Lot n° 145
Sélection Bibliorare

Alfred de MUSSET (1810-1857). L.A. avec dessin, Lundi [25 novembre 1842, à Caroline Jaubert] ; 7 pages in-8..Longue lettre à sa « marraine » sur ses amours, avec une caricature de Pauline et Louis Viardot..« Il faut que je vous aime...

Estimation : 3000 - 4000
Adjudication : 12 500 €
Description
terriblement pour vous pardonner de me deviner & de venir me dire à mon nez exactement ce que je pense. Convenez au moins à votre tour que nous valons quelquefois mieux que vous autres, car je n’ai jamais vu ni ouï dire qu’une femme ait pardonné en pareil cas, encore moins qu’elle se soit rendue – et moi je pardonne et je me rends. Voyez comme je suis bon Prince ; et vous osez m’appeler Prince grognon ! .Je confesse donc que l’intention réelle de faire le conte dont je vous parlais n’existait pas dans mon esprit, et même que c’est impossible. La chose est peut-être faisable autrement en le prenant en plaisanterie, sans détails trop marqués, & en tournant la chose d’une manière favorable. Ce sera pour une autre. fois. Quoi qu’il en soit, c’est un peu fort qu’une personne de votre taille ne veuille pas avoir peur quand un Monsieur de ma stature est en colère. Per Bacco ! je mets mon fusil en joue, & une fauvette se met à me rire au nez ! Je vous pardonne mais vous me le paierez. .Quant à mes vers [Sur une morte, paru dans la Revue des Deux Mondes du 1er octobre 1842], je ne sais pas trop si je dois les regretter ou non. Ce n’est, comme vous disiez, qu’un portrait de circonstance. Personne ici ne l’a reconnu. Les uns ont cru y voir, comme toujours, cette pauvre Mme Sd [Sand]. Je vous demande un peu à propos de quoi maintenant ? Et ne voilà-t-il pas Bonnaire […] qui me dit qu’on devrait écrire mes vers, savez-vous où ? – sur le tombeau de Rachel. – Mais, lui ai-je dit, vous croyez donc que j’ai pensé à elle. – Je ne dis pas cela, a-t-il répondu de l’air du Misanthrope, mais enfin... – Le bon public est bien méchant mais je le crois plus bête encore, ai-je répliqué avec douceur et modestie »… .Puis il récuse la comparaison faite par Mme Jaubert : « Lady Byron a fait briser le secrétaire de son mari et a fait faire une enquête pour qu’on l’enfermât comme fou. Marie Chaworth lui a dit une injure sur son pied boiteux, il est vrai, chose assez ignoble, et l’a traité du reste assez doucement. Mais Marie Chaworth en aimait un autre. Tout est là. Au temps de mes plus enragées passions, je n’ai jamais songé à en vouloir à une femme qui m’a dit qu’elle en aimait un autre. Je puis même me vanter en pareil cas, d’avoir fait acte de courage et de résignation. Ce n’est pas une grande gloire, c’est ma manière de sentir. Quant à une femme qui m’aurait dit tout bonnement qu’elle ne m’aimait pas du tout, je n’aurais rien dit du tout, mais je ne m’y suis pas exposé. .Mais j’ai des lettres d’Uranie [la princesse Belgiojoso] où elle me dit : “Je croyais que mon amitié pouvait vous être bonne à quelque chose” […] J’ai tenu sa main je l’ai baisée pendant une minute entière et elle me laissait faire. Je lui ai répété cent fois que je ne cherchais pas près d’elle une bonne fortune, que mon amour-propre n’y était pour rien, que je ne lui demandais qu’un mot d’amitié pour être heureux toute une journée. Elle y croyait et elle le voyait, et elle m’a gardé huit jours chez elle, affectant à chaque instant d’éviter l’occasion de me parler, me traitant comme un étranger. Elle ne peut avoir eu pour cela que trois raisons ; ou elle se défiait d’elle-même, et je ne le crois pas ; ou elle me faisait souffrir par plaisir, sachant qu’elle ne courait aucun risque à me rendre tranquille ; ou bien elle agissait froidement avec orgueil et indifférence, ce que je crois. Or ceci est méchant et haïssable. J’ai plus de quinze lettres d’elle où elle me parle d’amitié. L’amitié consiste-t-elle à donner le bras à quelqu’un pour aller à table ? Quelle plaisanterie ! […] elle m’a attiré à elle par désœuvrement pour s’amuser de moi et me faire jouer purement et simplement le rôle de patito. Vous savez ce que c’est. Je n’ai pas voulu, et alors elle m’a maltraité. Quant à moi, je croyais réellement à ce faux semblant d’amitié qui n’était qu’une comédie, un pur passe-tems et qui s’est arrêté net dès qu’elle m’a vu revenir et céder. Voilà ce qui m’a blessé. Elle n’avait pas le droit, d’abord, de me traiter ainsi, et ensuite, elle se trompait sur moi d’une manière blessante en essayant de le faire. Cela est le vrai, et je ne l’oublierai qu’avec peine, pour en garder en tout cas une méchante impression »….Après cette « longue explication », il se justifie : « Je m’ennuie encore horriblement, malgré tout, et il faut bien que je bavarde quand je sens que je parle à qui peut et veut bien m’entendre »….Il ne sait s’il pourra entendre Pauline [Viardot]. Il a demandé une stalle… « Cette chère Pauline ! je ne l’aime plus du tout, mais du tout, du tout, du tout, comme disait la sœur Marceline »… Suit le dessin à la plume d’une loge marquée « baignoire à domicile », dans laquelle se tiennent Louis Viardot avec son long nez, et Pauline Viardot avec sa grande bouche….Exposition Dessins d’écrivains du XIXe siècle (Maison de Balzac, 1983, n° 152).
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