Lot n° 289

Jean de TINAN (1874-1898). 14 L.A.S., 1895-1898, à Pierre Louÿs ; 35 pages in-8 ou in-4, enveloppes. Très belle correspondance, amicale et littéraire, à Pierre Louÿs, parlant aussi de leurs maîtresses.
1895. – 29 septembre. Il vient de...

Estimation : 2500 - 3000
Adjudication : Invendu
Description
lire la 3e livraison de L’Esclavage de Louÿs, et dit son admiration au « pur poète »… Il ajoute : « Pourquoi avoir le choléra, quelle sottise – pourquoi boire d’autre eau que de l’eau d’Évian (selon Monsieur Mallarmé) ! » Il est « muni d’une petite Bérénice d’amour que je vais adorer pendant au moins deux lunes. […] À la dédicace que je t’ai donnée manque encore le volume qu’elle ornerait. Tu es incapable, n’est-ce pas, de m’en vouloir de ce détail de négligence, d’ailleurs... Je suis tout à fait décidé à travailler très sérieusement cet hiver (ça – c’est ce que MOI et Wagner nous appelons un lettre-motive). Dans le fait j’ai écrit 250 pages d’un roman [L’Insatisfait] mais je veux le refaire autrement – ça ressemblait trop, comme composition, à une horrible cacographie de chez Lemerre – ça avait l’air de quelque chose de déjà mâché, les épreuves m’auraient fait mal au cœur – j’aime mieux essayer de recommencer avec les mêmes détails et les mêmes spsychoses. Donc patience – cher et aimé dédicataire »... – Mardi [3 décembre]. Dispute avec André Lebey (au sujet d’une femme) : « Je suis persuadé qu’il ne s’est pas plus rendu compte de sa mauvaise foi et de son insupportable conduite de tout à l’heure qu’il ne s’était rendu compte de l’étrangeté de son attitude d’hier soir – mais comme je l’aime beaucoup trop pour que ces choses-là ne me fassent pas beaucoup souffrir, je préfère, en ne conservant avec lui que des relations de rencontre, éviter que d’autres aigreurs et d’autres froissements ne viennent ternir le souvenir qu’il me plaît de conserver meilleur d’un des êtres que j’ai certainement le plus aimés. Je te demande pardon de t’ennuyer de mes chagrins, mais j’en ai vraiment trop gros sur le cœur pour ne pas le dire à quelqu’un »…
1896. – 10 février. Au sujet de la revue Le Centaure. « Nous avons fondé une revue de jeunes gens à rédaction fermée, puis, désireux de compter parmi nous deux amis dont le caractère et le talent nous étaient particulièrement sympathiques nous les avons priés de se joindre à nous. Aujourd’hui on songe à en prier un troisième [Viélé-Griffin]. Je ne suis pas d’avis qu’il faille le faire. Deux choses sont je crois néfastes à des littérateurs qui débutent : la politesse et la faiblesse. L’exemple de nos aînés nous enseigne que c’est seulement par une intransigeance très active que nous pourrons obtenir un résultat. Je suis persuadé que c’est par des compromissions sans plus d’importance apparente que celle que l’on nous propose qu’ils ont manqué à tirer tout le parti qu’il fallait des admirables dons que nous aimons chez plusieurs d’entre eux. Je crois que nous sommes tous les quatre : Albert Lebey toi et moi d’accord sur ce point : nous n’aimons pas le talent de Francis Vielé-Griffin. Que ce soit une question d’Esthétique générale ou d’exécution et de genre de talent personnelles peu importe. C’est un fait. […] Nous sommes amis tous (ou presque) à la revue, tant mieux ; mais en collaboration les amis de nos amis ne sont pas nos amis »… – Montigny sur Loing 26 février. Il l’invite à le rejoindre : « (Amène Chrysis pour chauffer ton lit.) Nota bene. […] Mon collage prenant fin lundi ou mardi tu me serais très utile (sinon pour chauffer mon lit) au moins pour m’empêcher de m’emmerder dans la journée. – Belles promenades ! Paysages grandioses ! Prix modérés ! Matelottes et fritures ! Vins à discrétion ! […] Je fais du d’Annunzio plus d’Annunzio que Nature. J’ai achevé hier soir un chapitre “Pourquoi m’as-tu aimée ?” qui est tout à fait pur. Je fonde à moi tout seul le NéoAnnunziorisme. Il a plagié Péladan ! Je plagierai Jules Bois ! Blague à part mon roman [Penses-tu réussir !] est incontestablement une des deux ou trois œuvres vraiment humaines intenses et vibrantes qui aient été écrites depuis vingt-cinq siècles. Une langue particulièrement riche souple et sensuellement nuancée met dans tout leur relief les nobles et belles pensées les géniales images qui coulent blenhorragiquement de ma plume. Je peux dès à présent me considérer comme le maître incontestable et incontesté du roman contemporain et l’on est en droit d’espérer plus que du génie de celui qui si jeune a su effleurer de son aile puissante les cimes les plus neigeuses de la sensibilité et de la pensée humaine »... – Samedi [29 février]. « Jeanne m’a quitté plus tôt que je ne pensais sans faire à ma générosité l’appel auquel je m’attendais. – J’avais à choisir entre mon amour.r.r.r. qui me disait “retiens-la” et ma bourse qui soufflait : “Elle t’a dit : je voudrais bien rester, mais tu comprends, je dois plus de deux cents francs”. J’ai cru de mon devoir de ne pas entraver la liberté du travail. D’ailleurs – ô grand psychologue — tu l’as dit (tout au moins tu as l’intention de le dire) Quelle femme, au bout de trois jours ne vous emmerde pas. Elle est restée cinq ou six jours la clochette n’a pas tinté. Ici, bonne vie pour ne pas perdre les bonnes habitudes on va vadrouiller à 2 h. du matin à 10 kils. dans la forêt, avec des fioles dans ses poches » – Vendredi [6 mars] : « ta lettre m’a égayé, et j’en avais fort besoin. Lucie, avec un y : Lucy m’est apparue sous un jour tout nouveau et je déplore que pour toi ç’ait été un jour de souffrance. Je lui avais toujours trouvé un petit air garçonnet qui m’en éloignait : “Vérité en deçà des Périnées erreur au-delà” mais avec l’y il n’y a rien plus rien à dire. Trouves un moyen d’aquilinoser le little nose et je l’épouse pour trois heures. J’ai ici une vie délicieuse, n’étaient tous les embêtements qui arrivent par courrier et le vague remords de ne rien foutre. Hier nous avons été à travers toute la forêt à pied jusqu’à Fontainebleau où nous avons visité le bar anglais – nous sommes revenus avec des bouteilles ,et vers minuit on avait décidé que l’american whisky était très supérieur au scotch whisky et à l’irish whisky »… – 11 mai (à en-tête de la revue Le Centaure). « Lorsqu’il a semblé convenu que lorsque l’un de nous s’intéressait plus ou moins à une femme du Quartier les autres avaient le droit de la lui faire. J’ai simplement renoncé, et je m’en trouve bien, à prendre des femmes au Quartier. D’ailleurs ces femmes, on les payait plus ou moins et l’opinion pouvait être fondée. Mais lorsque, après m’être occupé depuis plus d’un mois d’une petite fille gentille, avec l’espoir d’en faire peut-être une maîtresse provisoirement définitive aussitôt que mes fonds le permettront, un de mes plus chers amis, ne s’apercevant pas de la très grande différence que je fais entre celle-là qui “existe” et les anciennes qui “avaient lieu” propose à mon amie, après une soirée passée ensemble et tandis que je suis éloigné pour un instant, d’aller avec lui en ajoutant qu’il a mon autorisation j’en suis très ennuyé »… – [Jumièges 26 juillet]. « Si mon ami Louÿs croit, parce que je ne lui ai pas écrit, que je l’ai oublié, il se trompe. Mais, du travail, un peu de maladie, du gros chagrin à la mort d’une amie dont je lui ai parlé – Phanette – tout cela a fait que je n’ai écrit à personne. Il ne m’en voudra pas. […] C’est une piètre existence que celle que mon désargentement me fait traîner entre les quatre murs de ce parc, mais au moins j’y entasse de la besogne. Mon roman Penses-tu réussir ne sera pas fini avant 97 mais il sera bien avancé au 15 Octobre – et je rapporterai aussi un paquet de ces petites nouvelles fantaisies pleines de grâce et essais pleins de paradoxes dont on a besoin tout le long de l’année et qu’il est précieux de n’avoir qu’à retaper au dernier moment. En somme étant donné que j’ai aussi fini le roman que tu sais [Maîtresse d’esthètes, qui sera signé par Willy] je crois que je commence à ne plus être paresseux »... – 14 août. « ton ami Tinan s’emmerde. Ce séjour à Jumièges, avec les nouvelles qui l’ont agrémenté, la privation de l’actuel “objet aimé” et l’énervement d’un travail continu et sans aucune distraction comptera parmi les époques que je ferai valoir comme “cas de dispense” au suprême conseil de Revi[sion] que nous promet l’Apocalypse – J’ m’exprime bien – hein ! Ah la la ! Et tout de même je ne rapporterai pas grand chose... si je reviens à Paris comme j’espère au 15 Sept. Penses-tu réussir sera loin d’être terminé. Mon plus bel espoir est d’écrire “Fin” avant mes 23 ans c.à.d. avant le 19 janvier par contre j’ai beaucoup travaillé beaucoup lu beaucoup noté, je me suis beaucoup rendu compte je ne suis pas du tout mécontent de moi. Et puis ce gros chagrin de Phanette m’a fait comprendre mieux, il me semble, un tas de choses, j’ai été comme abasourdi, et je me suis réveillé de cela comme revenant de je ne sais quel voyage... et puis (je ne suis pas très fier de ce que je vais t’avouer là) en même temps je sentais ma vie débarrassée d’une vague terreur de faire des bêtises de grosses irréparables bêtises – libre de ce pressentiment très pénible que j’avais que “cette histoire-là finirait mal” – elle est finie... j’aurais été un peu aimé une fois dans ma vie sans que cela devienne laid ensuite – c’est pas déjà si commun »... – [24 août].(Louÿs est à Séville). « N’épouse pas une vieille putain pour de l’argent avant que Penses-tu réussir ! ne soit paru, je t’en supplie ». Il parlera dans sa chronique du Centaure de Jean Lorrain : « Je considérerai sa “personnalité” sous un triple aspect (Faes triplex) Considéré comme plagiaire de Régnier et de Laforgue. Considéré comme plagiaire de Liane de Pougy. Considéré comme réceptacle. Il ne sera pas mécontent »… – 11 septembre (à en-tête de la revue Pan). « Albert m’offre de ta part de fortes sommes pour... (oui) avec une jeune personne nommée Blanche. Mais comme il n’a pas encore pu me la montrer... D’ailleurs – je me veux vierge ! » Il demande de la copie pour Le Centaure, pour lequel Paul Valéry a « envoyé quelque chose de bien curieux [La Soirée avec M. Teste] – qq. ch. d’un peu Edgar Poesque à la fin mais dans tout le début duquel il y a un emploi d’expressions mathématiques tout à fait intéressant »… – Du Chat Noir [23 octobre]. Il se moque de Brunetière et de sa brochure, La Moralité de la doctrine évolutive. Il parle de Rodolphe Salis et de Léon-Paul Fargue. Il a rencontré Debussy…
– Lundi [25 janvier 1897]. Nouvelles de Paris (Louÿs est à Alger) : « Je t’apprendrai que c’est la Place Blanche qui a maintenant l’honneur de nous voir régulièrement à des heures tardives et matinales. Que j’ai depuis trois jours une nouvelle petite Jeanne ananke d’un “bébête adoré” comme dit M. de Montesquiou. Je suis en outre en correspondance préparatoire avec une dame très bien fort “éprise” de moi sur échantillon littéraire... ne penses-tu pas qu’elle pourrait bien être vieilletlaide. Et-z-en outre je me suis remis à aller un peu dans “le monde” et à me ramuser aux genres de flirts qui ne m’amusaient plus il y a deux ans. J’ai assez peu de suite dans les sensations. Et voilllla ». Il a relu Aphrodite… « J’irai bien te retrouver tout de même – si, en dehors même des questions budgétaires, je ne voulais travailler à mon livre (qui me donne du mal) à mes moments trouvés. Je refais chaque chapitre trois fois pour garder la première version, c’est une méthode de travail un peu longuette. Tout de même cela sera présenté au Mercure dans une dizaine de nuits et tu seras le premier averti du résultat – fort douteux je crois »…
– 1er mai [1898]. « (Fête du Travail !!!) […] M. J. de Tinan n’attend que le retour de M. Pierre Louÿs pour avoir l’intention de travailler »…
On joint 3 enveloppes dans lesquelles Louÿs avait classé (avec l’année marquée au crayon bleu) les lettres de Tinan.
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