aux électeurs. Je lui répliquerai. Son langage en effet est un peu vert mais j’aime l’âpreté dans les idées. Sa position est bonne. Son talent augmente sensiblement. Il le transformera en parole quand il voudra […] Mais l’avenir est à mes idées car je suis aux idées de Dieu. Quand dans un siècle ou deux mon Sosie sera à la tête du gouvernement populaire il s’intitulera le Serviteur du peuple. J’ai plus de foi que vous ne croyez et une bien ardente. Mais je ne la dis pas. J’ai ma lanterne sourde tournée du côté de mon cœur. Je ne laisse voir encore que le côté obscur et la fumée aux hommes du siècle. Avant de mourir je la tournerai du côté flamboyant. Mais à présent on l’éteindrait. Et on dira alors il a bien fait de consentir à passer pour ténébreux ; il aurait ébloui, offusqué et repoussé »...
6 avril 1847, après l’article de Mme de Girardin sur l’Histoire des Girondins. « Jamais je n’ai lu un si admirable article. Jamais je n’ai reçu une si courageuse et si éloquente marque d’attachement. […] Cela est entré jusqu’à la dernière fibre de mon cœur. Je suis le grand criminel du moment, pour qui votre ombre a été un asile. Je m’en souviendrai, non pas tant que j’aurai un orgueil, mais tant que j’aurai une âme. Il y en a tant dans l’acte et tant dans le morceau ! […] C’est de l’héroïsme dans le talent, dans l’éloquence, dans la grâce, dans l’amitié »... Macon 22 septembre, envoyant un discours prononcé à une réunion agricole à Macon : « Tout le monde a pleuré ». À Marseille et partout, il a été reçu « comme un être amphibie entre les dieux d’autrefois et l’homme, un personnage mithologique. La foule s’attache de plus en plus à mes pas, mais je ne fais pas de miracles. Je m’ennuye et la France aussi. Ce pays-ci veut des idoles et ne veut pas d’hommes d’état »…
1848. [Mars ?]. Il se plaint de l’opposition de Girardin : « Dès que le pouvoir de la République sera créé et soutenu régulièrement l’opposition ne s’effarouchera plus. Mais à présent au dedans comme au dehors la colère ne vaut rien. […] Bonne volonté de tous pendant 17 jours encore et tout sera sauvé »… – « Nous sommes dans une si forte crise d’affaires ce soir et toute la nuit que nous ne pourrons pas nous voir ce soir. Les mots la révolution du ridicule et vous faites regretter M. Guizot sont iniques et font beaucoup de mal. Tout va divinement hors un seul point. Mais rien ne dépassera notre patriotisme »… Etc.