Lot n° 18

Manuscrit à Peintures. - Psautier. [Arras, vers 1320].

Estimation : 200.000/300.000
Adjudication : 470 000 €
Description
186 ff. de parchemin, 192 x 142 mm, 24 cahiers dont 23 de 8 ff. chacun et le dernier de 2 ff., le cahier n° 8 étant un cahier de 6 avec 2 ff. ajoutés, signatures postérieures en chiffres romain à l’encre en bas à droite du verso du dernier f. de chaque cahier, justification de 116 x 78 mm, à 18 longues lignes en écriture textura, f. 185v° blanc, encre brune, nombreuses lignes plus pâles repassées à l’encre noire, une prière ajoutée d’une main postérieure au f. 186 r°. Reliure en maroquin rouge avec dos à larges nerfs, ornée de motifs mosaïqués polychromes, dorés, argentés et à froid, aux petits fers et petites plaques, coupes guillochées, roulette intérieure dorée, doublures de papier marbré vert, doubles gardes de papier marbré vert et de peau de vélin. Première page frottée, 3 feuillets avec découpures marginales anciennes dont une anciennement restaurée (f. 79) et une atteignant l’enluminure (f. 1), une tache au f. 58 r° atteignant l’enluminure ; petite déchirure sans manque dans la marge intérieure du f. 148. TRÈS PRÉCIEUX PSAUTIER ENLUMINÉ RECELANT DE RARES PARTICULARITÉS ICONOGRAPHIQUES. IL SAVÈRE EXCEPTIONNELLEMENT RICHE EN CURIOSITÉS ET DRÔLERIES MARGINALES ILLUSTRANT NOTAMMENT LA VIE DE COUR .TEXTE PSAUTIER, ff. 1 r°-149 r°. CANTIQUES BIBLIQUES, HYMNES ET PROFESSION DE FOI, ff. 149 r°-164 r°. - « Confitebor tibi Domine quiam iratus es michi » (Isaïe 12, 1-6), ff. 149 r°-149 v°. - « Ego dixi in dimidio dierum meorum » (Isaïe 38, 10-20) ff. 149 v°-150 v°. - « Exultavit cor meum in Domino » (I Samuel 2, 1-10), f. 150 v°-151 v°. - « Cantemus Domino gloriose enim » (Exode, 15, 1-19), ff. 151 v°-153 r°. - « Domine audivi auditionem tuam » (Habacuc, 3, 2-19), ff. 153 r°-154 v°. - « Audite celi que loquar » (Deutéronome, 32, 1-43), ff. 154 v°-158 v°. - « Benedicite omnia opera Domin[i] suo » (Daniel, 3, 57-88), ff. 158 v°-159 v°. - « Te Deum laudamus » (hymne), ff. 159 v°-160 v°. - « Benedictus Dominus Deus Israel » (Luc 1, 68-79), ff. 160 v°-161 r°. - « Magnificat anima me Dominum » (Luc 1, 46-55), ff. 161 r°-161 v° - « Nunc dimittis servum tuum Domine » (Luc 2, 29-32), ff. 161 v°-162 r°. - « Quicumque vult salvus esse » (profession de foi de saint Athanase), ff. 162 r°-164 r°. PRIÈRES POUR LA RECOMMANDATION DE LÂME, ff. 164 v°-169 r°. OFFICE DES MORTS, ff. 169 v°-186 r°. L’absence de calendrier et de litanies des saints ne permet pas d’en déterminer l’usage local. ENLUMINURE DOUZE MAGNIFIQUES LETTRINES HISTORIÉES, DUNE GRANDE FINESSE DEXÉCUTION, formées chacune d’une scène inscrite dans un retable architecturé doré, le tout brochant sur l’initiale elle-même, celle-ci tracée finement avec entrelacs ajourés. CETTE ÉLÉGANTE DISPOSITION OÙ LA LETTRE SE TROUVE RELÉGUÉE AU SECOND PLAN EST PEU COMMUNE. Dans le psautier proprement dit, la suite de lettrines historiées est composée selon le cinquième système défini par l’abbé Leroquais, c’est-à-dire qu’elle combine la division tripartite (trois séries arbitraires de cinquante psaumes) et la division fériale (sept séries de psaumes, pour les sept « féries » ou jours de la semaine non festifs), le début de chaque division étant pourvue d’une illustration. À quoi s’ajoutent, à la suite du psautier, deux autres initiales historiées, l’une pour marquer le début des prières pour la recommandation de l’âme des agonisants, et l’autre pour indiquer le début de l’o ce des morts. - A. DAVID ET GOLIATH, et DAVID JOUANT DE LA HARPE (f. 1 r°, 12 lignes, 108 x 85 mm), avec six anges musiciens, dans l’initiale du premier psaume, « Beatus vir qui non abiit in consilio impiorum », « Heureux, l’homme qui ne s’écarte pas sur le conseil des impies ». - B. DAVID DÉSIGNANT SES YEUX (f. 23 r°, 11 lignes, 70 x 75 mm), dans l’initiale du psaume 26 (27), « Dominus illuminatio mea, et salus mea, quem timebo ? », « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui craindrai-je ? ». - C. DAVID DÉSIGNANT SA BOUCHE (f. 37 v°, 6 lignes, 40 x 59 mm), dans l’initiale du psaume 38 (39), « Dixi custodiam vias meas, ut non delinquam in lingua mea », « J’ai dit : je veillerai sur mes paroles, pour ne pas pécher par la langue ». - D. DAVID ET LE DIABLE (f. 50 v°, 10 lignes, 64 x 64 mm), dans l’initiale du psaume 51 (52), « Quid gloriaris in malicia : qui potens es iniquitate », « Pourquoi te glorifies-tu du mal, toi qui est puissant par ton iniquité ? ». David est représenté avec des verges, dans la position du maître enseignant. Reproduction en couverture. - E. L’INSENSÉ DÉFIANT DIEU (f. 51 v°, 10 lignes, 85 x 68 mm), dans l’initiale du psaume 52 (53), « Dixit insipiens in corde suo non est Deus », « L’insensé dit en son cœur : il n’est pas de Dieu ». L’insensé est représenté habillé d’une tenue bigarrée à grelots, tenant une marotte, se désignant la tête, et debout devant le Seigneur. - F. DAVID DANS LES EAUX DU DÉSESPOIR (f. 64 v°, 9 lignes, 57 x 55 mm), dans l’initiale du psaume 68 (69) : « Salvum me fac Deus quoniam intraverunt aque : usque ad animam meam. Infixus sum in limo profundi : & non est substantia » (« Sauve-moi, Dieu, car les eaux ont pénétré jusqu’à mon âme. Je suis enfoncé dans le limon des profondeurs, et je n’ai pas d’appui »). David est représenté nu, les mains jointes, enterré jusqu’à la taille dans un abîme au centre d’un lieu fleuri avec animaux (dont un lapin au terrier), tandis que Dieu, émergeant à mi-corps d’une nuée le bénit d’une main et porte le globe de l’autre main. Les deux registres de la scène sont séparés par l’entrelacs de la lettre. LA REPRÉSENTATION DE DAVID ENTERRÉ - ET NON IMMERGÉ - CORRESPOND ICI À UNE INTERPRÉTATION ICONOGRAPHIQUE RARISSIME ET PEUT -ÊTRE UNIQUE DANS LILLUSTRATION DE CE PSAUME. - G. DAVID JOUANT DES CLOCHETTES (f. 81 v°, 7 lignes, 44 x 60 mm), dans l’initiale du psaume 80 (81) : « Exultate Deo adjutori nostro : jubilate Deo Jacob », « Louez allègrement Dieu notre soutien, criez de joie en l’honneur du Dieu de Jacob ». - H. TROIS CHANTRES (f. 97 v°, 10 lignes, 87 x 57 mm), dans l’initiale du psaume 97 (98) : « Cantate Domino canticum novum : quia mirabilia fecit », « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, car il a fait des merveilles ». - I. DAVID EN PRIÈRE (f. 99 v°, 9 lignes, 67 x 64 mm), dans l’initiale du psaume 101 (102) : « Domine exaudi orationem meam & clamor meus ad te veniat », « Seigneur, entends ma prière et que mon cri te parvienne ». - J. TRINITÉ (f. 114 v°, 10 lignes, 67 x 76 mm), dans l’initiale du psaume 109 (110) : « Dixit Dominus domino meo sede a dextris meis » : « Le Seigneur a dit à mon seigneur : assieds-toi à ma droite ». - K. VEILLÉE FUNÈBRE (f. 164 v°, 4 lignes avec large débord en marge, 52 x 50 mm), à l’intérieur et à côté de l’initiale du répons ouvrant la recommandation de l’âme du défunt, « Subvenite sancti Dei occurrite angeli Domini suscipientes animam ejus offerentes eam in conspectu altissimi », « Venez en aide, saints de Dieu, accourez, anges du Seigneur, recueillant son âme, la présentant au regard du Très-Haut. » Dans l’initiale, une vue du cercueil recouvert d’un poêle brodé et flanqué de deux cierges ; dans le retable adjacent, une orante agenouillée tenant un livre à la main sur lequel se lit un passage du Credo (« in Deum »). - L. OFFICE DES MORTS (f. 169 v°, 10 lignes avec débord en marge, 90 x 72 mm), dans l’initiale de l’antienne « Placebo Domino », « Je plairai au Seigneur ». Derrière un autel avec cierges et goupillon, deux laïques, un chanoine chantant, couvert de l’aumusse, tenant un livre ouvert, et peut-être un enfant de chœur. L’ENLUMINURE COMPREND ÉGALEMENT : - PRÈS DE 200 GRANDES INITIALES ORNÉES (2 lignes pour la plupart, avec quelques « I » développés sur 7 à 9 lignes entièrement dans l’encadrement), à chaque début de psaumes et aux grandes articulations des parties suivant le psautier proprement dit. Parmi ces initiales, 10 comportent le dessin d’un VISAGE (ff. 42 r°, 45 r°, 52 r°,95 v°, 139 r°, 168 v°, 169 r°, 171 v°, 173 v°, 185 v°), et 21 une REPRÉSENTATION HÉRALDIQUE. - PRÈS DE 200 ENCADREMENTS MARGINAUX CHAMPIS ET VIGNETÉS prolongeant les initiales ornées, avec souvent un ou deux côtés formés d’une tige végétale vignetée. - De très nombreuses initiales champies (une ligne). - De très nombreux bouts de lignes polychromes sur fond or. - DE SUPERBES ET TRÈS NOMBREUSES DRÔLERIES MARGINALES dont 141 « bas de pages » et des ornements accompagnant tous les encadrements. Elles comprennent ici des hommes et femmes (essentiellement dans les scènes des bas de pages), des anges (f. 1 r°), des diables (f. 147 r°, 169 v°), des animaux et des monstres hybrides. HOMMES ET FEMMES, NOTAMMENT DANS DES SCÈNES ÉVOQUANT LUNIVERS COURTOIS : joueurs de BALLE (f. 59 v°), joueurs de BOULES (f. 58 r°), joueurs d’ÉCHECS (f. 61 r°, cf. Randall, Images, n° 102, psautier probablement picard de la fin du XIIIe siècle avec mention manuscrite « monseigneur Jehan de Lens »), joueurs de QUILLES (ff. 23 r°, 81 v°, 99 v°, cf. Randall, Images, n° 104, psautier de Louis le Hutin, Tournai, 1315). Une représentation du JEU DE « LA GRENOUILLE » (f. 57 r°, cf. Randal, Images, n° 206 à 210) : un joueur joue le rôle de la grenouille, assis en tailleur, tandis que les autres dansent autour de lui en le frappant ou en lui tirant les cheveux ; la grenouille est délivrée si elle arrive, sans décroiser les jambes, à se saisir d’un des autres joueurs, lequel doit faire à son tour la grenouille. Une représentation du JEU DE « HAUTES COQUILLES » (f. 48 r°, cf. Randall, « Frog in the middle », p. 270 et reproduction p. 272) : apparenté à « la grenouille » ou « la main chaude », « hautes coquilles » se joue autour d’une personne assise ou agenouillée qui se cache le visage dans le giron d’un autre joueur assis : cette personne doit essayer d’identifier sans les voir les autres participants qui viennent le frapper, et laisse sa place à celui qu’il réussit à nommer. Une représentation d’une LUTTE entre deux couples, les femmes juchées sur les épaules des hommes (f. 60 r°, cf. Randall, Images, n° 272, près d’une scène de morts ressuscitant au Jugement dernier). Représentation d’une scène de CAPTURE DOISEAU (f. 64 v°) par deux femmes usant d’un piège avec appelant en cage. Représentation d’une SCÈNE AMOUREUSE (f. 132 r°) : près d’un arbre, un homme agenouillé les mains jointes devant une femme, laquelle tient dans ses bras un chien de compagnie... les petits animaux à fourrure désignant fréquemment, par euphémisme, les organes sexuels. Également : deux hommes nus tentant d’attraper un papillon avec leur robe (f. 16 v°, cf. Randall, Images, n° 342 et 343), un homme dressant un chien (f. 95 r°), un homme nu s’aspergeant de liquide (f. 126 v°), un jongleur faisant tourner un plat avec des bâtons (f. 15 v°), deux femmes joutant à cheval (f. 114 v°), un moine et un diable combattant armés chacun d’une massue et d’un bouclier en forme de cœur (f. 147 r°), SCÈNES ANIMALIÈRES, DONT DES SINGERIES : singe donnant un ordre à trois congénères (f. 6 r°), singe pêchant avec un chat derrière lui qui essaye de lui voler le poisson de son panier (f. 59 r°, cf. Randall, Images, n° 44, 45, 47), singes à l’école f. 62 r° (cf. Randall, Images, n° 634 à 637, 639), chien faisant danser un lapin au son d’un tambour (f. 3 r°), chien ou lapin armé d’une lance et d’un bouclier combattant un monstre hybride (ff. 8 r°, 129 v°, 146 r°), chien poursuivant un lapin (f. 31 v°), chien et lapin joutant à pied (f. 127 v°), lapin jouant du tambour devant un chien habillé en franciscain (f. 41 r°), oiseaux, écureuil, papillons, lion, etc. MONSTRES HYBRIDES, anthropomorphes ou purement zoomorphes : évêque (ff. 10 v°, 80 v°, 96 v°), chanoine portant l’aumusse (ff. 114 v°, 124 v°), moine (f. 164 v°), moniales dont une abbesse (ff. 96 v°, 147 v°, 164 v°), roi (130 r°, 147 v°), personnage buvant à un tonneau (f. 30 r°), personnage tenant une fiole, sans doute un médecin (ff. 55 v°, f. 73 v°, f. 90 v°, f. 99 r°, cf. Randall, Images, n° 561), personnage chassant un lapin et sou ant dans une trompe (f. 83 r°), personnages joutant à pied (f. 51 v°), personnage jonglant avec deux balles (f. 127 r°), personnage jouant à la balle avec un bâton (f. 96 v°), personnage lisant ou chantant (ff. 4 r°, 95 v°, 114 v°), centaure décochant une flèche (f. 123 r°), sirène (88 r°, 92 v°, 125 r°), etc. TRÈS NOMBREUSES REPRÉSENTATIONS DE MUSICIENS JOUANT DE TOUTES SORTES DINSTRUMENTS, hommes et femmes, anges, animaux, et surtout monstres hybrides : f. 1 r°, 2 r°, 5 v°, 12 v°, 25 r°, 37 v°, 42 r°, 46 v°, 50 v°, 54 r°, 73 r°, 81 v°, 84 r°, 85 v°, 92 r°, 93 v°, 97 v°, 101 r°, 102 v°, 121 r°, 121 v°, 122 r°, 122 v°, 124 r°, 124 v°, 125 v°, 126 r°, 128 r°, 147 v°, 148 v°, 169 v°. L’ART DES MARGES : appelées au Moyen Âge des « drôleries », des « fables », des « curiosités », des « singeries » (babuini), ou encore des « fatrasies », en référence à un genre de poésie comique, ces images envahissent les marges des manuscrits peu après le milieu du XIIIe siècle, notamment dans les régions franco-flamandes. Leur mode connaît son apogée dans le premier quart du XIVe siècle, où les artistes brillèrent par leur capacité à combiner des motifs traditionnels de manière neuve et provocante, avant de se figer dans le stéréotype. Le développement de ces marginalia est principalement à mettre en rapport avec une demande plus forte de livres dans les milieux laïques, les manuscrits les plus fréquemment ornés de drôleries marginales étant destinés à la dévotion privée, bibles, bréviaires, psautiers, livres d’heures. Le Moyen Âge avait une propension à faire contraster le sérieux et le comique, sans toutefois dépasser la simple juxtaposition. Dans cette société hiérarchisée sensible aux désordres et aux déplacements, les marges géographiques, sociales et naturelles prenaient une grande importance que l’on discerne dans le folklore, dans la littérature du « monde renversé » des fabliaux, dans les exempla des sermons, ou dans les illustrations marginales des manuscrits. Remarquables par leurs effets comiques distordant la réalité et osant l’anticléricalisme près des textes sacrés, ces images ont cependant pour fonction de renforcer les modèles mêmes contre lesquels elles se dressent : « l’art des marges trahit tout à la fois une angoisse de la classification et un souci de ne rien signifier afin que le centre puisse être le lieu du sens » (Camille, p. 69). DEUX MAINS DISTINCTES SEMBLENT ALTERNER DANS LE PRÉSENT TRAVAIL DENLUMINURE, sur un même programme iconographique, avec des traits préparatoires recouverts ou effacés dans les « bas de page » qui suggèrent sans doute une composition d’ensemble par un seul artiste. Les changements de main correspondent à des changements de cahiers. Le premier enlumineur, au style puissant, occupe la page de manière plus compacte, trace des traits noirs plus gras pour des éléments de plus gros module, peint des encadrements plus épais, plus rigides et généralement fermés, avec des vignettes plus courtes, moins fournies de feuilles, et des bouts de lignes dépassant la taille des lettres du texte. Cet enlumineur a, semble-t-il, travaillé sur les cahiers 1 à 5, 9, 12, 14 à 16, 19, 20 et 22 à 24, soit les ff. 1 à 40, 65 à 72, 89 à 96, 105 à 128, 145 à 160 et 169 à 186. Le second enlumineur, au style plus délicat et gracieux, plus virtuose aussi, notamment dans les détails anatomiques, occupe la page de manière plus aérée, trace des traits noirs plus fins pour des éléments de module plus petit, peint des encadrements plus étroits où les tiges végétales sont plus fréquentes, plus souples, s’écartant plus volontiers de la ligne droite, avec des bouts de lignes accordées à la hauteur des lettres du texte. Cet enlumineur a, semble-t-il, travaillé sur les cahiers 6 à 8, 10, 11, 13, 17, 18 et 21, soit les ff. 41 à 64, 73 à 88, 97 à 104, 129 à 144 et 161 à 168. UN MAGNIFIQUE EXEMPLE DU STYLE DE LA RÉGION D’ARRAS. Cette région, connue pour des commandes de la comtesse Mahaut d’Artois et du comte de Dammartin, s’assura vers 1300 une place importante dans la production du livre, bien documentée d’après les archives. Le présent psautier se rattache plus particulièrement au style du Roman de la Manekine, manuscrit enluminé à Arras vers 1300 (Paris, BnF. fr. 1588), étudié par Alison Stones. Ce style, qui fleurit dans les années 1270 à environ 1315, se distingue par des architectures gothiques et de nombreuses drôleries marginales. Notre psautier présente notamment des similitudes marquées avec le manuscrit connu le plus récent du groupe de ce style : le livre d’heures à l’usage d’Arras actuellement conservé à Baltimore (W. 104), dont les écus indiquent qu’il fut réalisé pour le mariage en 1315 de Jean de Flandre et Béatrice de Châtillon de Saint- Pol. L’assistant du peintre de ce manuscrit a également peint deux psautiers-livres d’heures. Les mains semblent ici un peu différentes des manuscrits étudiés par Alison Stones, les figures étant moins allongées et les visages plus ronds. COMMANDITAIRE MANUSCRIT PROBABLEMENT COMMANDÉ PAR ISABELLE DE LENS, ÉPOUSE DU GOUVERNEUR DE L’ARTOIS : au f. 164 v° se trouvent conjointement une représentation de femme en prière dans l’initiale historiée - très certainement la mécène -, et des armoiries dans une autre initiale située immédiatement en dessous. Ces armoiries, écartelées d’or et de sable, se retrouvent également aux ff. 45 r°, 98 r°, 118 v° (dans une initiale, avec interversion des couleurs), 132 v° et 146 r° (sur le lapin). Elles furent portées par les châtelains de Lens jusqu’à l’époque moderne : d’abord la famille de Lens, puis celle de Recourt au début du XIVe siècle, alliée au début du XVe siècle aux Licques (Popoff, n° 118 ; d’Hozier). Une Isabelle de Lens devint, « par la mort de ses frères, l’héritière de la châtellenie de Lens, dame de Chocques & de Camblain [et] porta, vers l’an 1300, la châtellenie de Lens, les terres de Chocques & de Camblain, dans la maison de Recourt, par son mariage avec Philippe de Recourt, sieur de La Comté, gouverneur du pays d’Artois, lequel conjointement avec ladite Isabelle de Lens, firent échange en l’année 1312, de leur châtel & seigneurie de Chocques avec dame Mahaut, comtesse d’Artois » (Recourt Du Sart, p. 7). LE PRÉSENT PSAUTIER CONTIENT DE NOMBREUSES AUTRES REPRÉSENTATIONS HÉRALDIQUES, peintes dans ses marges et ses initiales. Leur identification précise et assurée s’avère souvent délicate, mais des attributions plausibles se rapportent principalement à des familles de Picardie, d’Artois, de Flandre et de Hainaut. Les armoiries aux occurrences les plus fréquentes sont celles des familles de Landas, de Créquy et de Brimeu : - LANDAS : parti émanché d’argent et de gueules de 5 pièces, ff. 1 r° (dans le tabernacle de l’initiale historiée), 36 v° (dans une initiale), 45 r°, 118 r° (dans une initiale), 126 r° (dans une initiale), 132 r° (dans une initiale). Armoiries portées entre autres par la famille de Landas (Roger, p. 321). - CRÉQUY : d’or au créquier de gueules, f. 8 r°, 18 r° (dans une initiale), 45 v°, 51 v° (sur l’hybride), 114 v°, 127 v° (sur l’écu du chien), 131 r°, 132 v° (timbrées sur le tout de deux crosses adossées placées en pal), 147 r° (sur l’écu du diable). Armoiries portées entre autres par la famille de Créquy (Roger, p. 292). Enguerrand de Créquy fut évêque de Thérouanne de 1301 à 1330. - BRIMEU : d’argent à 3 aigles de gueules, parfois armées et lampassées d’azur, ff. 20 r° (dans une initiale), 45 v°, 79 v°, 97 v° (dans le décor du tabernacle de l’initiale historiée et sur le chien en marge), 118 v° (dans une initiale), 132 v°, 135 v°, 136 r°, 147 r° (sur l’écu du moine), 149 r° (dans une initiale). Armoiries portées par la famille de Brimeu (Roger, p. 229, et Grand armorial de la Toison d’or manuscrit conservé à la BnF). - NEUVILLE : d’or fretté de gueules à un franc-canton du même, f. 33 r° (dans l’initiale), 130 v°, 146 v° (dans une initiale), 161 v° (dans une initiale). Probablement les armoiries de la famille de Neuville (Roger, p. 303) avec brisure par un franc canton. - CAMBRAI : d’or à 3 lions d’azur, f. 41 r°, 42 r°, 130 r°, 131 r°, 132 r°. La ville de Cambrai, notamment, portait de telles armoiries. - DONCŒUR : d’or au chevron de gueules, f. 45 v°, 48 r° (dans une initiale), 129 v° (sur le lapin), 167 v°. Armoiries portées notamment par la famille de Doncœur ou Domqueur (Belleval, t. I, p. 116) et par les seigneurs de Bouvaincourt (ibid., t. II, p. 319, « Armorial de Ponthieu de l’an 1425 », n° 15). - ESTOURMEL : de gueules à la croix engrelée d’argent, f. 46 r°. Armoiries notamment de la famille d’Estourmel (Roger, p. 317). - PICQUIGNY : fascé d’argent [ou d’hermine] et d’azur de 3 pièces à la bordure de gueules, f. 48 r°, 127 v° (sur le lapin), 131 v°. Armoiries de la famille de Picquigny (Belleval, t. II, p. 318, « Armorial de Ponthieu de l’an 1425 », n° 3). - FIENNES : d’argent au lion de sable, f. 59 r° (dans une initiale), 97 v° (sur un hybride), 162 r° (dans une initiale). Ces armoiries furent entre autres portées par la maison de Fiennes (Roger, p. 246). - GUÎNES : vairé d’or et d’azur, f. 129 r°. Probablement les armoiries de la famille de Guînes (Roger, p. 253) avec brisure par un chevron de gueules. - ABBEVILLE : d’argent à 3 écussons de gueules, f. 130 v°, 134 r° (dans une initiale), 134 v°. Ces armoiries furent portées par la famille d’Abbeville (Belleval, p. 1). - BAZENTIN : d’azur au semis de fleurs de lys d’argent, f. 132 r°. Probablement les armoiries des seigneurs de Bazentin (armorial d’Hozier de Picardie). - FLANDRE : d’or au lion de sable (dans l’initiale), f. 136 r°. Armoiries portées entre autres par les comtes de Flandre. - d’azur à trois jumelles d’or au chef du même, f. 43 v°. Peut-être est-ce à rapprocher des armoiries des seigneurs de Créseques (alliés aux Picquigny), qui se lisent d’azur à trois tierces d’or au chef du même (Roger, p. 292). - d’or à la croix engrelée de sable, f. 43 v°, 46 v°. - d’argent à la bordure de gueules, f. 43 v° (sur l’oiseau), 129 v°. - d’or à la bande de gueules, f. 51 v° (dans le tabernacle de la lettre historiée). - d’or à la fasce d’azur, f. 51 v°. - de sable au lion d’or, f. 57 r° (dans une initiale). Armoiries entre autres du duché de Brabant. - d’or à la fasce de gueule, f. 97 v° (sur un oiseau), f. 135 r° ( dans une initiale). - d’argent à 5 châteaux de gueules, f. 114 v°, 122 r°. - d’argent à 3 châteaux de gueules, f. 129 r°, 161 v°. - fascé d’or et de gueules, f. 133 r°, 166 v° (dans une initiale). Peut-être à rapprocher des armoiries lues d’or à 3 fasces de gueules, que l’on retrouve portées, en Picardie, par la famille de Grouches (seigneurs de Chépy), ou la famille de Rambures, ou encore l’abbaye de Willancourt à Abbeville (Roger, pp. 271 et 348 ; Charles- René d’Hozier). - d’argent au lion de gueules, f. 138 v° (dans une initiale). - d’or à une fasce de sable, f. 141 v° (dans une initiale). Avec de nombreux aigles et lions de type héraldique utilisés comme éléments de décors, par exemple sur la chape d’un des chantres dans la miniature au f. 97 v° ou sur le drap de l’autel dans la miniature au f. 169 v°. RELIURE MAROQUIN ORNÉ RESTAURATION, PROBABLEMENT DE DUPLANIL FILS. Cette reliure présente une ornementation éclectique d’un type inhabituel : l’organisation du décor des plats en portique, avec dallage suggéré par des filets à froid et avec une plaque néogothique répétée, se rattache au style « à la cathédrale », mais l’artisan a également utilisé des motifs propres au style néo-classique et un fer au dos annonçant le style rocaille romantique. Le fer de type néo-gothique des plats se retrouve sur une reliure signée de Duplanil fils couvrant un ouvrage paru en 1825 (Culot, n° 74), une version très proche de ce fer existant cependant dans le matériel de Louis Janet. PROVENANCE « Le Coincq » ou « Le Coincy » (ex-libris à l’encre sur le dernier feuillet, probablement du XVIIe siècle, gratté, d’une lecture di cile). BIBLIOGRAPHIE René de BELLEVAL. Nobiliaire de Ponthieu et de Vimeu. Amiens, 1862-1864. - Michael CAMILLE. Images dans les marges. Aux limites de l’art médiéval. Paris, 1997. - Paul CULOT. Relieurs et reliures décorées en France à l’époque romantique. Bruxelles, Bibliotheca Wittockiana, 1995. - Victor LEROQUAIS. Les psautiers manuscrits latins des bibliothèques publiques de France. Mâcon, 1940-1941, introduction. - Michel POPOFF. « L’armorial du châtelain d’Arras », dans Revue française d’héraldique et de sigillographie, n° 54-59, Paris, 1984-1989. - Lilian M. C. RANDALL. Images in the margins of gothic manuscripts, Berkeley and Los Angeles, 1966. - Lilian M. C. RANDALL. Medieval and Renaissance manuscripts in the Walters art gallery, 1, France, 875-1420. London, 1989, cat. 55. - Richard H. RANDALL. « Frog in the middle », dans The Metropolitan Museum of art Bulletin, vol. XVI, n° 10, New York, juin 1958. - Antoine François Nicolas de RECOURT DU SART. Généalogie de la maison de Recourt. Reims, 1782. - Paul ROGER. Noblesse et chevalerie du comté de Flandre, d’Artois et de Picardie. Amiens, Duval et Herment, 1843. - Alison STONES. « The artistic context of the manuscript », dans Philippe de Rémi de Baumanoir, Le Roman de la Manekine, édition et traduction par B. N. Sargent-Saur, Amsterdam, 1999, p. 22-39, fig. 43-44, 48-53, 63-70.
Partager