Description
in-8, (4)-330-(4) pp., impression en caractères italiques (sauf les titres et la préface), page de titre dans un encadrement typographique avec emblème de la Compagnie de Jésus gravé sur bois au centre, collette imprimée p. 156, réglure postérieure, maroquin noir, dos à nerfs avec pièces de titre rouges, décor mosaïqué de quadrilobes rouges et d’étoiles citron sur fond criblé de points dorés ornant les dos et les plats, ces derniers avec fin listel d’encadrement rouge à roulette dorée, coupes filetées, roulette intérieure dorée, doublures et gardes de tabis rose, tranches dorées, mors légèrement frottés et fendillés, infimes trous de vers sur deux départs de mors, rousseurs éparses parfois plus marquées (reliure probablement vers 1745). ÉDITION ORIGINALE, D’UNE RARETÉ INSIGNE. Tirée à seulement 100 ou 120 exemplaires hors commerce, elle fut exclusivement destinée à une diffusion interne à l’ordre, c’est-à-dire auprès des provinciaux de la Compagnie qui devaient en recevoir des exemplaires accompagnés d’un questionnaire manuscrit. L’extrême rareté actuelle de ce livre s’explique non seulement par son tirage restreint, mais également par le fait qu’il s’agissait d’un document préparatoire qui ne fut pas conservé : quand la version définitive de la Ratio fut imprimée en 1599, le supérieur général Claudio Acquaviva donna par lettre du 29 mars 1599 l’ordre de recueillir et brûler toutes les éditions antérieures. En outre, certains exemplaires ne parvinrent jamais à leurs destinataires, l’Inquisition espagnole ayant par exemple fait saisir ceux destinés aux jésuites de la province de Castille. Cette rareté était si proverbiale au XVIIIe siècle, que Guillaume-François Debure crut d’abord qu’il n’en existait qu’un exemplaire avant d’en localiser sept en tout (cf. ses catalogues des bibliothèques Girardot de Préfond en 1757 et Gaignat en 1769). La consultation aujourd’hui, significative mais non exhaustive, des catalogues collectifs d’Allemagne, d’Espagne, de France, d’Italie, des catalogues de la British Library et de la Library of Congress américaine, ne permet pas de relever l’existence de plus de 12 exemplaires en collections publiques. EXEMPLAIRE COMPLET DU QUESTIONNAIRE MANUSCRIT JOINT À L’ENVOI DU VOLUME (une p. sur un f. petit in-8), comprenant six questions complémentaires relatives aux méthodes d’explication des auteurs et des préceptes, aux exercices scolaires, etc. AVEC DES ANNOTATIONS DE L’ÉPOQUE PAR LE PÈRE JAKOB REM, qui a inscrit au titre l’ex-libris (en partie biffé) « Colleg. Ing. Soc. Jesu. Ad usum P. I. Rhami », c’est-à-dire : « Collège d’Ingolstadt. À l’usage du P. J. Rem ». Le Père Rem a porté des commentaires, des renvois, et biffé des lignes avec ou sans corrections aux pp. 8, 10, 11, 30, 39, 70, 94, 99, 147, 207, 245, 248, 267 et 270. Deux renvois manuscrits anciens aux pp. 12 et 15 sont d’une autre main. PÉDAGOGUE ET THÉOLOGIEN MYSTIQUE, LE JÉSUITE ALLEMAND JAKOB REM (1546-1618), fut préfet des études aux collèges de Dillingen puis de Munich, avant d’être nommé sous-régent dans celui d’Ingolstadt où il demeura de 1586 à sa mort. Sujet aux ravissements et visions, il manifestait une adoration particulière pour la Vierge Marie, et fonda le Colloquium Marianum, association mariale élitiste qui prospérerait jusqu’au XIXe siècle. Probablement originaire de Kißlegg au Nord du lac de Constance, il vit son nom orthographié indifféremment Rhem, Rem, Räm ou Röm. DANS UNE MAGISTRALE RELIURE MOSAÏQUÉE EN DÉCOR À RÉPÉTITION DE L’ATELIER DE DEROME. L’attribution se déduit de la présence sur les plats d’une fine roulette d’encadrement qui fut utilisée par Jacques-AntoineDerome(morten1760)puissonfilsNicolas-Denis(maîtreen1761)pendantprèsdecinquante ans. On retrouve également deux autres fers de cet atelier, une petite palmette et une rouelle en pointillés - ils se retrouvent par exemple tous les trois sur la reliure du volume reproduit par Louis Marie Michon sur la planche XXXV de son ouvrage. Les décors à répétition, initialement conçus par le relieur Antoine-Michel Padeloup dans les années 1720, connurent une grande vogue jusque dans les années quarante, et furent encore employés dans l’atelier Derome jusque dans les années 1760 au moins. Une indication sur la datation de la présente reliure peut se trouver parmi les filigranes du papier de ses gardes, dont un se lit « A. Vimal fin Auvergne 1742 » LA RATIO STUDIORUM, PREMIER PROGRAMME PÉDAGOGIQUE JÉSUITE IMPRIMÉ. Saint Ignace de Loyola, fondateur de l’ordre des Jésuites, considéra d’abord les collèges comme des séminaires de la compagnie pouvant éventuellement accepter d’autres élèves. L’expansion de l’Ordre augmenta les besoins en matière d’éducation, et mena à la fondation de nombreux collèges, mais fit aussi sentir la nécessité d’une règle commune en matière pédagogique. Dans la quatrième partie de ses Constitutions (1558), saint Ignace indiquait les grands principes mais précisait que cette règle commune serait établie plus tard sur la base des expériences particulières. Une intense réflexion était alors engagée sur ce sujet, notamment par les PP. Jerónimo Nadal, Diego de Ledesma, Juan Polanco et Juan Pedro Perpiñán, puis une première Ratio studiorum fut envoyée en 1569 sous forme manuscrite dans les provinces par le supérieur général Francisco de Borja, lequel accordait une grande liberté d’interprétation aux collèges. C’est au supérieur général Claudio Acquaviva que revint le mérite d’établir la règle commune évoquée par saint Ignace. Après une première tentative restée sans suite en 1581, il nomma en 1583 une commission de six jésuites : l’Espagnol Juan Azor, le Portugais Gaspar Gonçalves, l’Écossais James Tyrie, le Hollandais Peter Buys, Antoyne Goyson, né dans les Pays-Bas espagnols, et l’Italien Stefano Tucci. Les Pères travaillèrent de décembre 1583 à août 1584, et rendirent deux documents : un texte spéculatif sur la doctrine théologique de l’ordre (De Opinione delectu), et un texte de pédagogie pratique (Praxis et ordo studiorum). L’ensemble fut revu par Acquaviva et soumis aux théologiens jésuites du Collège romain, qui réduisirent notamment la partie spéculative tout en lui adjoignant un commentaire. SYNTHÈSE ENTRE LES TRADITIONS MÉDIÉVALES ET HUMANISTES, LA RATIO STUDIORUM propose de combiner l’enseignement de type scolastique - notamment tel qu’il était prodigué à Paris (modus parisiensis) - avec l’enseignement des humanités, mais celui-ci modifié dans une perspective chrétienne inspirée par le mouvement des Frères de la vie commune. Cette première Ratio studiorum de 1586 fixe un état de la discussion tout en suggérant des solutions, et se présente donc comme une suite de petits traités relatifs à la doctrine, à l’administration, au curriculum et à ses programmes, ainsi qu’à la méthode et à la discipline. Le petit volume imprimé fut expédié en avril 1586 à tous les provinciaux - la Compagnie s’organisait alors en 21 provinces comprenant en tout 10 maisons professes et 144 collèges - avec pour consigne de se réunir avec cinq jésuites éminents de leur province afin de formuler et transmettre des remarques et critiques sur ce projet. Trois des membres de la commission (les Pères Tucci, Azor et Gonçalves) s’attelèrent alors à la rédaction d’une version corrigée tenant compte des rapports reçus, remaniée sous forme de règlement, et à son tour imprimée en 1591. LA PRÉSENTE RATIO STUDIORUM DE 1586 EST LA SEULE À CONTENIR LE TRAITÉ DOCTRINAL JÉSUITE CONDAMNÉ PAR LE SAINT OFFICE, JAMAIS RÉIMPRIMÉ. Dans la partie spéculative de la Ratio studiorum, intitulée « De Opinionum delectu in theologica facultate » (ici pp. 9 à 53 et 311 à 330), les jésuites présentaient la base de leur enseignement théologique, c’est-à-dire la pensée de saint Thomas d’Aquin, mais avec des restrictions. L’Ordre, déjà en butte aux attaques de l’Inquisition espagnole, et conscient de l’aspect polémique de leur doctrine, soumit le De Opinione delectu au pape : le Saint-O ce émit une condamnation sans appel, jugeant ces restrictions comme dangereuses et procédant de la même méthode que la théologie luthérienne. Le texte fut d’abord remanié mais finalement exclu de la Ratio studiorum. Une nouvelle version imprimée en 1591 fut à nouveau soumise aux critiques des provinciaux et théologiens de l’Ordre, et la version définitive fut imprimée en 1599 - le texte imprimé en 1616 présente néanmoins d’infimes retouches. ORGANISÉS SELON LES PRINCIPES DE CETTE RATIO STUDIORUM, LES COLLÈGES JÉSUITES CONTRIBUÈRENT À STRUCTURER LA CULTURE EUROPÉENNE EN FORMANT L ’ÉLITE INTELLECTUELLE JUSQU’À LA SUPPRESSION DE L’ORDRE EN 1773. UNE PROVENANCE REMARQUABLE : DU CABINET GIRARDOT DE PRÉFOND (cuir ex-libris noir sur le premier contreplat). Probablement d’une famille protestante de marchands de bois, Paul Girardot de Préfond fut un des grands bibliophiles du XVIIIe siècle. S’attachant à la rareté des éditions ou à la préciosité des reliures, il réunit une première collection qu’il vendit en 1757 afin de pouvoir s’en constituer une seconde, plus choisie encore, pour laquelle il eut souvent recours aux relieurs Boyet, Padeloup, ou Derome. Sous la pression de ses créanciers, il dut cependant se résigner à vendre en bloc cette seconde bibliothèque au comte Justin Mac Carthy-Reagh. Le présent volume n’apparaît pas dans le catalogue de vente de la première bibliothèque Girardot de Préfond, rédigé par Guillaume-François Debure, et ce bibliographe ne le mentionne pas plus en 1769 parmi les exemplaires connus, dans sa notice sur la Ratio studiorum de 1586 publiée dans le catalogue de la bibliothèque Gaignat. Une note à l’encre rouge au verso de la première garde du présent exemplaire indique d’ailleurs une référence à cette notice : « n° 1008 b.i.d.b », c’est-à-dire « n° 1008 Bibliographie instructive de Bure », le catalogue Gaignat formant un supplément à la Bibliographie instructive de Debure. Le catalogue de la partie de la bibliothèque Mac Carthy-Reagh vendue aux enchères à Paris en 1815 mentionne bien un exemplaire de la Ratio studiorum de 1586, mais relié en « mar. citron à compartimens, tabis, l. r. [lavé, réglé] », et sans mention de provenance (t. I, n° 1208). Louis Marie Michon cite deux exemplaires de la Ratio studiorum de 1586 en reliures mosaïquées (pp. 17 et 66, n° 67 et 68) : celui conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève (type et atelier différent), et l’exemplaire Gaignat, qu’il dit passé ensuite dans les collections Mac Carthy et Hanrott. Le catalogue de la collection Gaignat indique simplement pour le volume un « mar. à compartimens [c’est-à-dire mosaïqué] » (n° 747), sans précision d’une provenance Girardot de Préfond, et les catalogues Mac Carthy-Reagh et Hanrott décrivent, le premier, un maroquin citron (n° 1208), et le second, un « green morocco » (n° 1820, avec précision « the Gaignat copy »). Il est probable que Louis Marie Michon - qui n’a vu personnellement que l’exemplaire de la bibliothèque Sainte-Geneviève et n’a pu consulter le catalogue Hanrott dont il ne cite pas le numéro - ait référencé des exemplaires différents sous une même entrée. Bibliographie : Aloys de BACKER, Augustin de BACKER, Carlos SOMMERVOGEL, et. al. Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, Bruxelles, Oscar Schepens ; Paris, Alphonse Picard, t. I, 1890, col. 487. - [BIBLIOTHÈQUE HANROTT]. Catalogue of the splendid, choice, and curious library of P. A. Hanrott, esq. Part the first. [Londres], Evans, 1833. - Guillaume-François DEBURE. Catalogue des livres du cabinet de Mr G... D... P... À Paris, chez Guil. Fr. de Bure, 1757. - Guillaume-François DEBURE. Supplément à la Bibliographie instructive, ou Catalogue des livres du cabinet de feu M. Louis Jean Gaignat. Paris, chez Guillaume-François de Bure, 1769. T. I. - Jean-Jacques et Marie- Jacques DEBURE. Catalogue des livres rares et précieux de la bibliothèque de feu M. le comte de Mac-Carthy Reagh. À Paris, chez de Bure frères, 1815. T. I. - Louis Marie MICHON. Les Reliures mosaïquées du XVIIIe siècle. Paris, Société de la reliure originale, 1956. - John W. PADBERG. « Development of the Ratio studiorum », dans The Jesuit Ratio studiorum. New York, Fordham University Press, 2000, pp. 80-100. - Mario ZANARDI. « La Ratio atque institutio studiorum Societatis Iesu : tappe e vicende della sua progressiva formazione (1541-1616) », dans Annali di storia dell’ educazione e delle istituzioni scolastiche, n° 5. Brescia, 1998, p. 135-164.