Lot n° 38
Sélection Bibliorare

SAINT JERÔME EPISTOLAE — EPISTOLAE [LETTRES] EDITION ETABLIE PAR ADRIANUS BRIELIS (MORT EN 1472). MAYENCE: PETER SCHOEFFER, 7 SEPTEMBRE 1470 — Exceptionnel exemplaire enluminé, impression sur vélin, dans une reliure contemporaine par le...

Estimation : 400 000 - 600 000 €
Adjudication : 429 658 €
Description
successeur de Johann Vogel. — Première édition de la version augmentée (plus de 200) des lettres et traités de saint Jérôme, donnée par Peter Schoeffer, principal associé de Gutenberg. L’enluminure – luxueuse – est réalisée par deux mains, la première associée au Waldburg-Wolfegg Hausbuch et au Pontifical d’Adolf de Nassau (archevêque de Mayence) et la deuxième liée à l’un des artistes du Virgile de Heidelberg (Vat. Pal. Lat. 1632) selon les travaux de E. König (1987)). La reliure – monumentale – est attribuée à un atelier anonyme d’Erfurt, successeur de Johann Vogel, qui a œuvré pour les Chartreux d’Erfurt. Le présent exemplaire dit « Doheny » compte parmi les plus belles réalisations des débuts de l’imprimerie à Mayence : «We stand at a sort of crossroads, where early Mainz printing, early engraving, and major German book illumination all seem to intersect » (König, 1987, p. 29). 2 forts volumes in-folio, 408 feuillets (198 ff, précédés et suivis d’un feuillet de garde de parchemin blanc. (vol. 1) et 210 ff. (vol. II)), impression sur vélin, en rouge et noir, exemplaire enluminé, texte sur deux colonnes (56 lignes par colonne), têtes de chapitres imprimées en rouge (sauf 2/10r, où l’en-tête est à l’encre rouge d’une main contemporaine), colophon et marque d’imprimeur de Fust-Schoeffer imprimés en rouge au dernier feuillet du 2e volume ; le feuillet de garde du 1er volume comporte une note autographe du relieur: « Hic liber continet 200 folia minus duobus scripta et 8 non scripta que summe sunt 20 quinterni et 6 folia » [Ce volume contient 200 feuillets écrits auxquels il faut en retrancher 2 et 8 feuillets non écrits, ce qui fait 20 quaternions et 6 feuillets]. Petite découpe rectangulaire dans la marge supérieure de la première page de chaque tome, léger plissement vertical du vélin sur les derniers feuillets du 1er tome. Les pages présentant des initiales enluminées, introduisant les grandes divisions du texte, sont repérées par de petits onglets (« finding tabs ») de peau de truie teintée en rose collés en bordure des feuillets, bien visibles au second tome. Collation : Tome I : [14, 2-510 68(7+1); 7-1910 208 216(5+1)] (1/1 introduction et registre, 1/4v blanc, 2-6 Distinctiones I-II ; 7-12 Distinctio III ; 13-16 Distinctio IV(i), 16/10v blanc ; 17-21 Distinctiones IV(ii)-V, 21/6v blanc) ; tome II: [22- 2410 256(5+1); 26-2810 298 306 314(3+1); 32-3410 3510(4+1, 6+1,2) 36-4210 4310(9+1)] (22-25 Distinctio VI, 25/6v blank; 26-31 Distinctiones VII-XI, 31/4v blanc; 32-39 Distinctio XII(i); 40-43 Distinctio XII(ii)). Colophon: « [...] Anno domici M. CCCC. IXX. die septima mensis septembris que fuit vigilia nativita tis Marie da gloriam deo ». Reliure de l’époque par le successeur de Johann Vogel, relieur actif à Erfurt (Thuringe). Plein veau estampé à froid couvrant deux ais de bois (voir ci-dessous « Reliure ») (Fermoirs renouvelés, charnières et dos partiellement consolidés, boîtes de conservation de demi-maroquin grenat modernes). Dimensions : 478 x 332 mm.
ÉDITION
Les lettres et traités de saint Jérôme ont été imprimés et commentés dès les premières décennies de l’imprimerie, prenant la suite d’une riche tradition manuscrite. La première rubrique indique le contenu des deux forts volumes : « Incipit liber Ieronimianus sic dictus eo quod epistolas beati Ieronimi ad diversos et diversorum ad ipsum ». On imprime quatre éditions des Lettres de saint Jérôme entre 1468 et 1470 : ces éditions contiennent entre 70 et 130 lettres. La présente édition renouvelée de Peter Schoeffer contient plus de 200 épîtres, organisées thématiquement. Schoeffer fit l’effort de rechercher dans les bibliothèques ecclésiastiques et monastiques des lettres inédites. Il employa pour ce faire Adrianus Brielis, un moine bénédictin de l’abbaye Mons S. Jacobi, qui augmenta le corpus et supervisa les corrections. On connait deux versions ou états du texte, et Lotte Hellinga a pu montrer qu’environ 150 feuillets (sur 408) ont été réimprimés pour incorporer des corrections. Hellinga a aussi pu trouver des corrections rajoutées à la main, témoin de ce souci de correction et d’amélioration du texte de la part des éditeurs, des imprimeurs et lecteurs avisés. De plus, deux émissions distinctes existent pour la préface et le colophon, avec l’une adressée aux ordres religieux (émission « a ») et l’autre à tous les chrétiens (émission « b »). L’exemplaire Doheny est un exemple de l’émission « a » (issue « a ») et contient de nombreux feuillets avec des corrections manuscrites qui seront par la suite effectivement imprimées corrigées dans la seconde version. Si l’exemplaire se devait d’être incorporé à la bibliothèque monastique des Chartreux d’Erfurt, il est logique que la version retenue soit celle qui contient la préface adressée aux membres des ordres religieux.
Les exemplaires imprimés sur vélin sont plus rares que les versions papier : sur les 89 exemplaires connus, seuls 16 sont imprimés sur vélin.
L’exemplaire Doheny est un exemplaire très grand de taille, non rogné (piqures visibles).

ENLUMINURE
L’exemplaire décrit est doté d’un décor peint à la main, typique de l’enluminure pratiquée à Mayence et que l’on trouve à la fois dans les manuscrits de la période et les premiers imprimés. Plus particulièrement, les artistes ayant œuvré dans ces volumes sont directement reliés à
l’officine de Peter Schoeffer à Mayence.
Le décor s’ouvre par une initiale historiée de 16 lignes de hauteur, faisant office de « page-frontispice », figurant saint Jérôme dans son studiolo ; l’initiale est prolongée par une bordure décorée avec des archers chassant un dragon. A ce décor se rajoute plusieurs initiales peintes et ornées, d’une hauteur de 8 lignes, introduisant chacune des Distinctions.
Lorsque Peter Schoeffer a conçu son édition, il propose des versions sur papier ou su vélin, décoré ou non, avec des décors allant du simple décor filigrané au décor enluminé historié. L’exemplaire Doheny est à classer parmi les exemplaires de luxe sortis de l’officine de Schoeffer. La qualité
artistique du décor des incunables sortis des presses de Schoeffer est soulignée par E. König :

“Only at very rare moments did the illumination of incunabula reach the highest artistic standards of the period. One such example is, for the art historian, the most astonishing single book in the Doheny collection : the Epistolary of St-Jerome printed by Peter Schoeffer in 1470. Almost miraculously well-preserved in their original bindings, these two volumes satisfy on every count: beautiful printing on highest quality vellum in the largest format, and decorated in the best German style of its period”
(E. König, “Illuminated Incunabula in the Doheny Library”, Christie’s, Vente Estelle Doheny 1987, p. 293).
Dans son étude consacrée aux incunables enluminés de la collection Doheny, E. König consacre un chapitre intitulé « The 1470 Epistolary of St. Jerome ». Il distingue deux mains dans le décor peint qui orne l’exemplaire Doheny. La première – the « Housebook Master » - est associée au Waldburg-Wolfegg Hausbuch et au Pontifical d’Adolf de Nassau (archevêque de Mayence). Cet artiste qui peint l’initiale-frontispice figurant saint Jérôme dans son studiolo est associé avec la région du Rhin, entre Mayence et Speyer. König relève que le décor filigrané (rouge) de ce premier feuillet-frontipice diverge du décor filigrané (penwork) des autres feuillets (bleu) : on trouve ce même décor rouge dans le Pontifical d’Adolf de Nassau (Aschaffenburg, Hofbibliothek, MS 12). König : « This senior artist was likewise responsible for one of the greatest German manuscripts of the century : the Pontifical of Adolf of Nassau, archbishop of Mainz from 1461 to 1475. In this manuscript we find the same curious penwork as on the Jerome frontispiece. Many motifs are common to both books, such as the large, fantastic flower in the upper right corner of the Jerome frontispiece...The historiated initials of the Jerome frontispiece are likewise closely connected with the miniatures of the Aschaffenburg
Pontifical, and leave little doubt that they were executed by the same artist »
(E. König, “Illuminated Incunabula in the Doheny Library”, Christie’s, Vente Estelle Doheny 1987, p. 294).
La deuxième main qui peint des initiales et des décors est identifiable, d’après König, comme l’un des artistes du Virgile de Heidelberg Virgil of Pfalzgraf Philipp] (Vatican, BAV, Vat. Pal. Lat. 1632, datable 1473/1474) : « I am convinced that the best pages of the Heidelberg Virgil were illuminated
by the same hand as most of the decoration of the Doheny Jerome.
His manner is discernible in many details of draughtsmanship, from the typical blue penwork with a predilection for parallel lines, to the highly dimensional, inventive character of the foliage » (König, 1987, p. 296).
En guise de conclusion, König rappelle le lien entre Erfurt et Mayence, et les exemplaires de la Bible de Gutenberg enluminés à Erfurt (Scheide copy ; Fulda ; Eton College ; Londres, British Library) et pour trois d’entre eux, reliés à Erfurt, comme le Jérôme de Doheny. König n’exclut pas la possibilité que le style du second artiste du Jérôme de Doheny puisse être associé à la ville d’Erfurt avant son installation à Heidelberg, au sud de Mayence : « We must, therefore, leave it an open possibility that the Doheny Jerome was illuminated in Erfurt. Until now, this great book has remained unknown to scholarship. It may continue to add important new knowledge, if only it remains accessible to historians of the fifteenth-century book. It is at the center of what we want to understand about
the book in Germany in the first decades after Gutenberg’s invention” (König, 1987, p. 302).

RELIURE
Reliure monumentale par le successeur de Johann Vogel, relieur d’Erfurt, qui réalisa de nombreuses reliures pour la Chartreuse d’Erfurt. Plein veau estampé à froid couvrant deux ais de bois. Les plats sont décorés d’un jeu géométrique de quadruples filets à froid alternant avec des fers à motifs végétaux et animaliers : fleur-de-lis et foliacées alignées en double encadrement au centre duquel sont disposés des fleurons circulaires et en losanges, de petits fers ornés d’un oiseau, d’une brebis au bâton de berger (symbole du Bon Pasteur), d’un cœur percé d’une flèche, le tout complété par un semis de fleurettes. Dos à 6 nerfs soulignés de quadruples filets à froid se continuant en diagonale dans les entre-nerfs ornés de fers à motifs de fleur de brebis à la houlette (Cf. Schwenke, « Die
Buchbinder mit dem Lautenspieler » (1919), pl. 3 fers 1, 28, 29 ; pl. 4, fer 53). 4 plaques triangulaires de laiton à décor ciselé et bordures dentelées boulonnées aux angles des plats et une cinquième, en losange, au centre ; deux fermoirs métalliques assortis fixées par des attaches de cuir noir,
tranches teintées en jaune, contreplats non recouverts, laissant le bois apparent. Le relieur a utilisé, pour couvrir l’intérieur des charnières du 2 e volume, une page de manuscrit du XIVe siècle du De proprietatibus rerum de Bartholomaeus Anglicus. Voir pour la reliure, Schwenke, “Die
Buchbinder mit dem Lautenspieler”, Wiegendrucke und Handschiften : Festgabe Konrad Haebler, 1919, pp. 133-135.

PROVENANCE
- 1. Erfurt, Chartreux du Mons Sancti Salvatoris (sur la reliure voir Paul Lehmann, Mittelalterliche Bibliothekskataloge Deutschlands und der Schweiz, II, Munich: 1928, pp. 444-446, où il est décrit en 2 volumes).
- 2. Leander Van Ess (1772-1847), moine et prêtre, collectionneur allemand et traducteur de la Bible. Voir M. Dzanko, The Library of Leander van Ess and the Earliest American Collections of Reformation Pamphlets, New York, 2007. Une partie de sa bibliothèque fut achetée par le Burke
Library of Union Theological Seminary in the City of New York.
- 3. Sir Thomas Phillipps (1792-1872, Catalogus incunabulorum Professoris... Van Ess, no. 4.
- 4. Abraham Simon Rosenbach, marchand libraire, actif entre 1915 et 1945
(il mourut en 1952) ; cat. 29 (1937), no. 200; cat. 37 (1947), no. 318.
- 5. Estelle Doheny (1875-1958), comtesse papale, ouvrage acquis en
1949. Vente, The Estelle Doheny Collection, Part I, New York, Christie’s,
22 octobre 1987, lot 9.
- 6. Collection Arcana. Vente, The Arcana Collection : Exceptional Illuminated Manuscripts and Incunabula, Christie’s, 7 juillet 2010, lot 10.

BIBLIOGRAPHIE ET REFERENCES
GW 12424; BMC I, 26 (C.11.e.13,14); CIBN H-99; Polain (B) 1947; BSB-Ink. H-246; Bod-Inc. H-68; Van Praet, Vélins du Roi I, 377-378; Goff H-165. Sur cette edition, voir les travaux de Lotte Hellinga, “Editing Texts in the First Fifteen Years of Printing,” New Directions in Textual Studies, ed. D. Oliphant et R. Bradford, 1990, pp. 127-49; “Peter Schoeffer and his organization: a bibliographical investigation of the ways an early printer worked”, in Biblis Yearbook, ed. G. Jonsson, Stockholm, 1995-96, pp. 67-106; “Peter Schoeffer and the Book-Trade in Mainz: Evidence for the Organization”, Bookbindings and other Bibliophily, 1994, pp. 131-164.
Sur les artistes ayant contribué au décor de l’exemplaire Doheny, voir Filedt Kok J.P. et al. The Master of the Amsterdam Cabinet, or the Housebook Master, ca. 1470-1500, Princeton, 1985; Boeckler, A. Deutsche Buchmalerai der Gotik, Königstein im Taunus, 1959; König, E. “Illuminated Incunabula
in the Doheny Library”, The Estelle Doheny Collection. Christie’s, New York, 22 octobre 1987, essai publié en fin de catalogue, pp. 285-302.
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