Lot n° 58

TASCHER DE LA PAGERIE (Stéphanie de) — Manuscrit autographe signé.

Estimation : 1200 - 1500 €
Adjudication : Invendu
Description
1826 Petit in-8, 266 pp., chagrin prune, dos lisse fileté, double filet doré encadrant les plats avec « S » couronné au centre du plat supérieur, roulette ornant les coupes et les chasses, tranches dorées, fermoir métallique conservé avec sa clef (Asprey à Londres). PETITE-NIÈCE DE L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE ET PERSONNALITÉ DU SECOND EMPIRE, STÉPHANIE TASCHER de La Pagerie (1814-1905), était la fille d'un cousin germain de Joséphine, Louis Tascher de La Pagerie (1787-1861) : celui-ci avait été aide de camp du prince Eugène et l'avait suivi en Bavière à la chute de Napoléon Ier, avant de trouver une position sous le Second Empire comme sénateur (1852) et Grand Maître des cérémonies de l'impératrice Eugénie (1853). Stéphanie de Tascher fut élevée dans la familiarité de la reine Hortense et passa sa jeunesse en Bavière, fréquentant les bonapartistes mais aussi la noblesse allemande ou russe (une belle fille du prince Eugène était grande-duchesse de Russie). Après le rétablissement de l'Empire, elle vécut dans le cercle des habitués de la Cour des Tuileries.

UN DES SEULS CARNETS DE SON JOURNAL INTIME DEMEURÉ EN MAINS PRIVÉES. Stéphanie de Tascher a tenu le compte de sa vie quotidienne de 1848 à 1871 : ces « souvenirs glanés » forment un vaste ensemble dont 46 carnets autographes sont actuellement conservés à la BnF. De cette source majeure sur la haute société française, mais aussi européenne, furent tirés les éléments de mémoires parus sous le titre Mon séjour aux Tuileries (Paris, Ollendorff, 1893-1895).

SUR SON SÉJOUR A LONDRES EN JUIN-JUILLET 1862, A L'OCCASION DE L'EXPOSITION UNIVERSELLE, SUR L'INVITATION DE LA DUCHESSE HAMILTON. Dans un style alerte et spontané, loin de toutes velléités littéraires convenues, Stéphanie de Tascher exprime librement toutes ses sensations et observations. Elle évoque avec humour sa traversée de la Manche sur une « mer houleuse » suscitant un mal de mer réduisant même les élégantes à des situations « très peu poétiques », puis indique combien l'Angleterre, qu'elle découvre entre Folkestone et Londres, lui semble un pays différent par ses paysages et ses mœurs.

UN TABLEAU CONTRASTÉ DE LA CAPITALE BRITANNIQUE : « un amas de maisons à deux ou trois étages, toutes noires et enfumées, alignées l'une à l'autre dans des rues tirées au cordeau... » ; « les parcs ont gardé leur rusticité quasi champêtre » ; « Londres est loin de renfermer toutes les ressources de joie et d'amusement qu'on trouve à Paris... la fine élégance des modes n'arrive pas à Londres, le mauvais goût national gâte tout ». Elle constate « l'animation inouïe de certaines rues, et le silence d'autres », vante Hamilton House, la demeure de son hôtesse, décrit James Street, Regent Street qui est « le bazar des beaux magasins », le palais de Westminster, le jardin zoologique, la cathédrale Saint-Paul et sa lanterne d'où « l'on découvre tout Londres qui ressemble à une mer de maisons et d'édifices en tout genre », la City où se trouve « la rue la plus riche du monde entier, mais elle est toute noire, enfumée et tortueuse », Lombard Street qui est « la rue classique des banques et des compagnies d'assurances », etc. Elle émaille son journal de remarques historiques, « la Bourse a été inaugurée par la reine Victoria en 1844 », ou de réflexions d'ordre urbanistique ou architectural, « le bel édifice Saint-Paul reste écrasé et opprimé par un tas d'horribles maisons qui gâtent son aspect... » ; « Londres n'a travaillé qu'à s'étendre sans s'embellir. »
Elle parle de ses visites à l'Exposition universelle dont « la construction lourde et peu élégante tient un peu de tous les genres depuis l'entrepôt jusqu'à la basilique du Moyen Âge ». Elle explique y avoir admiré les envois des Indes Orientales, les collections de tableaux, ou les statues italiennes : « C'est un tour d'Europe que vous faites et chaque pays vous offre comme à l'envie ce qu'il produit et a de mieux… mais à force de voir tout s'embrouille ». Jouissant d'un statut familial illustre (« Je suis une parente de l'Empire, ce dont je me glorifie »), elle reçut un accueil empressé, et évoque ici sa vie mondaine à Londres en brossant une véritable galerie de portraits de personnalités telles que Lady Palmerston, la duchesse de Cambridge, Lord Darby, la duchesse de Wellington, le duc de Sutherland, le comte de Flahaut, ambassadeur de France à Londres chez qui elle retrouve le prince Napoléon. Ses commentaires s'avèrent parfois caustiques : « Je les dévisage et je les juge sans qu'ils s'en doutent; c'est un vrai théâtre... Je jure que j'ai vu une dame habillée en catafalque, toute sa toilette était noire avec des décorations blanches... les hommes sont plutôt grands que petits et barbus à l'excès, c'est une richesse de poils qui me frappe... Ce qui m'a étonné pour une anglaise, c'est le blanc qu'elle met sur sa figure... Ce jour-là, elle n'avait pas une robe faite d'après les règles de la couture, c'était un vêtement décoré de la main d'un tapissier... »

De nombreuses corrections, à la mine de plomb et d'une autre main, modifient des tournures de phrases trop familières ou biffent des passages apparemment jugés trop naïfs, très probablement dans le but de les utiliser pour la publication des mémoires. Cette main se retrouve en effet sur d'autres carnets parmi ceux conservés à la BnF.

Le carnet vierge au chiffre de Stéphanie de Tascher semble lui avoir été offert par Alexandre Nikolaïevitch von Lüders, général russe d'origine allemande, qu'elle avait rencontré à Baden-Baden en juin 1862. Ex-dono manuscrit sur la seconde garde volante supérieure : « À Mme la Csse Stéphanie de Tascher de La Pagerie. Le plus humble de ses admirateurs. A. L. Paris, 20/juin 1862 »

Provenance : l'écrivain Jean Marchadier d'Estray (vignette ex-libris). – Le baron Charles d'Huart (vignette ex-libris).
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